Dans la Valloire, la renaissance des cépages anciens
À Épinouze, Lionel Brenier fait revivre le vignoble historique. Depuis 2014, il plante des cépages locaux oubliés et propose une large gamme de cuvées en blanc et rouge.

Au XIXe siècle, la vigne était présente un peu partout dans la Valloire. Mais entre le puceron ravageur Phylloxéra, les cépages hybrides de moindre qualité et l’arrivée de la pêche en Drôme des collines, les raisins ont progressivement perdu du terrain, jusqu’à disparaître presque complètement. À Épinouze, en 2014, il ne restait plus que deux parcelles de vignes anciennes, plantées 70 ans plus tôt. Pour éviter l’arrachage de ce patrimoine végétal, Lionel Brenier décide de louer ces terres de 3 000 m². « Il y avait un mélange de cépages mais c’était beaucoup d’hybrides [croisement entre vignes européennes et américaines], explique le viticulteur. Des Villard blanc et noir originaires de Saint-Vallier. »
« Une adéquation climat, terroir, cépage »
Enfant du pays, œnologue de métier et passionné de vin, Lionel Brenier se lance alors dans un nouveau projet : créer son propre domaine à Épinouze, en parallèle de son emploi salarié au domaine Yves Cuilleron. Depuis 2015, il plante chaque année entre 2 et 3 000 m² de vignes, avec toujours la même idée en tête : faire revivre les anciens cépages locaux. « Au départ, le critère c’était qu’ils soient nés dans la vallée du Rhône Nord, mais aujourd’hui j’élargis aux vignes qu’on trouvait dans la région, détaille le vigneron. Pour moi, si les anciens les avaient plantés ici, c’est qu’il y avait une adéquation entre climat, terroir et cépage. » Le Villard de Saint-Vallier donc, mais aussi le Sérine, ancêtre de la Syrah, le Chatus, originaire d’Ardèche, ou encore le Persan de Savoie. « Et je suis en train d’en découvrir d’autres », annonce le viticulteur. Parmi les cépages prochainement vinifiés, le Chambourcin, né à Bougé-Chambalud, le Bia, ancien cépage blanc, ou encore des cépages proches de la Syrah en voie de disparition, tels que le Durif ou le Dureza.
Aujourd’hui âgé de 52 ans, il dispose d’un domaine de 8 ha, dont environ la moitié est en production, avec neuf parcelles allant de 1 000 m² à un hectare. « Dès que je trouve un vieux cépage que j’arrive à reproduire, je le plante », commente-t-il. Et pour les dénicher, deux solutions s’offrent à lui : passer par les conservatoires de l’Inrae (avec un délai de plusieurs années avant de pouvoir les planter), ou bien repérer des plants pour en récupérer les bois durant l’hiver et les faire greffer. Grâce à une recherche obstinée, il a déjà pu planter une dizaine de cépages. Une fois en production, ils sont vinifiés individuellement et bénéficient de leur cuvée propre. « En tant que vigneron, on a besoin de connaître en détail chaque cépage… Et puis on essaie d’ouvrir la curiosité des amateurs de vin », indique Lionel. Ce dernier propose également une cuvée d’assemblage avec tous les rouges. « Là, c’est plus mon rôle d’œnologue. Je m’amuse un peu plus et tous les ans, je change en fonction des millésimes. »
Un atout face au changement climatique
Si Lionel est attaché à l’aspect patrimonial de la vigne, cette aventure était d’abord un pari. « Quand j’ai récupéré mes premières parcelles, je n’étais pas sûr de réussir à faire du bon vin avec du Villard », se remémore le vigneron. À force de persévérance et d’expérimentation, Lionel relève le défi : « Il faut vinifier chaque année différemment pour voir ce que ça donne et trouver la meilleure méthode ! » En dix ans, les Villard sont devenus les cépages fétiches du domaine, que nul autre ne commercialise. « Ils me tiennent vraiment à cœur. Ils sont nés ici et ils ne nécessitent aucun traitement. »
Malgré leur résistance, les aléas des dernières années n’ont pas épargné les vignes du domaine Brenier. Qu’il s’agisse de gel, de surplus d’eau ou de sécheresse, les jeunes plantations sont touchées de plein fouet, perdant une à deux années de croissance. « Mais il faut le prendre avec philosophie, assure Lionel, optimiste. Je pars du principe qu’il faut surtout travailler son terroir et ses sols pour ramener de la biodiversité et que la nature puisse se réguler seule. » Planter des haies diversifiées autour des parcelles, privilégier le travail du sol et les couverts végétaux, limiter les traitements au cuivre… Le viticulteur redouble d’efforts pour réduire son impact sur l’environnement. Il est d’ailleurs passé en agriculture biologique pour aller jusqu’au bout de la démarche : « Je veux rester dans une identité de terroir et produire un vin le plus sain possible. »
Un marché de niche
Dix ans après la création du domaine, Lionel Brenier commence à se faire connaître des amateurs de vin. En région parisienne, autour de Lyon, et même dans le sud de la France, il écoule 10 000 bouteilles en IGP Drôme et Vin de France chaque année. « Je travaille avec des agents pour tisser une toile dans tout le pays. Étant donné que c’est un marché de niche, il faut beaucoup de points de vente », précise le vigneron. Parmi sa clientèle, une majorité de professionnels : des sommeliers de restaurants ou des cavistes, ambassadeurs de ces vins méconnus. « Je travaille aussi pour développer l’export en Belgique ou les pays nordiques. Ce sont de gros consommateurs de vin et ils sont ouverts aux cépages anciens », assure Lionel.
Parmi les autres projets, l’installation prochaine de sa compagne, Mélanie Mouraire, en son nom propre. À plein temps sur son domaine, elle va, elle aussi, planter d’anciens cépages, tandis que la commercialisation sera mutualisée par le biais d’une SARL commune. Une étape importante pour ce couple de viticulteurs avide de nouvelles expériences. « C’est notre métier, mais aussi notre passion, notre passe-temps, confirme Lionel. On ne veut pas que tout ce qui a été fait avant tombe dans l’oubli… On a créé notre propre conservatoire finalement ! » Avec ce concept, sont-ils des précurseurs dans le secteur viticole ? « Ça, je ne sais pas, mais je vous le dirai dans vingt ans ! »