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Psychologie

Confinement : “ L’opportunité de redécouvrir des temps de famille qu’on n’avait plus forcément ”

Crise sanitaire de Covid-19 oblige, on vit un moment exceptionnel, qui n’est pas sans conséquences
sur le quotidien et le moral de chacun. Psychologue, Amandine Pelletier a accepté d’évoquer le confinement, les problèmes qu’il pose mais aussi les opportunités qui nous sont offertes.
Confinement  : “ L’opportunité de redécouvrir des temps de famille qu’on n’avait plus forcément ”

En quoi le confinement bouscule-t-il notre quotidien ?
Amandine Pelletier : « L'Homme a toujours géré ses déplacements. Le seul moment où il est limité, c'est en situation de maladie, parce que le corps ne le permet pas, ou en prison. Là, on est enfermé chez soi, notre liberté est restreinte même si la raison – protéger les autres, la société – fait qu'on l'accepte. »

Y a-t-il des profils plus "fragiles", plus sensibles à cette crise ?
A. P. : « Je vois plusieurs catégories à risque. Les sans domicile fixe, pour commencer. Les associations sont toujours sur le terrain, mais il y a forcément moins d'interventions. Et déjà qu'on ne regarde pas beaucoup ces gens-là en temps normal... Il y a aussi toutes les personnes âgées et/ou isolées, qui se trouvent dans une zone sans internet, avec peu de réseau téléphonique ou qui ne sont pas nées avec cette technologie et dont le lien social (aides à domicile, famille, etc.) déjà restreint l'est encore davantage. Je pense également aux victimes de violences conjugales, qui sont les plus en danger. Majoritairement des femmes, mais aussi des hommes et des enfants. En temps normal, on peut déceler chez eux un changement d'humeur, de comportement, un bleu, des absences à l'école. Là, le parent maltraitant n'a même plus à prendre de précautions... Enfin, les personnes souffrant de troubles psychiatriques sont fragilisées, mais le degré dépend de la prise en charge dont elles font l'objet. »
Que conseillez-vous à celles et ceux qui vivent mal la situation ?
A. P.  : « La première chose est d'en parler (lire l'encadré). Dans cette période anxiogène, je recommande aussi d'éviter de rester branché en permanence sur les chaînes d'info en continu. Mieux vaut s'informer de temps en temps, par exemple en lisant un journal qu'on va ensuite refermer ou en consultant les notifications de son smartphone. Sans pour autant faire l'autruche, il est important de se préserver, d'autant que beaucoup de fake news circulent. Si l'on a du temps, il est intéressant de le mettre à profit pour faire des choses que l'on n'a pas l'habitude de faire ou que l'on a repoussées. Remplir un objectif génère une satisfaction et des retours positifs sur soi-même. Une chose, enfin, que j'ai conseillée à mes patients qui en ont la possibilité, consiste à faire des jardinières. Voir des plants germer permet de constater qu'il y a une continuité et que le temps n'est pas figé. En plus, cela occupe et fait faire un peu d'exercice. »

Vaut-il mieux garder une certaine routine ou complètement lâcher prise ?
A. P.  : « Il faut privilégier un savant mélange des deux. En commençant par différencier semaine et week-end, qui correspond au rythme habituel qui régit la plupart d'entre nous. Garder un certain rythme la semaine est essentiel car, le jour où le confinement s'arrêtera, il faudra se remettre très rapidement dans le bain même si beaucoup continuent de travailler à domicile. En revanche, on a le droit de se réveiller un peu plus tard, de porter des tenues plus confortables. Il faut essayer de trouver du positif dans le négatif. Et si vous avez l'habitude de faire la grasse matinée le week-end, continuez ! Mais uniquement le week-end. Ce qui est problématique, c'est la perte de repères car l'être humain est fait pour être cadré. En se décalant, on risque d'être déphasé, de moins bien dormir et ce sera plus compliqué ensuite. »

Quel impact peut-il y avoir sur la cellule familiale ?
A. P.  : « C'est évidemment plus simple à gérer pour celles bien structurées et plutôt stables avec un couple et des enfants. Pour un parent isolé qui doit télétravailler sans pouvoir s'appuyer sur la nounou, l'école, avec un enfant malade et un autre qui a beaucoup de devoirs à faire, c'est complexe. Même chose pour des couples ou des familles dysfonctionnels. »

Si on a la chance de vivre ce moment avec ses proches, est-il égoïste de ressentir le besoin de passer du temps seul ?
A. P.  : « Non, être seul par instant est salutaire pour le bien vivre ensemble. Il ne faut pas hésiter à instaurer un planning, notamment pour les enfants, avec deux heures de temps calme par jour, une le matin et une l'après-midi par exemple, pendant lesquelles ils font ce qu'ils veulent (sieste, lecture, musique, etc.), mais chacun dans son coin. Il peut être agréable pour un parent d'avoir un petit moment à soi, pour faire un peu de sport, lire, se détendre. »

Des individus se réunissent pour applaudir les soignants, les médias produisent des contenus intéressants depuis leurs bureaux, les professeurs se renouvellent pour faire travailler leurs élèves... Que dit de notre société cette forme d'inventivité ?
A. P.  : « Que la seule et unique solution de l'humain pour sa survie, c'est l'adaptation. C'est la théorie de l'évolution, tout simplement. C'est une bonne piqûre de rappel que de voir qu'on est capables de trouver des stratégies, d'autres canaux de solidarité sans sortir de chez soi. J'ai assez confiance en l'humain, même s'il me questionne parfois, mais je n'en attendais pas moins des Français. »

Communiquer par téléphone ou en vidéo suffit-il à combler le manque affectif ?
A. P.  : « Je vais prendre une image : cette crise, c'est comme un énorme orage. Elle nous insécurise, fait peur, mais on sait qu'après la pluie viendra le beau temps. On n'a pas d'autre choix que d'attendre. Se téléphoner, s'écrire, s'envoyer des photos ne comblera jamais la chaleur d'un contact social mais permet de patienter. Il y a même parfois du positif. Certains de mes patients prennent le temps d'appeler plus souvent leurs proches, des amis de longue date qu'ils ne voient pas souvent et cela peut redynamiser le lien social, même si c'est de manière dématérialisée. »

Y a-t-il des enseignements à retenir de ce contexte extraordinaire ?
A. P.  : « J'espère qu'on prendra conscience que dans toute crise – conjugale, amicale, sociale, économique, politique, internationale –, ce qui est important, c'est de tirer des leçons. Partons de la base, la cellule familiale. Au début, il y a eu un déséquilibre à se retrouver tous ensemble en permanence ou presque. Or, on n'y était pas habitué car cela concerne plutôt des périodes de vacances, pendant lesquelles on peut sortir de chez soi, faire des activités. Là, c'est un peu plus compliqué. Les dix premiers jours ont pu être un peu chaotiques, mais nécessaires pour trouver de nouveaux repères. De ces nouveaux repères, on peut créer de nouvelles habitudes, avec l'opportunité de redécouvrir des temps de famille qu'on n'avait plus forcément. »

Pouvez-vous détailler ?
A. P.  : « En temps normal, il faut se lever tôt, se préparer, réveiller les enfants, leur faire prendre le petit déjeuner, les déposer à l'école, aller travailler... C'est toujours très rythmé. Là, on peut prendre le petit déjeuner en commun, prendre un peu plus de temps avant d'entamer sa journée, décider ensemble de ce qu'on a envie de manger et le préparer, apprendre aux enfants comment cuisiner en fonction de leur âge, choisir de la musique et danser, etc. L'important, c'est de profiter de ses proches et de choses simples. On réapprend ainsi les bases du vivre ensemble sans être stressé par toutes les contraintes du quotidien, les devoirs, le repas, le coucher... et je trouve cela génial. Dans une cellule familiale qui va plutôt bien, c'est positif. Travailler est important, évidemment, mais ce contact interhumain qui fait notre richesse est primordial. »

Pour Amandine Pelletier, psychologue, en cette période de confinement, il faut tenter de privilégier un savant mélange entre la routine et le lâcher prise.

 

Cette crise va-t-elle profondément changer nos habitudes quotidiennes ou, au contraire, nous allons progressivement revenir au modèle existant une fois notre liberté recouvrée ?
A. P.  : « C'est la grande inconnue, on entend tout et son contraire. On a l'impression que la crise vient seulement d'arriver alors qu'en réalité cela fait plusieurs décennies que nous enchaînons plusieurs crises : financières, migratoires et environnementales. L'humain et la planète sont en crise depuis longtemps déjà, le coronavirus en est un révélateur. J'ai espoir qu'on puisse tirer des leçons. Je crois que ce sera nécessaire si on ne veut pas vivre une nouvelle pandémie dans un, deux ou trois ans. Le degré de contagion que l'on a pu constater vient pointer le système économique, la mondialisation, la déforestation, les difficultés de la planète, l'urbanisation massive... Vraiment, j'espère qu'on va en tirer des leçons et ralentir, a minima. »

Y croyez-vous ?
A. P.  : « J'ai foi en l'humain. Je souhaite que ce que l'on vit puisse faire germer des petites choses, comme des rituels en famille, qui permettent de se décentrer de soi-même, de penser un peu plus aux autres et, plus globalement, de mieux penser ce que l'on fait. Je ne tiens pas un discours politique, ce n'est pas le but mais, depuis des décennies, on va trop vite. J'aimerais que l'on tire profit de ce confinement. J'ai conscience que certaines familles le vivent mal et voudront revenir à la situation d'avant, mais c'est un autre problème. J'espère qu'on va pouvoir ralentir et se poser les vraies questions sur ces choses simples de la vie qu'on regarde depuis nos fenêtres, notre jardin, comme apprécier le vol d'un oiseau, regarder le ciel ou les fleurs pousser. » 
Propos recueillis par Franck Talluto

 

En parler / Mettre des mots sur des maux

Le premier des conseils que donne Amandine Pelletier sur la période actuelle consiste à exprimer ce que l’on ressent. « Quand on ne se sent pas bien, il ne faut pas hésiter à en parler, à solliciter son cercle familial ou amical et accepter de dire que c’est difficile, explique la psychologue. Les personnes isolées ou qui ne veulent pas déranger leurs proches peuvent contacter la cellule de soutien psychologique au 0800.130.000. L’appel est gratuit car c’est un numéro vert, accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide quand on se sent vraiment seul. » Enfin, il existe de nombreuses ressources accessibles en ligne pour expliquer la situation aux enfants, choisir les bons mots pour expliquer la contamination, les gestes de base.