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Big data agricole

Comment le big data va-t-il révolutionner l’agriculture ?

L’énorme capacité de traitement des informations par les ordinateurs alliée à la multiplication des objets connectés a donné naissance
au big data. En analysant et traitant les millions de données générées, il est ainsi possible d’obtenir de nouvelles connaissances et d’apporter des conseils et préconisations très pointues et pertinentes aux agriculteurs.
Comment le big data va-t-il  révolutionner l’agriculture ?

En agriculture, peut-être plus qu'ailleurs, collecter et analyser les données permet de créer des outils d'aide à la décision pour les agriculteurs. Avec l'arrivée sur les exploitations de nombreux objets communicants, équipés de capteurs, géolocalisés et capables de transmettre des informations, l'ère du big data commence. Robots de traite, colliers d'animaux, tracteurs, outils, distributeurs d'aliments, bâtiments, sondes en tout genre dans les champs, données météo, tous ces équipements communiquent entre eux et interagissent. Cela crée des données massives, très complexes à exploiter sans outils dédiés. On estime que sur les deux dernières années, l'humanité a créé plus de données que sur l'ensemble de son histoire. Le big data consiste alors à utiliser ces milliards de milliards de données grâce à des algorithmes très puissants. En les associant et en les traitant, ces données ont du sens. Par exemple, en géolocalisant sur quelques années toutes les interventions faites par l'agriculteur sur son tracteur, en les couplant avec les données météo et les rendements obtenus, on est capable d'optimiser au mieux son travail. Avec 46 % des tracteurs équipés d'un GPS, nous sommes à l'aube de cette révolution qui devrait bouleverser l'agriculture dans les dix prochaines années, si l'on en croit les acteurs économiques qui imaginent déjà les immenses services que cela va rendre.

Les innovations se multiplient

Selon une étude conduite par deux sociétés américaines, AgFunder et BCG, parue fin 2016, près de la moitié des firmes de l'agrofourniture et les fonds de capital-risque interrogés (46 %) déclarent que le domaine de la collecte et de l'analyse des données fait partie de leurs priorités d'investissement (R&D, acquisitions, partenariats...), parmi 27 domaines proposés dans le secteur des nouvelles technologies appliquées à l'agriculture (AgTech) - loin devant les intrants biologiques (29 %), la sécurité alimentaire et la traçabilité (29 %) et l'optimisation du matériel informatique (27 %). Les investissements dans les start-up en technologies agricoles et alimentaires ont plus que doublé en 2016 pour atteindre plus de 20 milliards de dollars. De grandes entreprises comme de petites pousses misent sur le big data pour proposer les services de demain aux agriculteurs. Claas, par exemple, a multiplié par cinq le nombre de salariés dans le département nouvelles technologies. « On est en train de passer à l'automatisation du traitement des données collectées par les machines », indique Bruno Pierrefiche, coordinateur des chefs produit tracteurs et nouvelles technologies. Le constructeur a lancé Farmnet 365, une start-up qui travaille en collaboration avec l'ensemble des fournisseurs du monde agricole (préconisation semences, engrais, alimentation animale, banques, assurances...), pour proposer une plateforme de services issus des données collectées sur les exploitations. Le monde coopératif n'est pas en reste. In Vivo a racheté Smag, une start-up spécialisée dans le big data agricole en 2012 et, depuis, elle affiche une croissance de 15 % par an. Smag emploie aujourd'hui 145 salariés et accélère pour proposer une véritable expertise dans les données agricoles. « L'enjeu est d'utiliser la bonne technologie pour extraire et valoriser des informations de multiples données hétérogènes comme des images satellitaires, des tweets d'agriculteurs, des données météo, témoignait Stéphane Marcel, directeur général de Smag et du pôle Agrodigital d'Invivo lors du Sima 2017. Les algorithmes qui analysent ces données sont fantastiques. Leur promesse est grande, mais on a encore quelques années devant nous avant d'en observer véritablement les fruits. » Les chambres d'agriculture s'emparent aussi du dossier. L'Acta (Instituts techniques) et l'APCA (chambres d'agriculture) ont créé fin 2016 la société API-agro, qui a pour objet « la création, la gestion, la commercialisation et le développement de plateformes numériques de données et de services ». Avec API-agro, l'objectif pour les chambres d'agriculture est de faire évoluer le métier de conseiller. Ces derniers pourront s'appuyer sur les masses de données, les croiser et les analyser pour dispenser leurs préconisations.

Piloter plus facilement son exploitation

Le travail mené par les différents acteurs (entreprises, centres de recherche, coopératives...) autour du big data et des objets connectés devrait permettre de changer radicalement les façons de faire dans les exploitations, de diminuer la pénibilité, les astreintes, de proposer des solutions ou des analyses aux agriculteurs qui feront leurs propres choix. Projetons-nous dans quelques années. Devant son café, Stéphane, éleveur de vaches laitières en France, allume sa tablette pour contrôler l'ensemble de son exploitation. L'application de suivi lui indique que, sur l'atelier lait, il y a deux alertes : une vache s'apprête à vêler et une autre présente une température en hausse, signe d'une possible infection. Il ira l'isoler sitôt son café terminé et ira contrôler si tout se passe bien pour la primipare. L'information ayant aussi été transmise au robot de traite, ce dernier invite l'éleveur à valider l'apport d'un complément alimentaire de sainfoin à la ration de la vache potentiellement malade. Stéphane jette un œil, via l'application, aux génisses parquées à quelques kilomètres de la ferme, dans une grande parcelle le long d'un chemin de randonnée. Parfois, elles parviennent à profiter d'une clôture mal refermée par un promeneur pour se faire la belle. Les capteurs sont formels, elles sont toutes présentes et en bonne santé. Du côté des cultures, les images satellites complétées par les passages de drones indiquent qu'il faut juste aller s'occuper d'une partie de la parcelle dite de champfleuri pour corriger une carence azotée sur la partie nord. Des taches de rouille ont également été détectées en faible densité. Un point à surveiller ! Cependant, grâce au big data qui analyse l'historique de la parcelle, la sensibilité de la variété à la rouille et la météo des dernières semaines ainsi que les prévisions des jours prochains, l'application invite l'agriculteur à rester attentif mais n'évoque pas de besoin de traitement. Si ce quotidien est encore une fiction pour la plupart des agriculteurs, certains passages sont déjà bien réels pour les pionniers. 

C. P.

 

#DIGITAG / L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture porte l'Institut de Convergence Agriculture numérique. Les premiers travaux ont été lancés.

Le numérique, un levier pour moderniser l'agriculture

En février 2016, le gouvernement français lançait l'appel à projets « Instituts convergences ». Un programme qui vise à créer une dizaine de sites scientifiques pluridisciplinaires afin de mieux répondre à des enjeux majeurs, à la croisée des défis sociétaux et économiques et des questionnements de la communauté scientifique. Cinq projets ont été sélectionnés, parmi lesquel l'Institut de convergences agriculture numérique (baptisé #DigitAg), porté par l'Irstea. « Les instituts se consacrent très souvent sur un seul objet. Là, nous allons faire dialoguer les disciplines, dépasser les frontières des communautés », explique Véronique Bellon-Maurel, directrice de #DigitAg et responsable du département d'écotechnologies au sein de l'Irstea. Porté par 17 partenaires publics et privés*, #DigitAg ambitionne de devenir une référence mondiale en ce qui concerne l’agriculture numérique sur la base d’un continuum de recherche-formation-valorisation.
Augmenter les performances
Les travaux se développeront sur plusieurs axes, tels la transformation du monde rural par les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), l'innovation, l'acquisition et la gestion de données, les systèmes d'information, la structuration du big data agricole, ainsi que la modélisation et la simulation. Pour Véronique Bellon-Maurel, le fruit des recherches menées sera une véritable révolution pour l'agriculture. Il faut dire que l'agriculture doit augmenter ses performances économiques, environnementales et sociales. Les nouvelles technologies se positionnent donc comme un levier pour le faire. « On utilise les technologies de l'information et la communication pour capter de la donnée : capteurs, drones, satellites. Il va falloir les traiter pour en tirer des connaissances nouvelles, des règles, des lois, des modèles, qui vont nous permettre de mieux intervenir », indique-t-elle. Avant de poursuivre : « On va aussi s'appuyer sur les sciences humaines, économiques et de gestion. Le numérique va être une révolution. Aussi puissante qu'a été celle des tracteurs. On va travailler différemment. On pense qu'on va pouvoir améliorer les rendements, la productivité. On va passer d'une agriculture standardisée à une agriculture de précision ». Mais que l'on ne s'y méprenne pas : il ne s'agira pas de s'orienter vers une agriculture productiviste, le numérique pouvant profiter à toutes les agricultures, en particulier le bio qui réclame un suivi attentif.
Un élan pour l'agriculture
Une révolution dans la manière de travailler, de produire, mais pas seulement. Il s'agit aussi de voir comment le numérique peut permettre aux agriculteurs d'être mieux intégrés dans la société. Le numérique permettra également de créer des solidarités nouvelles, en partageant des données. À partir de celles-ci (météo, rendements, taux de protéines...), des règles pourront être élaborées. De même, un agriculteur pourra mieux capter de la valeur dans la chaîne de valeur. « En Afrique, les agriculteurs se sont équipés de smartphones, ce qui leur a permis de consulter les cours et ainsi de mieux piloter leur récolte », souligne Véronique Bellon-Maurel. Créé officiellement le 1er janvier 2017, #DigitAg rassemble aujourd'hui 300 personnes. Dans les sept prochaines années, une soixantaine de thèses et 150 stages de master seront financés par l'institut. Leurs résultats seront valorisés via des innovations, et les étudiants incités à créer des entreprises. Les projets sont nombreux. Une graduate school doit aussi voir le jour en 2019, pour accompagner cette révolution. 
A. T.
* Irstea, Inra, Cirad, Inria, UM, Montpellier Supagro, AgroParisTech, Acta et SATT AxLR, et huit entreprises.
Véronique Bellon-Maurel est responsable du département d’écotechnologies au sein de l’Irstea. Crédit photo : M.L. Degaudez © Irstea.