Comment l’alimentation est influencée par les tendances minoritaires

On savait déjà que les Français portaient de plus en plus d'attention à leur alimentation et à la qualité des aliments qu'ils consomment. En 2016, une précédente étude de l'Obsoco(1) révélait ainsi que 82 % des Français affirmaient avoir le sentiment de faire plus attention qu'il y a cinq ans à la qualité des produits alimentaires qu'ils achetaient. En 2017, la question de la qualité portée à l'alimentation a une nouvelle fois été posée. Et le résultat est identique avec 82 % des Français qui répondent par l'affirmative, preuve de son ancrage dans la société française. L'idée de la qualité recouvre plusieurs réalités : pour 40 % des répondants, il s'agit d'un produit qui a bon goût mais, pour d'autres, c'est un produit qui est bon pour la santé (20 %) ou sûr (19 %). Et pour 19 %, il s'agit d'un aliment qui est élaboré en fonction du respect de l'environnement et de la rémunération des producteurs (19 %).
La pratique des régimes alimentaires encore minoritaire
L'un des intérêts majeurs de cette étude de l'Obsoco, c'est de permettre de mesurer ce que représentent vraiment les régimes alimentaires permanents dans la société française. Ainsi, l'étude révèle que 79 % des Français ne suivent aucun régime permanent, et ce taux est encore plus élevé pour les régimes occasionnels. « On constate un écho médiatique bien supérieur à la réalité de la diffusion des régimes alimentaires permanents », souligne Philippe Moati, auteur de l'étude. « En effet, 0,4 % de l'échantillon déclare suivre un régime vegan, ce qui est extrêmement minoritaire dans la société française. » Selon le sociologue, rapporté à l'ensemble de la population française, cela représente environ 200 000 Français, soit une communauté extrêmement réduite, concentrée sur les grandes villes. Les régimes permanents les plus suivis sont le flexitarisme(2) avec 8 %, suivis du « sans sucre » (4 %) et « sans viande rouge » (4 %). Les végétariens seraient 3 % de la population selon l'étude. On compterait 2 % de « sans gluten » et autant de « sans lactose ». Philippe Moati explique que les plus jeunes, qu'on retrouve sur-représentés parmi les végans, constituent en termes de consommation « un public assez rétif à l'idée de contrainte et plutôt hédoniste ».
Mais la majorité change sa façon de manger
On constate en revanche que des modifications consistant à augmenter, réduire ou supprimer un nombre significatif de produits alimentaires concernent plus d'un Français sur deux (53 % exactement). Cela induit que les tendances alimentaires influencent une part majoritaire de la population française. Lorsqu'on les interroge par exemple sur les volumes de nourriture consommée, ils sont 37 % à exprimer le sentiment d'avoir réduit les quantités d'aliments ingérés au cours des dernières années en vue d'une alimentation plus frugale. « Si le vieillissement de la population ne peut pas être exclu totalement, c'est une partie importante de la population qui est sensibilisée à la question de la quantité d'aliments consommés pour des raisons liées à la santé ou à l'environnement », détaille Philippe Moati.
Quelles sont les motivations des Français ?
L'étude de l'Obsoco a constaté que la pratique d'un régime alimentaire s'accompagne d'une sensibilité assez marquée aux enjeux liés à sa santé, mais aussi aux enjeux environnementaux. Ainsi, 53 % des personnes suivant au moins un régime permanent se disent très fortement sensibilisées aux questions environnementales, contre 30 % pour ceux ne suivant aucun régime. Cette sensibilité accrue s'accompagne, parmi l'ensemble de la population, d'une défiance vis-à-vis des grands acteurs de la filière agroalimentaire. L'Observatoire des éthiques alimentaires a ainsi relevé que les indices de confiance les plus élevés sont accordés aux acteurs de petite taille (petits producteurs, circuits courts, artisans de l'alimentaire, etc.), aux signes de qualité ou appellations d'origine et aux agriculteurs, alors que les marques nationales et les enseignes de la grande distribution sont les moins dignes de confiance. À titre d'exemple, ces deux dernières catégories se retrouvent au même niveau de défiance que le législateur. Mais la taille réelle ou perçue joue un rôle important : ainsi, les sondés accordent majoritairement leur confiance aux petites entreprises de l'agroalimentaire et aux enseignes de la distribution biologique. « En fait, tout ce qui est de près ou de loin lié au terme industriel inspire la défiance chez les consommateurs », relève Philippe Moati. Selon lui, cette photographie de l'opinion publique doit être vue comme un avertissement pour des grandes enseignes ou marques de l'alimentaire qui sont désormais exposées clairement à un risque d'évasion de leurs clients. C'est aussi une alerte pour le monde agricole afin de mobiliser ses atouts et retrouver des prix rémunérateurs.
(1) L'Observatoire société et consommation (Obsoco) a dévoilé les premiers résultats de l'Observatoire des éthiques alimentaires développé en partenariat avec la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), le groupe Seb et deux industriels de l'agroalimentaire : Sodebo et Terrena. Pour cela, il a réalisé une étude du 24 mai au 30 juin (avant la crise du fipronil) auprès d'un échantillon représentatif de 4 040 Français.
(2) Le flexitarisme est une pratique alimentaire qui consiste à réduire la quantité de viande et poisson pour des raisons économiques, liés à la condition animale ou à la protection de l'environnement.
Viande bovine / Érosion de la consommation, nouvelles attentes sociétales, volatilité des marchés, la filière bovine française doit s’adapter. Quels leviers actionner face à des signaux parfois contradictoires ?
S’adapter à la demande, un véritable défi
Après une décennie traversée par plusieurs crises - sanitaires, envolée des matières premières, sécheresse… - la filière bovine française doit, de plus, composer avec les évolutions de la consommation ainsi que son érosion. Comme l’explique Philippe Chotteau, de l’Institut de l’élevage, la consommation de viande bovine diminue voire recule fortement dans certains pays européens comme en Italie avec une baisse de - 20 % depuis 2005.En France, plus gros consommateur européen avec 23,7 kg équivalent carcasse par habitant, la baisse de consommation totale sur dix ans tourne autour de - 5 %. Cependant, la demande mondiale est croissante et particulièrement dynamique au niveau des broutards. Les exportations françaises sont reparties depuis trois ans, avec une montée en gamme, davantage de femelles de plus de 300 kg au détriment des jeunes broutards légers. Néanmoins, les broutards français doivent lutter contre une concurrence accrue et se démarquer, notamment grâce aux races pures aux gains moyens quotidiens (GMQ) élevés favorisant les animaux de grands formats. Or, et c’est paradoxal, on demande une baisse du poids / carcasse.

Déconnectés de la demande finale
Pour l’éleveur, difficile en effet de travailler à réduire le poids des animaux quand le prix payé est plus cher pour des carcasses lourdes. « Le fonctionnement de la filière ne permet pas la circulation de signal prix », explique Paul Grelier, d’Interbev. Sans compter que le tri effectué après abattage ne reflète pas la demande du consommateur, et que l’éleveur ne connaît jamais la destination de ses morceaux, ce qui le déconnecte totalement de la demande.
Un constat dans la lignée de l’analyse de Philippe Dimon (Institut de l’élevage) sur les trajectoires des systèmes naisseurs et naisseurs-engraisseurs observées ces dix dernières années. La « logique de développement de l’élevage interpelle » : d’après l’observation d’exploitations entre 2005 et 2015, on constate une évolution vers une maîtrise technique plus exigeante, un accroissement de la productivité par la mécanisation, et une forte capitalisation. Pour autant, les éleveurs ne parviennent pas à dégager un salaire supérieur au Smic.
En dix ans, la part d’enrubannage et de maïs ensilage a progressé, tout comme l’utilisation de concentrés (+ 30 à 40 % chez les naisseurs) alors que les consommateurs plébiscitent l’alimentation à l’herbe. Pour répondre aux enjeux économiques et sociétaux, une meilleure optimisation des ressources fourragères pourrait être des voies de progrès.
Satisfaire le consommateur
Pour retrouver de la valeur, la filière travaille également à mieux répondre aux attentes du consommateur. Concernant les qualités organoleptiques de la viande, l’enjeu est important car la baisse de consommation s’explique en partie par l’hétérogénéité de la qualité de la viande achetée. Par exemple, la perception qu’ont les consommateurs français du persillé est parfois en opposition avec la qualité gustative qu’ils recherchent. La solution, pour Jérôme Normand de l’Institut de l’élevage, serait de privilégier le niveau intermédiaire de persillé, qui recueille quasiment les mêmes intentions d’achat, que le faiblement persillé (viande crue), tout en étant davantage plébiscité au goût. Il ne faut pas perdre de vue que l’offre, c’est la viande, et non les animaux qui sortent des élevages, et que la demande ne provient pas des grossistes mais des consommateurs finaux, précise d’ailleurs Paul Grelier.