Accès au contenu
Réorientation

Ces agriculteurs qui sautent le pas du changement

Les profondes mutations de la société et de l’économie poussent les acteurs agricoles, comme les autres, à se remettre en question, voire à changer
de productions, de mode de distribution ou leur façon de travailler.
Ces agriculteurs qui sautent le pas du changement

«Adapt or die », s'adapter ou mourir, que ce soit dans la bouche de Nelson Mandela en octobre 1979 ou sous la plume de l'écrivain anglais d'H.G Wells dès 1945, cette maxime s'applique parfaitement au monde économique d'aujourd'hui. Avec les mutations sociales, technologiques et économiques, les agriculteurs sont de plus en plus confrontés à la nécessité de faire évoluer leur système, leur organisation, leurs débouchés ou leurs productions. Mais changer est difficile car il faut accepter de prendre un risque, de sortir de ses habitudes, de sa « zone de confort » pour aller vers autre chose. Pourtant, changer est parfois nécessaire pour continuer à exercer ce passionnant métier qu'est celui d'agriculteur. Décider de changer est une chose mais, ensuite, il convient de trouver comment s'y prendre pour y parvenir. Or, prendre du temps pour permettre de trouver les adaptations nécessaires est fondamental. Dans ce processus de réflexion et de préparation au changement, il peut être intéressant d'être accompagné.

Être accompagné pour changer

« Souvent, le premier entretien est assez confus, explique Lydie Constant, conseillère en stratégie d'entreprise à la chambre d'agriculture du Rhône. Son activité consiste à accompagner l'évolution des structures agricoles, quel que soit le statut du demandeur : un exploitant individuel, un Gaec, un collectif, etc. « J'interviens à la demande des exploitants, en coaching individuel ou collectif. » La coach raconte : « Au début, les exploitants qui viennent me voir commencent souvent par me dire : je ne sais pas pourquoi je viens vous voir ou alors il parle tout de suite d'un point très précis de leur exploitation ». Le travail de l'accompagnatrice consiste alors à clarifier la situation, le « vrai blocage » ou l'envie qui n'est pas exprimée. « J'essaie de comprendre la situation, de cerner la problématique, d'identifier la vraie demande, le vrai besoin.
À quel endroit cela bloque vraiment ? » Par exemple, un agriculteur vient la voir en expliquant qu'il souhaite prendre un associé mais qu'il ne sait pas comment s'y prendre. Après le premier entretien, l'agriculteur arrive à la conclusion qu'en fait, il fait face au départ à la retraite de son père, qu'il n'a pas envie de gérer un salarié pour le remplacer et qu'il souhaite juste reproduire la situation passée en prenant un associé. Au fil de l'entretien, il se rend compte qu'il n'a pas non plus envie d'un associé et qu'une des solutions serait de changer radicalement l'organisation de l'exploitation pour pouvoir continuer à travailler tout seul. « Le futur d'une exploitation n'est pas la reproduction du passé », souligne Lydie Constant. Contrairement à l'expert, le coach n'est pas là pour apporter des réponses mais pour faire émerger les solutions, chez les exploitants qui viennent le voir, par le questionnement. Il peut arriver qu'une personne ne soit pas satisfaite d'une situation mais ne sache pas vraiment où elle veut aller, ou comment en changer. Grâce à la clarification des objectifs, il sera possible ensuite d'établir un « plan d'action » pour les atteindre.

Accepter le changement est difficile car il faut sortir de sa zone de confort pour aller vers quelque chose de nouveau.

Une solution sur-mesure

« Je fais souvent face à des agriculteurs expliquant qu'ils veulent trouver une solution, faire quelque chose, que ça ne peut pas continuer, que plus ils avancent, plus ils font face à un mur, décrit Lydie Constant. On comprend qu'il y a un point de blocage, comme s'il y avait un verrou sur une porte qui ne s'ouvre pas. Ensemble, on parvient à trouver la bonne porte à ouvrir. » Cette méthode d'accompagnement au changement permet de construire une solution sur-mesure avec la personne accompagnée. Comme c'est elle qui la trouve toute seule en fonction de sa situation, de ses envies, de ses outils, de ses compétences... elle lui convient parfaitement. « Le coaching stratégique m'a ouvert l'esprit, permis de faire un point sur le présent et d'anticiper la suite », explique Sylvain Palandre, éleveur laitier en individuel à Coise, qui a été accompagné par Lydie Constant. 

Camille Peyrache

 

A lire également l'articleintitulé : de la salade aux plantes aromatiques

 

Érik Dominique, arboriculteur dans les coteaux du Lyonnais, a été l’un des premiers à tester le service de conseil stratégique de la chambre d’agriculture du Rhône. Il partage cette expérience.

“ Accepter de se regarder l’intérieur du ventre ”

Quand la chambre d’agriculture du Rhône a démarré son projet d’accompagnement stratégique pour les agriculteurs en phase de questionnement sur leur avenir, Érik Dominique, arboriculteur à Thurins dans les coteaux du Lyonnais, s’est volontiers laissé tenter pour tester le concept. Et d’avouer en toute honnêteté : « Si on m’avait sollicité contre rémunération, au départ, je n’y serais pas allé. Au final, je ne regrette pas du tout… Il y a peu, je disais même que cet accompagnement avait changé ma vie ! Mais depuis, il y a eu cet été catastrophique, les intempéries et la drosophile, qui ont mis à mal à nos projets. »
Identifier le point de blocage
Il a fallu à Érik Dominique, plusieurs séances, collectives et individuelles, pour faire avancer les choses, débloquer la parole. « Cela faisait trois ans que j’avais dans l’idée d’embaucher un salarié pour qu’il devienne le repreneur de mon exploitation. Mais, curieusement cela n’avançait pas », se souvient l’arboriculteur. C’est alors qu’au fil des discussions, le nœud s’est dénoué. « Il faut accepter de se regarder l’intérieur du ventre. En réalité, je gardais dans un coin de ma tête l’espoir que mon fils me succède alors que ce n’est pas du tout dans l’air du temps. Pas plus hier qu’aujourd’hui. » En d’autres termes, Érik Dominique avait besoin de faire le deuil de la reprise familiale. « À partir de là, j’ai pu avancer. Je ne me focalisais plus sur le repreneur. Certains lèvent le pied quand ils n’ont pas de successeur, d’autres investissent pour leurs enfants. Moi, j’ai simplement décidé d’investir pour bien finir ma carrière. L’idée, ce n’était pas forcément de gagner plus mais plutôt de se fatiguer moins, de trouver du temps pour moi et mon épouse », explique l’arboriculteur de 55 ans.
Nouveaux investissements
Depuis deux ans, et après avoir pris le temps d’étudier plusieurs pistes, Érik Dominique a investi dans deux directions. La première, le réaménagement d’un bâtiment de transformation des fruits. « Mon épouse s’occupe de cette tâche mais elle le faisait dans de mauvaises conditions. Il nous fallait un outil beaucoup plus fonctionnel. » La deuxième action : un investissement dans des fruits rouges hors sol, « avec du bon matériel adapté, plus facile d’utilisation » et la suppression des fraises en plein champ aux résultats plus aléatoires. « On n’hésite pas à acheter des nouveaux pneus pour le tracteur mais, quand il s’agit de formation ou d’accompagnement, on rechigne. C’est une erreur », insiste-t-il. Malheureusement, les aléas climatiques et sanitaires vont peut-être contraindre le couple à repenser leur projet. « Nous avions d’autres projets à venir mais ils sont en suspens… », regrette l’arboriculteur.