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Éthologie

Bien manager ses vaches  pour une relation gagnant-gagnant

Éleveuse de salers et experte du comportement animal, Pauline Garcia a exposé aux élèves du lycée Georges Pompidou à Aurillac (Cantal) des notions essentielles pour une pleine coopération de son troupeau.

Bien manager ses vaches  pour une relation gagnant-gagnant
Pauline Garcia intervient sur le comportement animal auprès des élèves du lycée agricole Georges Pompidou à Aurillac. ©PO

Dans l’audiovisuel où elle a travaillé pendant dix ans auprès d’animateurs comme Arthur ou Hanouna, comme en élevage où elle évolue aujourd’hui auprès d’un troupeau de salers, il y a des codes à connaître pour décrypter les comportements et s’y adapter. « Mes vaches, je les considère un peu comme mes salariées, moi comme leur manager. Si on travaille ensemble dans de bonnes relations, c’est gagnant-gagnant, les animaux seront moins stressés et profiteront mieux », a expliqué Pauline Garcia devant une classe de seconde pro du lycée agricole Georges Pompidou à Aurillac. Installée en Gaec sur la commune de Vèze avec un troupeau d’une centaine de salers où l’on croise aussi quelques aubracs, Pauline Garcia est intervenue devant les élèves en tant que comportementaliste animalier, son second métier. Une activité qui lui fait sillonner l’Hexagone pour sensibiliser et former des éleveurs, inséminateurs, pareurs, mais aussi de plus en plus de vétérinaires, à l’importance et aux modalités d’une relation positive établie dès leur jeune âge avec les bovins (mais aussi les ovins, caprins et équidés, espèces pour lesquelles elle est labellisée).

Relation positive… pas permissive

Relation positive n’est en aucun cas synonyme de permissivité. Comme avec des enfants, « on ne doit pas dire oui à tout, on pose un cadre mais on observe et écoute aussi l’animal », conseille-t-elle.
Mise en pratique auprès de velles laitières une heure plus tard dans la stabulation de l’exploitation du lycée. Alors qu’elle installe divers objets dans un parc, une velle holstein qui a pris goût au grattage, vient quémander un nouveau passage de gant à picots sur son dos par un coup de tête dans le coude de l’intervenante. Un geste à sanctionner immédiatement en l’écartant, sans coup ni cri, mais fermement. Ne jamais renforcer cette attitude de quémandage, « on ne leur donne que quand elles ne réclament rien », insiste la comportementaliste. Le risque est que l’animal, devenu adulte, avec 600 kg sur la bascule, reproduise les mêmes gestes. « C’est aussi la raison pour laquelle on ne joue jamais avec les veaux », prévient Pauline Garcia. Son job à elle consiste à vulgariser sur le terrain les études scientifiques des éthologues qui ont ainsi démontré la nécessité de loger les veaux par paire (minimum deux) dans des parcs équipés de brosses, d’objets 
insolites, comme ces pendules étoilés suspendus dotés d’embouts en plastique permettant aux veaux d’assouvir leurs besoins essentiels de grattage et mâchouillage et de découvrir leur environnement avec leur bouche comme le font les bébés. « S’il n’y a rien, le veau se tourne vers son congénère pour le lécher, le téter… », explique Pauline, qui met aussi en garde contre certaines modalités de distribution du lait aux veaux. Le pire étant les seaux posés au sol, dont le lait va être très rapidement aspiré par l’animal, tête baissée, avec des diarrhées à la clé, alors que sa position naturelle de tétée est tête relevée avec une ingestion lente.

Gare à la hiérarchie

« Le problème de l’éthologie, comme de mon métier, c’est qu’on fait prendre conscience de choses évidentes, mais trop tard, alors que l’éleveur a ses habitudes, ses équipements, qu’il a par exemple investi dans des niches individuelles pour les veaux alors qu’on lui explique qu’il faut les loger a minima par deux », glisse l’éleveuse. D’où la pertinence de cette séquence avec des lycéens, futurs éleveurs potentiels, qui ne tardent pas à réagir quand elle leur précise qu’il faudrait installer une brosse non pas pour tout le troupeau laitier mais une pour cinq vaches. « Sinon, ce sont toujours les mêmes qui vont aller se gratter, les dominantes, et certaines meneuses, soit tout au plus 10 sur un troupeau de 80 laitières », argumente-t-elle.
Meneuses, dominantes, soumises : des statuts à repérer au sein de son troupeau et une hiérarchie à respecter sous peine de voir le moindre déplacement se transformer en cavalcade. Petite explication : quand un troupeau se meut naturellement, ce sont les meneuses qui sont aux avant-postes : des vaches « audacieuses », pas peureuses pour deux sous, qui vont au front la fleur au fusil. Suivent les dominantes, les vraies cheffes du troupeau, donneuses d’ordre, des peureuses cachées mais qui en imposent par leur gabarit, et ne s’avancent qu’une fois assurées de l’absence de danger, en ayant envoyé au front les meneuses.  Les dominées ferment le ban, les sens toujours en alerte pour ne pas subir les brimades de leurs congénères dans un quotidien pas facile : difficulté pour accéder à l’eau, l’alimentation, au confort... Ce sont ces dominées qui vont être les premières perturbées quand l’éleveur se place en queue de cortège pour faire avancer le troupeau. Déjà stressées au quotidien, ces dernières vont subir une pression supplémentaire en entendant l’éleveur et son chien derrière elles, souvent dans leur angle mort visuel d’ailleurs. 
Conséquence, elles vont se faufiler, remonter la hiérarchie, « mais comme elles ont peur de tout, elles vont s’arrêter tous les mètres », perturbant à leur tour les meneuses et dominantes, le tout dans un tourbillon délicat à rattraper. Conclusion : toujours se placer devant le troupeau, y compris pour embarquer les bêtes dans la bétaillère. « Je monte dedans, devant, avec un seau d’aliments, l’objectif est d’appâter les premières, en étant impactante et motivante, mon associé se positionnant derrière avec des ficelles manipulées tout doucement », expose Pauline Garcia, suscitant de nombreuses questions dans la classe.

Des vaches parfois...très vaches

Quelle que soit la manipulation, la recommandation est la même : le comportement de l’éleveur conditionne celui du bovin, véritable miroir émotif, en positif comme en négatif. « Si vous ne diluez pas avec du grattage et beaucoup d’aliments une séance de prophylaxie, l’animal ne va mémoriser que la douleur et le stress. » Autre piqûre de rappel : une vache a une très bonne mémoire sur le long terme. Rancunière, elle peut être « très vache », rendre les sales coups en ressortant de « vieux dossiers » des années après !

Patricia Olivieri

Non les vaches ne voient pas rouge

Pour interagir positivement avec une vache, il faut aussi tenir compte des caractéristiques de sa vision : plusieurs angles morts (sous le mufle, sur toute la ligne de dos et la hanche), une vision saccadée (en allant voir des animaux au pré ou des veaux dans un parc, il ne faudrait pas dépasser l’allure d’un mètre par seconde...), une vision contrastée version sépia (le rouge ne les excite pas, en revanche éviter les vêtements clairs, fluorescents), avec un temps d’accommodation long (pour passer d’une zone sombre à une zone éclairée, l’adaptation peut lui prendre 30 minutes).

Faisabilité

Du temps jamais perdu

Tisser les fibres d’une relation positive avec l’animal dès le sevrage (et même antérieurement via la relation avec sa mère), en le stimulant par l’installation d’objets changés régulièrement, par l’initiation en douceur au licol, par des séances de grattage… oui cela prend du temps, un temps dont les éleveurs ne disposent pas, réagissent les lycéens. Certes, convient Pauline Garcia, mais ce temps investi et considéré par certains comme « perdu », sera largement rentabilisé sur la durée de vie de l’animal par le temps économisé lors des phases de contention, soins, déplacements avec des animaux calmes, motivés au travail, confiants dans l’éleveur. Une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) appliquée à l’élevage en quelque sorte.

Pendules étoilés suspendus dotés d’embouts en plas­tique permettant aux veaux d’assouvir leurs besoins essentiels de grattage et mâchouillage. ©PO