Mieux connaître le microbiote de son sol
La santé du microbiote du sol joue un rôle fondamental sur la résilience des cultures, face aux différents stress environnementaux. Le sujet était au centre d’une journée technique organisée fin novembre à Tournon-sur-Rhône par la chambre d’agriculture de l’Ardèche.

Alors que traditionnellement, l’évaluation de la santé des sols est souvent réduite à des critères de texture, granulométrie ou disponibilité des nutriments, cette dernière a un rôle bien plus prégnant : l’état de santé du sol influence la qualité des rendements agricoles, leur quantité, la biodisponibilité des nutriments, la gestion des maladies ou encore la pénétrabilité du sol et sa capacité de rétention d’eau. Elle est donc un élément fondamental qui intervient sur la résilience des cultures et des élevages face aux stress environnementaux, a expliqué Céline Basset, chercheuse en sciences de gestion et sciences du sol, qui expérimente et étudie les effets des stratégies de vermicompostage (voir ci-dessous). « Le système agricole dépend des chaînes d’approvisionnement. Il est donc vulnérable, à la fois en ce qui concerne la sécurité alimentaire mais aussi pour les exploitations agricoles, qui dépendent souvent des imports. Ainsi, un modèle agricole qui réduit sa dépendance devient résilient et sécurisant.» Parmi les facteurs dégradants, causés par une mauvaise gestion du sol, figurent l’érosion, la salinisation et/ou l’acidification des sols, la sécheresse et les GES (carbone et protoxyde d’azote). Additionnés aux polluants, ces éléments mènent à la perte d’habitat pour la biologie des sols, poursuit la chercheuse. « La simplification des écosystèmes au sein des filières agricoles nécessite d’importants coûts de production à terme, et la diversification des filières demande à la fois du matériel spécifique et un apprentissage, ce qui peut représenter un frein à la transition des pratiques agricoles ». Les travaux de Céline Basset visent donc à permettre aux agriculteurs de gagner en autonomie et en résilience sur les chaînes d’approvisionnement (intrants agricoles). La chercheuse encourage donc les agriculteurs à développer des stratégies de gestion plus locales (fertilisation et gestion des maladies).
Acteurs du microbiote du sol
Dans cette ambition, Céline Basset est revenue sur les caractéristiques d’un sol diversifié et en bonne santé. « Le microbiote du sol est comme un ensemble de cinq acteurs du sol organisés en une chaîne alimentaire souterraine (appelée réseaux trophiques). Elle est composée de décomposeurs et de prédateurs, qui ont deux fonctions distinctes : les décomposeurs transforment la matière organique et le complexe organo-minéral en éléments nutritifs, et leurs prédateurs permettent de nourrir les décomposeurs et ainsi de réguler leur population. » Selon elle, « ces réseaux trophiques sont indispensables pour disposer d’un système productif et en bonne santé ». Les décomposeurs font office de « proies » pour les prédateurs (protozoaire, nématodes et microarthropodes) et leurs activités contribuent à rendre les nutriments et oligoéléments biodisponibles pour les plantes, en plus de leur fournir un système immunitaire. Les glues et colles biotiques apportées par ces cinq acteurs du sol jouent aussi un rôle essentiel dans sa structuration et sa stabilité face aux stress climatique (sécheresse, inondations). « Il est fondamental de connaître ce microbiote pour alimenter le cycle des nutriments et la biodisponibilité des ressources locales, régénérer le cycle de l’eau, développer la biodiversité et la biosécurité, séquestrer le carbone et limiter les gaz à effet de serre. »
Types d’habitat
Le type d’habitat, déterminé par le niveau d’oxygène présent dans le sol, influence la composition de la population microbienne. « Les sols effondrés ou déstructurés sont très souvent en situation d’anaérobiose (type fermentation ou putréfaction), il est impossible d’avoir des prédateurs dans ce type d’atmosphère. Trop d’oxygène ne sera pas bon non plus », prévient la chercheuse. Il y a donc 4 types d’habitats, du plus oxygéné au moins oxygéné : « Les sols disposant d’un oxygène trop réduit (fermentation) voire pas d’oxygène (putréfaction, hydromorphie) sont caractérisés par des biomarqueurs considérés comme pathogènes pour les cultures. Ces derniers engendreront une perte financière pour l’exploitant. Dans un habitat aéré avec un niveau d’oxygène un peu réduit (habitat facultatif), les 5 acteurs des réseaux trophiques du sol seront présents, au complet, et valoriseront ainsi les cultures ».
Services gratuits pour les filières
« Le rétablissement des fonctions du sol est une succession de stade, appelée succession écologique, permettant de développer des micro-organismes et une microfaune du sol qui rend des services ” gratuits ” pour les filières, ajoute Céline Basset. Face à un sol agricole « tassé et épuisé aujourd’hui, l’interaction entre les réseaux trophiques et la matière organique pourrait favoriser sa régénération et contribuer à une sorte d’épaissement de l’horizon humique (profondeur) en favorisant le processus de structuration. Cela aurait pour effet de détruire la semelle de labour, permettre un meilleur ancrage du système racinaire en pénétrant plus profondément le sol et une meilleure résistance de la plante aux stress biotiques et abiotiques. Mais pour arriver à cela, il faut un microbiote du sol en bonne santé », explique-t-elle, en évoquant l’importance de la pénétrabilité des sols en toute saison.
L’objectif des agriculteurs consiste donc à « intégrer dans leur pratique le règlement du stade biologique de la succession écologique auquel correspond leur filière agricole, afin de débloquer les nutriments présents dans le sol sans l’user grâce à l’utilisation du vermicompost et de thés aérés de vermicompost ». En viticulture, les exploitants ont besoin d’un sol à dominante fongique (champignons), « structuré et doté d’une matière organique ligneuse car la vigne est une liane dont l’habitat naturel et le stade correspondent à un stade pré-forestier (milieu ouvert, bois, forêts, coteaux et haies) ». En arboriculture, « ils ont également besoin d’un sol à dominante fongique car la filière se situe à un stade plus avancé, le stade forestier de la succession écologique. »
A.L.
Restaurer les fonctions du sol à travers des stratégies de vermicompostage

Différentes études valident l’intérêt du vermicompost, pour rétablir des habitats et un réseau trophique dans les sols des terres agricoles.
La directive européenne relative à la surveillance et à la résilience des sols vise à évaluer des stratégies de régénération des sols et des écosystèmes. Dans ce cadre, Céline Basset expérimente des stratégies de vermicompostage en viticulture à La-Bégude-de-Mazenc (Drôme). « Le ver de terre ne pouvant exister sans micro-organismes locaux, il est en mesure d’élever le patrimoine biologique de son terroir et d’établir des stratégies durables de suppression des maladies. » Ses travaux visent à produire des micro-organismes et une microfaune locale provenant du milieu agricole et naturel, issus des litières de vers de terre épigés. Elle étudie ensuite les effets des ensemencements (ou inocula) des parcelles sur la restauration des fonctions du sol et l’effet des traitements foliaires sur l’efficacité des stratégies de lutte contre les maladies.
Ensemencement du système racinaire et foliaire
Entamée en 2022, son expérimentation se déploie sur un système non optimisé (sans engrais, sans pesticide ni irrigation) sur un vignoble, conduit par le passé en agriculture biologique puis en agroécologie à partir de 2019. Des vignes « peu productrices, ayant des carences multiples (fer, magnésium, phosphore), avec un sol très érodé, des ceps atrophiés, quasiment pas de fructification, beaucoup de maladies (érinoses, mildiou, oïdium), un tapis racinaire horizontal, ce qui pose un problème de compétition hydrique, de ruissellement, d’érosion et de faible résistance à la sécheresse ». Divers chantiers ont été entrepris. Les bâches sous terre ont été enlevées pour améliorer l’infiltration de l’eau et permettre aux plantes pionnières de pousser. Les sols ont été décompactés pour préparer le terrain à recevoir les traitements et ils ont été enrichis en matière organique. Les micro-organismes et microfaune locaux ont été élevés par une technique standardisée de vermicompostage pour obtenir un levain microbien du sol. Enfin, les traitements foliaires pendant la saison et les ensemencements au sol ont été réalisés.
Quels effets sur la lutte contre les maladies ?
Les stratégies de cette technologie « low-tech et low-cost » ont présenté des résultats préliminaires significatifs. Alors que l’année 2023 a été marquée par une forte pluviométrie et une grande pression du mildiou, 4 traitements foliaires et 8 ensemencements au sol ont été réalisés cette année-là. Des différences significatives de présence de maladie et une réaction très forte de la vigne traitée au vermicompostage ont été observés en 2023. « Seulement 20 à 25 % des vignes étaient infectées par l’érinose, le mildiou et l’oïdium, alors que les parcelles situées dans les modalités contrôle et agroécologique étaient infectées en moyenne à 80 %. » Les pieds de vignes y étaient aussi « moins carencés et résistaient mieux à la sécheresse en été » et la parcelle traitée « la dernière à perdre ses feuilles ». Les taux de biomasse foliaire sèche se sont améliorés également, signe d’une meilleure interaction entre la plante et le microbiome du sol, d’absorption des nutriments, de fructification et de vigueur des vignes. « Quelles que soient les variétés, ces effets significatifs, observations et tendances se sont maintenues en 2024 », informe Céline Basset.
Restructuration des sols et restauration du microbiome
Un effet significatif est observé aussi sur les capacités de rétention d’eau, avec des temps écourtés, amenant une meilleure infiltration de l’eau et moins d’érosion par rapport aux autres parcelles. La pénétrabilité du sol présente quant à elle une profondeur plus marquée : plus de 15 cm en 2023 puis de 30 à 32 cm en 2024, contre 5 à 8 cm sur les parcelles en modalités contrôle et 8 à 10 cm en agroécologique. « Ces résultats encourageants s’expliquent par le développement racinaire de la plante, des exsudats racinaires efficaces maintenant la biomasse microbienne et la cascade trophique. » La population microbienne et le rétablissement des réseaux trophiques diffèrent significativement selon les modalités de l’expérimentation et dans le temps. « La biomasse bactérienne et fongique évolue avec le vermicompostage en seulement un an, en passant à 1 195 mg/kg contre 826 mg/kg en agroécologie et 733 mg/kg en parcelle contrôle. Les modalités agroécologie et contrôle sont composées essentiellement de bactéries alors que la modalité vermicompost a en plus une biomasse fongique installée et des protozoaires. » En 2023, un rétablissement du 2e niveau trophique (biomasse fongique) et du 3e niveau trophique (protozoaires : amibes, flagellés et ciliés) est mis en évidence par la chercheuse, ainsi qu’une meilleure structuration du sol (galeries et tunnels) et une augmentation des qualités agronomiques. En 2024, les résultats sont dupliqués avec une première détection de nématodes bactérivores et fongivores (bénéfiques pour les cultures) et de microarthropodes pour la première fois dans ces parcelles depuis la mise en culture.
A.L.
1. Thèse menée au sein du Laboratoire de l’équipe Sécurité & Défense (ESDR3C) du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) Paris, en coopération avec le Dr. Lambert du Laboratoire d’Ecophysiologie végétale, Agronomie et Nutrition de l’UMPR Inrae-CNRS (université de Caen).