Cuma : 80 ans d’histoire et de solidarité
Nées en 1945, les premières coopératives d’utilisation de matériels agricoles (Cuma) ont permis aux agriculteurs français de relancer l’élevage et les cultures dans la période d’après-guerre. Récit.

C ette année 2025 marque les 80 ans de la Libération, mais aussi les 80 ans des Cuma, ces coopératives d’utilisation de matériels agricoles nées à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. « Après l’Occupation et les destructions massives liées à la guerre, la France se retrouve dans un contexte de pénurie alimentaire. L’État est alors fortement interventionniste pour surmonter cette pénurie, nourrir le peuple et reconstruire le pays », indique Véronique Lucas, sociologue rurale et chercheuse à l’Inrae. C’est le 12 octobre 1945 que le ministre de l’Agriculture en poste, François Tanguy-Prigent, ancien paysan nommé par le général De Gaulle, signe l’acte de naissance des Cuma (ordonnance n°45-2325). « Il avait lui-même créé, avant la guerre en 1928, une coopérative de battage, l’équivalent d’une Cuma, regroupant un certain nombre d’agriculteurs », souligne la sociologue. À cette époque, l’agriculture française est peu mécanisée, mais l’entraide entre agriculteurs voisins existe déjà depuis longtemps pour certains travaux saisonniers. Sous l’impulsion des pouvoirs publics, la création de ces coopératives a alors pour objectif de soutenir la modernisation des petites et moyennes exploitations et d’augmenter leur productivité de manière rapide.
L’âge d’or, puis le désenchantement…
L’instauration du plan Marshall, en 1947, va signer un premier tournant dans la toute jeune histoire des Cuma. « À ce moment-là, la France ne produit pas assez de tracteurs pour équiper l’ensemble des agriculteurs. On se tourne donc vers les États-Unis pour acquérir du matériel. Les tracteurs arrivant au compte-gouttes sur les marchés européens, Tanguy-Prigent prend la décision de réserver la vente de ces tracteurs aux Cuma, de manière qu’ils puissent être utilisés par un maximum d’exploitations », explique Véronique Lucas. Les Cuma vivent alors leur âge d’or, puisque près de 12 000 coopératives se créent assez rapidement à travers le pays, « parfois de manière fictive, voire opportuniste, pour acquérir un matériel », prévient la sociologue. Près de la moitié des Cuma sont dissoutes dans les années 1950. « On connaîtra ensuite un essor lent et progressif jusqu’aux années 1980, grâce notamment à la Jeunesse agricole catholique (JAC) qui accompagnera les agriculteurs et appuiera le développement des Cuma locales. Aussi, la crise pétrolière et la hausse du coût de la mécanisation ont rendu plus avantageux l’investissement collectif pour rationaliser ces coûts », ajoute-t-elle.
Près de 10 000 Cuma aujourd’hui en France
L’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, a permis d’acter l’année suivante les prêts bonifiés accordés aux Cuma, une aide financière sollicitée depuis longtemps. Cette aide, qui a redonné un nouvel élan aux coopératives (au nombre de 14 000 en 1990, ndlr), a été mise en place avec la ministre de l’Agriculture de l’époque, Édith Cresson. Initialement orienté vers l’achat de matériels en commun, le champ d’intervention des Cuma s’est au fil du temps élargi à des prestations d’épandage, d’implantation de cultures, d’appui technique, etc. « Entre 1980 et 1990, les Cuma se sont davantage développées en polyculture-élevage, là où les charges de mécanisation sont les plus élevées. De plus, nous avons vu se développer de nombreuses Cuma sur le pourtour méditerranéen, avec un plein essor des machines à vendanger. » Aujourd’hui, le réseau est constitué de près de 10 000 sociétés coopératives. « Nous avons recensé, ces dernières années, de nouvelles créations de Cuma liées à l’agriculture biologique, aux circuits courts, etc. En parallèle, d’autres Cuma ont fusionné, à cause de la baisse du nombre d’agriculteurs. Si d’autres alternatives, comme les entreprises de travaux agricoles (ETA) ne cessent de se développer, les Cuma se maintiennent dans le paysage agricole. »
Des défis d’envergure
Parmi les défis à relever, figurent ceux de la transition agroécologique et de l’innovation. « Le monde agricole est en constante évolution. Beaucoup de choses se développent aujourd’hui, en désherbage mécanique par exemple. De nouveaux équipements, de nouveaux besoins apparaissent et permettent de relancer la dynamique des Cuma », souligne Véronique Lucas. Par ailleurs, le renouvellement des générations peut être un atout pour la continuité des Cuma. « Les jeunes, qui doivent faire face à des coûts d’installation énormes, peuvent s’appuyer sur les Cuma pour bénéficier de matériels. Ils ont peu de leviers à activer, mais celui du matériel en commun en est un intéressant », ajoute Véronique Lucas. Désormais, les regards sont tournés vers l’avenir. Et pour la sociologique, le soutien du monde politique envers les Cuma devrait être un enjeu majeur. « De base, les politiques vont beaucoup plus encourager les exploitations individuelles que les collectives… Cependant, est-ce qu’ils vont enfin saisir l’intérêt et l’importance des Cuma ? Y aura-t-il encore des acteurs pour porter ce mouvement dans les décennies à venir ? » questionne Véronique Lucas. « Tous les éléments sont là pour que les Cuma se développent, tant pour la rationalisation des coûts, que la transition agroécologie et le renouvellement des générations », assure la sociologue.
Amandine Priolet
Repères
• Nombre de Cuma : 9 205
• Nombre d’adhérents de Cuma : 182 000 adhérents
• Chiffre d’affaires total des Cuma adhérentes au réseau : 693 M €
• Chiffre d’affaires moyen des Cuma : 75 000 €
• Nombre de matériels en Cuma : 250 000
Quelques matériels emblématiques :
• Télescopiques : 1 450
• Déchaumeurs : 8 190
• Ensileuses : 152
• Épandeurs à fumier
Tonnes à lisier : 14 910
• Faucheuses : 8 480
• Moissonneuses-batteuses : 2 060
• Bennes : 17 380
• Semoirs céréales -
monograines : 12 590
• Tracteurs : 6 910
• Machines à vendanger : 730
Source : Fédération nationale des Cuma Avril 2025
À paraître un livre sur l’histoire des Cuma
Le 5 juin prochain sortira le livre « Mécanique de la solidarité agricole : le récit méconnu des Cuma » aux éditions Les Petits Matins. Écrit par Lucie Suchet et Sophie Orivel, toutes deux salariées de la Fédération nationale des Cuma, ce livre retrace l’histoire de ces coopératives solidaires créées il y a 80 ans pour soutenir le monde agricole au milieu de ses grandes transformations. À travers cet ouvrage, les autrices ont recueilli une multitude de témoignages d’anciens adhérents des Cuma, mais aussi de personnalités publiques. « Nous avons réussi à rassembler les leaders agricoles de bords différents », indique Sophie Orivel, comme Christiane Lambert (ancienne présidente de la FNSEA), José Bové (ancien député européen et membre de la Confédération paysanne), Damien Lacombe (président de la Coopération agricole section lait et ex-président de Sodiaal), Stéphane Le Foll (ancien ministre de l’Agriculture), François Purseigle (sociologue), etc.
A.P.