Découverte
Le Cros  de l’Oume :  se reconstruire avec les chevaux

Éleveuse de chevaux depuis 2014 à Bézaudun-sur-Bîne, Ludivine a aussi développé une activité de médiation équine. Avec son projet associatif Loungta, elle propose des séjours pour les femmes victimes de violences.

Le Cros  de l’Oume :  se reconstruire avec les chevaux
Ludivine s’est installée en 2014. Avec sa ferme le Cros de l’Oume, elle propose une vision alternative de l’élevage et de la médiation équine. Elle a aussi créé Loungta, un projet de séjour pour les femmes victimes de violences qu’elle mène avec un noyau dur de bénévoles du territoire : Lorraine, Magalie, Jeanne, Caroline et Marc. ©EP-AD26

Après la descente du Col de la Chaudière, sur la commune de Bézaudun-sur-Bîne, le Cros de l’Oume se dessine en fond de vallée. Ludivine s’y est installée en 2014 comme éleveuse d’Irish cob, une race de chevaux irlandaise, plutôt rustique. Avocate de formation, et consultante dans l’environnement en parallèle, elle a attrapé le virus du cheval toute petite, en faisant notamment des compétitions en club. Mais le monde de l’équitation, elle ne le fréquente plus, lui préférant l’élevage. « Je rêvais d’ouvrir ma fenêtre et de voir mes chevaux », raconte-t-elle. C’est chose faite, même s’il a fallu se faire une place dans cette vallée drômoise. Pas facile de s’installer seule alors qu’au départ son projet devait se faire à deux. Pas facile non plus d’être une femme, néo-rurale de surcroît, à gérer une ferme. Mais la force de l’éleveuse, c’est sa passion pour son métier.
Aujourd’hui, Ludivine est intégrée dans le village, aux alentours, et plus personne ne remet en question sa légitimité. Elle a assimilé son métier au gré des saisons et de son intérêt croissant pour la gestion des prairies, les connaissances vétérinaires liées aux chevaux ou encore la biodiversité…

Une approche différente

« Il a fallu apprendre sur le tas, explique-t-elle les yeux rieurs. L’élevage requiert des connaissances bien spécifiques. » Elle se rappelle par exemple une mise bas de poulain qui s’est mal engagée. « J’ai dû faire la mise bas avec les vétérinaires au téléphone, à trois heures du matin car ils étaient trop loin. » Cette anecdote lui permet de rebondir : « J’ai beaucoup de soutien moral ». En parallèle, elle s’est également plongée dans des usages vétérinaires alternatifs comme l’homéopathie, la phytothérapie, la gemmothérapie et tout ce qui a trait à l’alimentation naturelle. « Je me suis aussi passionnée pour la gestion des prairies, la compréhension des besoins alimentaires et physiologiques du cheval », souligne-t-elle. Cette forme de « permaculture équine » lui a également permis de se questionner sur les pâturages : « L’irish cob est une race rustique, donc il leur faut de l’herbe riche, des arbres fourragers, des haies… » Pour elle, il est important de montrer « qu’on peut subvenir à ses besoins en préservant la biodiversité dans un modèle paysan ». Mais Ludivine n’interroge pas que la gestion de la santé de ses animaux, elle est également très attentive à leur vie après. « Quand je vends un poulain j’essaie de former les acheteurs », indique-t-elle. C’est « la clé de voûte de son élevage » de garantir à ses poulains une vie en troupeau et le plus possible en prairie, car pour elle il s’agit avant tout d’éthique, avec des conditions d’accueil optimales. « L’objectif est que les acheteurs gardent le cheval à vie. »
L’éleveuse sélectionne aussi ses chevaux sur le mental : « J’aime faire des chevaux gentils, proches de l’Homme et garder leur rusticité ».

De la médiation pour les femmes victimes de violences

Après quelques années difficiles côté élevage, entre une maladie qui a touché ses juments et la crise sanitaire en 2020, Ludivine a eu envie de mettre en place de la médiation équine pour différents publics. « La vision de départ était vraiment tout public, mais le premier public a été les femmes victimes de violences », explique-t-elle. En effet, une femme est venue se mettre à l’abri chez elle et a profité de la médiation avec les chevaux. Puis, une deuxième femme est également venue pour se reconstruire pendant deux mois. De cette seconde rencontre, et premier long séjour, un documentaire est né. C’est l’impulsion qui a permis à Ludivine de créer Loungta, une association dédiée à l’accueil de femmes victimes de violences à la ferme, avec de la médiation équine. Cette approche permet souvent un positionnement différent des femmes face à l’animal, une compréhension de ce qu’elles ont vécu et un apaisement aussi.
Rapidement, l’idée d’un séjour pour les femmes victimes de violences est née : « On a foncé car il y avait une super équipe de bénévoles », explique Ludivine. Cinq femmes sont venues début juillet 2023 pour une semaine et ont bénéficié, gratuitement, de médiation équine et autres ateliers. Toutes étaient suivies par des associations et dans des situations de « déconjugalisation », autrement dit elles ne vivaient plus avec leur ex-conjoint violent. Loungta s’insère dans une brèche : la reconstruction. Car les suivis juridiques, associatifs, médicaux ne suffisent souvent pas à avancer. Pour cette première édition du séjour, les médiations équines se sont faites en collectif, mais des ajustements sont déjà en cours pour que les femmes puissent bénéficier de médiations individuelles. Le projet est donc à suivre !  

Elodie Potente

L’élevage de chevaux, une filière difficile
Ludivine a choisi la race irish cob pour son élevage, une race rustique utilisée historiquement par les gens du voyage pour tirer leur roulotte. ©EP-AD26

L’élevage de chevaux, une filière difficile

Ludivine l’admet, la filière de l’élevage de chevaux est complexe. Elle a réduit son cheptel suite à une maladie : aujourd’hui, elle a six juments et un étalon et vend quatre à cinq poulains par an. « La race est adaptée à des balades, des loisirs et bien sûr à l’attelage », précise-t-elle. Elle a douze hectares de prairies sur place et bénéficie de vingt hectares en commodat de pâtures, dont une grosse partie en forêt.
« La plupart des éleveurs vivent difficilement de ce métier, sauf les grosses structures », déplore-t-elle. C’est pourquoi elle a gardé son activité de consultante et développé la médiation équine sur sa ferme. La filière est concurrentielle, même si pendant la crise sanitaire le cours du marché s’est envolé. Avec sa race irlandaise, Ludivine tire son épingle du jeu, le Brexit ayant rendu compliqué l’import d’Irish cob.