Fiscalité
La viticulture face au mur de la transmission

Les vignerons d’appellation lancent un appel à destination des parlementaires pour adapter la fiscalité de la transmission des exploitations. Ils réclament un alignement avec le pacte Dutreil pour maintenir le modèle familial aujourd’hui en péril.

La viticulture face au mur de la transmission
La proposition du projet de loi de finances pour 2025, qui envisage de porter de 500 000 € à 600 000 € l’abattement de 75 % sur la valeur des biens ruraux transmis sous condition de bail à long terme à un jeune agriculteur ou jeune installé « manque de pertinence pour répondre aux défis réels des transmissions des exploitations viticoles », estime la Cnaoc. ©I-Stock

Les grands vignobles français se mobilisent pour obtenir une inflexion de la fiscalité sur la transmission des exploitations viticoles, qu’ils estiment inadaptées à la valeur actuelle de certains domaines mais aussi au profil des vignerons repreneurs, globalement plus âgés. « La transmission des terres agricoles ne bénéficie pas des mêmes conditions d’exonération que d’autres secteurs. Cela fait que nous sommes de plus en plus obligés de vendre au lieu de transmettre pour payer la succession », a expliqué dernièrement Maxime Toubart, le président du Syndicat général des vignerons (SGV) de la Champagne, lors d’une conférence organisée en partenariat avec la Confédération nationale des appellations d’origine contrôlée (Cnaoc).
Le cas -extrême- de l’acquisition d’une parcelle en Bourgogne de 1,3 hectare de Pernand-Vergelesses, Corton grand cru et Romanée-Saint-Vivant grand cru par un grand groupe français de luxe il y a quelques semaines, a été particulièrement commenté. L’acheteur (LVMH) a en effet déboursé par moins de 15,5 millions d’euros pour devenir propriétaire de ces vignes que le domaine Poisot père & fils continuera d’exploiter. « Le vignoble de ma région est de plus en plus exposé à la spéculation foncière », constate le bourguignon Thiébault Huber, trésorier de la Cnaoc. Une flambée des prix sans rapport avec la rentabilité des vignobles qui affecte la Champagne (où le prix moyen de l’hectare dépasse le million d’euros) mais aussi certaines appellations du Bordelais ou d’Alsace.

Une fiscalité inadaptée à la réalité économique

Le dispositif fiscal actuel destiné à faciliter la transmission des biens ruraux (abattement des baux à long terme) prévoit un abattement de 75 % lors de la transmission sur la valeur des vignes transmises. « Mais le plafonnement à 500 000 €, bien en deçà de la valeur du foncier dans certaines régions viticoles, est aujourd’hui inadapté », argumente Thiébault Huber. Les vignerons de la Cnaoc militent pour que la transmission des exploitations viticoles relève du Pacte Dutreil (qui s’applique à toutes les entreprises) qui offre également un abattement de 75 % sur la fiscalité de la transmission des entreprises familiales mais sans aucun plafond. « Cela permet aux entreprises de continuer à générer des emplois et des impôts, ce qui compense largement les allégements fiscaux », estime Maxime Toubart, le président du SGV.
La proposition du projet de loi de finances pour 2025, qui envisage de porter de 500 000 € à 600 000 € l’abattement de 75 % sur la valeur des biens ruraux transmis sous condition de bail à long terme à un jeune agriculteur ou jeune installé « manque de pertinence pour répondre aux défis réels des transmissions des exploitations viticoles », estime la Cnaoc. Outre que les montants envisagés restent inférieurs à la valeur réelle des terres viticoles dans de nombreuses régions de France, l’orientation exclusive vers les jeunes agriculteurs est, selon la Cnaoc, « injustifiée ».
« Cibler uniquement les jeunes agriculteurs comme bénéficiaires de la mesure crée une distorsion qui ne reflète pas la diversité des situations dans le secteur agricole », selon Maxime Toubart. En effet, les transmissions familiales ne concernent pas exclusivement les jeunes agriculteurs en viticulture. Bien souvent, les héritiers ou repreneurs potentiels ont plus de 40 ans. « Limiter l’abattement à ceux qui louent aux jeunes agriculteurs crée une inégalité de traitement, ne tient compte ni de la réalité de terrain, ni de la pyramide des âges », assurent les vignerons de la Cnaoc. Le texte budgétaire en discussion à l’Assemblée nationale ne concrétise donc ni les promesses, ni les attentes de la viticulture. « Or le temps presse », insiste-t-on du côté viticole. La France perd des vignerons d’années en années avec -3 % en Champagne, -5 % en Charente, -14 % en Bourgogne, -17 % à Bordeaux et -20 % en Alsace depuis 2010 selon le recensement agricole 2020. « Le modèle viticole familial, qui constitue l’épine dorsale de la viticulture française, est menacé, estime le bordelais Jean-Marie Garde. La viticulture française ne se résume pas à des hectares de vignes : c’est un écosystème vivant, composé de PME familiales qui font vivre les villages et dynamisent les zones rurales. » 

La rédaction