Exposition
130 œuvres de Miró exposées  au musée de Grenoble 

Le musée de Grenoble accueille jusqu’au 21 juillet 2024 une exposition événement avec 130 œuvres de Miró prêtées par le Centre Pompidou.

130 œuvres de Miró exposées  au musée de Grenoble 
Joan Miró, La course de taureaux, 8 octobre 1945. © RMN-Grand Palais / Adam Rzepka / Centre Pompidou, MNAM

«Une œuvre incandescente, une révolte intérieure », les mots d’Aurélie Verdier, conservatrice en chef du Centre Pompidou, musée national d’art moderne, sont à la hauteur de la magnificence de l’exposition Miró présentée jusqu’au 21 juillet au musée de Grenoble. L’exposition, intitulée « Un brasier de signes », « n’est pas seulement une rétrospective, mais aussi le parcours d’un artiste plus complexe et ambivalent », déclare la conservatrice. En 18 salles et 132 œuvres, dont 130 issues de la fondation Pompidou, le visiteur chemine avec l’artiste catalan, depuis ses œuvres primitives de Montroig jusqu’aux trois bleus, à l’apogée de son art.

Inspiration surréaliste

C’est « La Fermière », tableau exécuté en 1923, qui accueille le visiteur dans la première salle de l’exposition. Période détailliste, travaux inspirés du cubisme et du fauvisme, le peintre, déjà singulier, se nourrit de l’univers de la ferme achetée par ses parents près de Tarragone en 1910.
L’ambivalence est déjà là. « Miró est un artiste que l’on peut toujours relire. Il n’y a pas seulement une dimension enfantine et joyeuse dans son œuvre, mais aussi une violence qui innerve son parcours », lance Sophie Bernard, conservatrice en chef des collections d’art moderne et contemporain du musée de Grenoble. En 1920, le peintre s’installe à Paris « et tout bascule dans une autre dimension », selon Aurélie Verdier. Deux salles sont consacrées aux « Peintures de rêve ». L’artiste produira une centaine d’œuvres jusqu’en 1927, selon son propre langage inspiré des surréalistes. L’épure de « La Sieste » est l’écho d’une vision qui balance entre composition et suggestion. Mais déjà pointe le bleu catalan des « Baigneuses » où motifs, signes et écritures figurent au même plan que les astres et les étoiles, dans un univers onirique et romantique. Ces œuvres marquent la naissance du « Mirómonde ».

Période sombre

Les années trente sont celles « d’une certaine mutation chez Miró. Derrière une douceur, on perçoit une inquiétude », décrit Sophie Bernard. Alors que l’année 1928 est inspirée par l’univers du cirque et la rencontre avec Calder, le doute s’empare de l’artiste à partir de 1929 qui déclare son « adieu à la peinture », en signant des tableaux iconoclastes. Parmi elles, en salle 5, « La Danseuse espagnole » se décline en un bouchon de liège, une plume et une épingle à chapeau. Georges Bataille parle « des résidus d’un désastre ». La danseuse jette le trouble, dépouillée, érotique, sensuelle et d’une simplicité déconcertante. Suivent les « Peintures sauvages », période sombre qui répond en écho aux bruits de bottes partout en Europe. Les pastels figurent « des personnages ubuesques et grimaçants ». Sophie Bernard souligne « la dualité de figures grotesques et enfantines, des êtres obscènes qui incarnent la peur et la montée des périls des années trente ». La série emblématique des « Constellations », en salles 6 et 7, relève de la période normande de Miró à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale. Pas moins de 22 gouaches de petit format composent cet ensemble éblouissant et étoilé, inspiré des cieux normands. Onirismes, évasion, féminité, oiseaux : « les Constellations saturent l’espace mental », déclarent les conservatrices, comme une forme de résistance au conflit.

Voyages 

En 1947, l’artiste se rend aux États-Unis. C’est à la fois un choc et un nouvel élan. La grandeur l’inspire. Miró veut « en finir avec la peinture de chevalet ». Parmi ses grands formats, la « Grande bande », en salle 7, est une fresque pariétale aux tons bruns sur laquelle il décline son propre langage constellé.
Le peintre s’installe à Palma de Majorque en 1956 où il dispose enfin de son grand atelier. « Il expérimente alors toutes sortes de supports. C’est une période de totale liberté », signale Sophie Bernard. En salle 8, ses personnages des années soixante, épousent des lignes épurées, comme « Personnage devant le soleil », naïf, poétique, émouvant.
Après les trois bleus, la salle 10 est consacrée au voyage au Japon de Miró, au cœur des années soixante. Ces encres de Chine sur papier sont d’« un dépouillement absolu », exprime Aurélie Verdier. L’artiste apprend la calligraphie auprès d’artistes japonais et livre le pochoir « Silence », comme un message politique dans le brouhaha du monde.

Violence et exubérance

Les années soixante-dix sont celles de « l’exil intérieur ». Au centre de la salle 11 trône une sculpture masculine composée d’un robinet humoristique éminemment phallique. « Une façon de se moquer de Franco ou qui renvoie à Ubu roi », décrypte la conservatrice. « Les peintures de Miró d’après-guerre prennent une dimension physique », commente Sophie Bernard, à l’image de « Personnages et oiseaux dans la nuit », en salle 12, inquiétantes silhouettes noires sur fond embrasé.
Les dernières salles de l’exposition proposent des créations d’une dimension plus urbaine, prises dans une inspiration définitive et anticonformiste où l’artiste se joue de tous les matériaux déclinant à l’envi ses thèmes favoris, femmes, oiseaux, symboles. Il « joue de l’accident », déchirant, brûlant ses supports pour en faire des œuvres totales. « C’est un peintre de la 
démesure », observe Sophie Bernard en décrivant « la violence expressive » des dernières années du peintre.
L’exposition phare 2024 du musée de Grenoble compte aussi de nombreuses sculptures et céramiques de l’artiste, reconnu « parmi les plus grands céramistes du siècle », précise la conservatrice.

Isabelle Doucet

Crédits photos : Successió Miró-ADAGP, Paris 2024
Trois bleus 
Joan Miró, Bleu II, 4 mars 1961. © RMN-Grand Palais / Audrey Laurans / Centre Pompidou, MNAM

Trois bleus 

« Un lieu intimidant de beauté ». En présentant ces toiles emblématiques « rarement prêtées par le Centre Pompidou », Aurélie Verdier, conservatrice en chef de l’établissement parisien, laisse poindre un soupçon d’émotion. Une salle du musée de Grenoble est entièrement consacrée au triptyque paroxystique de l’art de Miró. Ces toiles monumentales (2,70 X 3,50 m) ont été réalisées à partir de mars 1961 dans l’atelier de l’artiste à Palma de Majorque. « Longtemps méditées et produites rapidement, selon la conservatrice, elles plongent le spectateur dans un état de méditation », inhérent à leur 
« esthétique zen ». Elle ajoute : « Miró les voulait réunies en un seul endroit, ce que le Centre Pompidou a mis quinze ans à réaliser », de 1984 à 1997.  Le bleu céleste de ces huiles sur toile est d’une profondeur telle que le regard est absorbé par le mouvement de l’artiste, épouse les nuances, se disloque dans les points de l’œuvre Bleu I, de part et d’autre d’un fil ténu. La ligne rouge n’est encore qu’un trait. Tout s’ordonne dans l’œuvre Bleu II, tel un souffle, une invitation au départ. Trait et points qui disparaissent dans l’œuvre Bleu III, comme une libération amniotique, là où le regard se pose, là où il s’échappe.

I. D. 

Biographie 

Miró est né le 20 avril 1893 à Barcelone. L’artiste catalan passe sa jeunesse à Montroig et Barcelone puis s’installe à Paris dans les années 1920. Il devient alors une des figures du mouvement surréaliste. Il expose pour la première fois en 1921 à Paris. Il est en Espagne durant les années de guerre et se rend aux États-Unis pour la première fois en 1947 où il expose à la Pierre Matisse galerie (fils d’Henri Matisse). En 1956, il s’installe dans son nouvel atelier à Palma de Majorque, puis voyage dans le monde où il puise ses nouvelles inspirations : États-Unis, Japon... Le Centre Pompidou a  acquis une très grande collection des œuvres de l’artiste des années 1960 et 1970. La Fondation Joan Miró ouvre en 1976 à Barcelone. Miró meurt le 25 décembre 1983 à Palma de Majorque.