Essais
La fertilité des sols sans apport d’effluents d’élevage

Une journée technique Tech & Bio, organisée dernièrement dans la Drôme, a rendu compte des résultats de l’essai système de Dunière réalisé depuis 1999 à la ferme expérimentale d’Étoile-sur-Rhône. L’objectif était de tester des rotations, d’apporter ou pas du phosphore et de la potasse pour observer au fil du temps comment évolue la fertilité des sols.

La fertilité des sols sans apport d’effluents d’élevage
A la ferme expérimentale d’Étoile-sur-Rhône les participants à la journée technique ont pu prendre connaissance des résultats de l’essai système de Dunière, mais aussi de ceux de l’Observatoire du projet Phospho-Bio. © LG

La question majeure de la journée technique du 31 mai a porté sur l’évolution de la fertilité chimique des sols au regard de leur teneur en phosphore1 (P) mais aussi en potasse (K). Les quatre-vingts participants ont pu prendre connaissance des résultats collectés grâce à l’essai système de Dunière, mais aussi dans le cadre de l’Observatoire du projet PhosphoBio. D’autres ateliers ont porté sur la mycorhization et ses intérêts pour les cultures, la matière organique et la fertilisation PK de la luzerne porte-graine. L’interrogation qui a présidé à la mise en place de la plateforme de Dunière était de savoir comment on peut développer les grandes cultures bio sans disposer d’assez d’effluents d’élevage pour les amender ? Une question qui reste d’actualité au plan national alors que les conversions augmentent. Jean Champion, conseiller grandes cultures bio à la chambre d’agriculture de la Drôme, a présenté l’historique des essais et rotations sur cette unité de trois hectares et la mise en place de la variante en phosphore en 2005. Il a également présenté la dernière expérimentation qui depuis 2019 met en œuvre différentes stratégies de fertilisation phospho-potassique en modulant l’apport de chaque élément sur chaque parcelle et chaque culture.

L’observatoire PhosphoBio

Une autre collecte de données a été réalisée en Occitanie. Un premier observatoire des sols a été mis en place chez cinquante agriculteurs bio afin d’analyser la baisse de disponibilité en phosphore. « J’ai été alerté par les remarques d’agriculteurs quant à la baisse de fertilité de leurs terres, et cela n’est pas spécifique à la bio. Nous avons analysé les pratiques culturales et tenu compte de l’ancienneté des pratiques en bio pour mesurer la teneur en phosphore », a expliqué Régis Hélias (Arvalis). Deux groupes d’exploitations ont été retenus, l’un pour les convertis en bio depuis six à neuf ans, l’autre pour ceux qui étaient en bio depuis plus de quatorze ans. « Les résultats ont montré une différence significative sur l’ensemble de ces parcelles et leurs faibles teneurs en phosphore mesurées avec la méthode Olsen2. Alors que la moyenne en France est de 50 mg/kg, 80 % des parcelles de l’observatoire se trouvaient en dessous de 25. Les teneurs les plus élevées se trouvaient là où avait été apporté du compost de déchets verts », a précisé Régis Hélias. Globalement, les apports en fertilisation semblaient avoir fait la différence. Par ailleurs, la teneur en phosphore ne semblait pas avoir de lien avec les rendements observés. 
En 2017, l’observatoire a été étendu au-delà des limites régionales dans le cadre de PhosphoBio et concerne aujourd’hui deux cents parcelles pour cent-cinquante-huit agriculteurs dont des éleveurs. « Il a semblé important de faire un état des lieux de la fertilité en phosphore pour les cultures bio de façon à pouvoir adapter les référentiels. Il faut tenir compte de la réglementation sur l’usage des effluents et des limites des ressources en fertilisants. Sur ces parcelles, nous avons réalisé des analyses de terre et de végétaux, et enquêté sur les pratiques culturales », a détaillé Grégory Véricel (Arvalis).

Le bilan

Ce travail n’a pour l’instant pas permis d’établir une relation effective entre la présence de phosphore et la matière organique. Il apparaît également que la teneur en phosphore est plus faible dans le Sud-Ouest que dans d’autres régions. L’objectif est de pérenniser cet observatoire afin de mieux comprendre le rôle de la fertilisation phosphatée et de voir si de faibles teneurs en phosphore en bio ont un effet sur le rendement, en culture irriguée ou pas. En guise de conclusion, des pistes ont été proposées. Il apparaît que pour apporter du phosphore disponible, les effluents d’élevage et le compost de déchets verts sont les plus efficaces. « C’est la stabilité des teneurs en phosphore qui est à vérifier, avec la réalisation d’analyses de sol régulières. La baisse de fertilité sur des seuils bas sera difficile à redresser à court terme », a souligné Régis Hélias.
Louisette Gouverne

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(1) Le phosphore est le cinquième élément le plus abondant en biologie après l’hydrogène, le carbone, l’oxygène et l’azote. Il est commun à toute forme de vie.
(2) Méthode Olsen (P2O5 Olsen) : méthode d’extraction dite douce adaptée aux sols neutres ou calcaires. Elle extrait une quantité de phosphore plus faible que les deux autres méthodes utilisées en France. La valeur obtenue est probablement plus représentative du phosphore biodisponible. 

Recherche : les indicateurs de fertilité
Anne-Sophie Perrin de Terres Inovia. ©LG

Recherche : les indicateurs de fertilité

La recherche se poursuit pour améliorer la connaissance du fonctionnement des sols. Elle contribue à la mise au point d’outils plus ou moins sophistiqués apportant des indicateurs sur la fertilité des sols, sous l’angle physique, chimique ou biologique. Anne-Sophie Perrin (Terres Inovia) a rappelé qu’il n’y a pas de définition de la fertilité pour tous les sols, elle dépend du type de sol, des usages et des plantes qui s’y trouvent. Elle a passé en revue les divers types d’indicateurs de fertilité physique, chimique et biologique, et les tests ou analyses associés. Pour faire un état de la fertilité physique, le slack test se réalise au champ, de même que le test de la bêche. Utile également, la méthode Beerkan pour mesurer la vitesse d’infiltration de l’eau. La fertilité chimique se mesure au laboratoire et indique la capacité d’un sol à favoriser les échanges cationiques et ses teneurs en éléments, qui ne sont plus disponibles lorsque le pH se situe entre 6 et 6,5. Enfin, le fonctionnement biologique d’un sol peut être analysé en mesurant la quantité d’organismes le composant et les activités biologiques (flux). Le projet Microbioterre (essais sur dix-huit sites en France depuis 2017) cherche à évaluer et référencer les indicateurs de microbiologie des sols et les intégrer dans les analyses de terre de routine. L’objectif est d’améliorer les restitutions organiques et le recyclage de l’azote. Des référentiels par pratique agricole et régionaux sont en cours de développement pour établir des liens entre ces données et la fertilité. Un guide d’interprétation des indicateurs à destination des conseillers et agriculteurs sera disponible cet été. Enfin, en bord de champ, il est possible d’utiliser le set Biofunctool mesurant neuf indicateurs de trois fonctions du sol. Il permet de comparer des pratiques dans un même contexte pédoclimatique. Reste, là aussi, à construire des référentiels pour les indicateurs. 

L. G.

L’essai système de Dunière

Arvalis a synthétisé les essais réalisés entre 2006 et 2018 sur la parcelle de 3 ha de Dunière (pH8), irriguée initialement et découpée en deux parties : une nord (sans phosphore) et une sud (apports de phosphore plus ou moins importants). Les engrais riches en phosphore étant des farines de viande ou du guano. Entre 2005 et 2019, les rotations ont été modifiées à trois reprises. La méthode du bilan cumulé en éléments minéraux a été utilisée pour l’étude, soit l’écart entre les apports (engrais organiques) et les exports (par les grains récoltés) additionnés chaque année. En conclusion, sans apport important de phosphore, le bilan est négatif et les teneurs chutent de façon linéaire. Avec apport, le bilan est positif et permet de maintenir des teneurs en phosphore acceptables. Par ailleurs, s’il n’y a pas d’apport, les rendements baissent : colza (- 17,6 %), blé (- 11,6 %), maïs (- 11,5 %). Dans les parcelles amendées, la hausse de rendement permet de compenser le surcoût des engrais riches en phosphore (150 à 230 €/ha). L’expérience est modifiée entre 2019 et 2024, la parcelle est également découpée dans le sens Est-Ouest. À l’Est, il y a apport de potassium (Patenkali) pour couvrir 1,5 fois les exports. L’objectif est d’évaluer les interactions entre phosphore et potassium dans un système de grandes cultures en bio sans apport d’effluents d’élevages. Les premiers résultats montrent que les apports de potassium semblent avoir un effet positif sur les cultures. Les mesures vont continuer sur trois récoltes supplémentaires. 
L. G.