Grand témoin
Souveraineté alimentaire : « Tout n’est pas foutu »

Président de la coopérative et du groupe Limagrain, l’un des leaders mondiaux de la semence, Sébastien Vidal évoque la question de la souveraineté alimentaire.

Souveraineté alimentaire : « Tout n’est pas foutu »
À date, 50 % de l’alimentation consommée en France métropolitaine est importée : « C’est énorme, alerte Sébastien Vidal, président de Limagrain. Ça devrait nous interpeller. Ça veut dire que, si demain un conflit fermait d’autres canaux d’exportation, on ne pourrait pas couvrir nos besoins et ceux de nos enfants... » © Denis Pourcher

Souveraineté alimentaire, un concept devenu aussi anachronique au début du XXIe siècle en France qu’un téléphone pour… simplement téléphoner. Du moins jusqu’au 16 mars 2020 et au cataclysme de la Covid-19. Depuis, comme souvent d’ailleurs, le constat est que ceux qui affichent les plus grandes ambitions en la matière, à grand renfort de discours volontaristes, sont peut-être ceux qui pratiquent le moins ce qui s’est imposé comme un enjeu géopolitique des années et décennies à venir.
Dernièrement, devant un parterre de chefs d’entreprise, responsables agricoles et partenaires de la CCI du Cantal, Sébastien Vidal a d’emblée tempéré les attentes : « Mon métier, ce n’est pas conférencier, c’est producteur de blé, de maïs 
(y compris semences), de tournesol, d’ail et d’un peu de vigne », a introduit le président de Limagrain, convié comme grand témoin à intervenir sur cette question de la souveraineté alimentaire. Un sujet sur lequel la coopérative de Limagne et le groupe Limagrain qui lui est adossé (« et pas l’inverse » a-t-il insisté) s’investissent depuis plusieurs décennies déjà. Crise du Covid, guerre en Ukraine, aléas climatiques extrêmes ont eu pour effet de faire prendre conscience aux consommateurs, comme aux politiques, que l’abondance de biens alimentaires dans les rayons des grandes surfaces n’était peut-être plus un acquis ad vitam æternam. Pourquoi ? Parce qu’au-delà des séismes climatiques, sanitaires et géopolitiques, la France a laissé filer ou s’effriter une partie de sa production et donc sa capacité à nourrir ses habitants, y compris dans la filière céréalière. La preuve, « même en augmentant de 17 % la capacité de production de nos usines pendant le premier confinement, en demandant à nos collaborateurs de venir travailler malgré le risque Covid, on n’a pas réussi à subvenir aux besoins en pain des Français, une partie de la consommation étant couverte par des céréales produites hors d’Europe ».

La France dépendante à 50 % pour son alimentation

Deuxième constat mis en exergue suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie : l’Europe et surtout la France ont perdu leur vocation exportatrice. La France a ainsi dégringolé de la deuxième à la cinquième place dans le palmarès mondial des puissances exportatrices. « L’Europe n’est plus ce grand ensemble agricole. Aujourd’hui, les principaux pays producteurs sont ceux d’Amérique du Sud, une région accaparée par la Chine, les États-Unis qui exportent beaucoup vers les pays en voie de développement - c’est une façon pour eux d’aider ces pays-là quand nous on leur envoie de l’argent - et puis il y a la Russie et jusqu’à peu l’Ukraine », a résumé Sébastien Vidal. Non sans préciser l’impact du conflit sur les flux migratoires, les pays arabes du pourtour méditerranéen étant totalement dépendants des exportations céréalières de ces deux pays, contrairement à l’Europe. « Une population qui a faim, il est normal qu’elle bouge ; quand on touche à la question de la souveraineté alimentaire, on touche à la question migratoire », a-t-il complété.
Troisième paramètre à intégrer dans cette équation, le climat et les évolutions rapides à l’œuvre. Avec une mise au point du patron de Limagrain : « Contrairement à ce que certains prétendent, notre planète a toujours la même quantité d’eau à la goutte près depuis son origine, ce qui change, ce sont les moments et les endroits où elle tombe. » À date, 50 % de l’alimentation consommée dans l’Hexagone est importée : « C’est énorme, a alerté l’agriculteur puydomois. Ça devrait nous interpeller. Ça veut dire que, si demain un conflit fermait d’autres canaux d’exportation, on ne pourrait pas couvrir nos besoins et ceux de nos enfants... » Faut-il donc se préparer à la pénurie comme nos voisins anglais, encore fragilisés par le Brexit ?

Créer des variétés plus résistantes

Point de fatalisme dans l’intervention du président de Limagrain, au contraire, la situation étant à ses yeux réversible sous certaines conditions. En premier lieu donner au premier maillon, celui de la production, les moyens de produire ! Et de s’adapter au changement climatique. Le secteur R&D de Limagrain est capable aujourd’hui de mettre au point de nouvelles variétés semencières plus résistantes au stress hydrique, mais « il faut dix ans pour le faire si tout va bien, a glissé Sébastien Vidal. On pourrait gagner trois ans en utilisant les NTG (nouvelles technologies génomiques) comme la mutagénèse dirigée ». Des techniques dont le seul nom fait peur, « car on n’explique pas ce que c’est, déplore le semencier. Dans un ha de blé, il y a des milliers de mutations naturelles qui se produisent tous les ans, la mutagenèse est un processus destiné à maîtriser ces mutations. »

Stockage de l’eau

Deuxième levier pour reconquérir une meilleure autonomie alimentaire, la ressource en eau. « Pas question d’accaparer l’eau pour l’usage agricole », a nuancé Sébastien Vidal, qui prône le développement du stockage de l’eau de pluie dans des réserves, voire à grandes échelles (lacs de barrage...). « Le Massif central n’est pas le château d’eau qu’on présente mais une chasse d’eau ! Les trois quarts de l’eau qui tombe partent jusqu’à la mer. Nous, on propose de la stocker, sachant que l’idée n’est pas d’irriguer 100 % des surfaces agricoles mais au moins de doubler notre capacité d’irrigation qui est aujourd’hui de 6 % des terres agricoles en France contre 22 % en Espagne », a affiché le président de Limagrain, rappelant que cet été, sans le barrage de Naussac, les Clermontois n’auraient pas eu une goutte au robinet.

Redonner du pouvoir d’achat… aux producteurs !

Troisième axe stratégique : la rémunération des agriculteurs. Si les lois Egalim 1 et 2 ont eu selon lui un impact positif avec la prise en compte des coûts de production, Sébastien Vidal estime qu’il faut aller encore plus loin dans les filières et la valorisation des productions. « La profession agricole a son rôle à jouer en modernisant les outils coopératifs et en allant plus loin dans les services rendus aux consommateurs », a avancé le Sébastien Vidal, regrettant par ailleurs la position de la grande distribution tricolore autoproclamée défenseur du pouvoir d’achat des Français, mais pas de celui des paysans. « Sans la souveraineté alimentaire, on serait un peuple nomade », a conclu l’agriculteur-conférencier, rappelant au passage qu’avec 800 millions de personnes qui souffrent de faim dans le monde, la souveraineté alimentaire était un enjeu national, européen mais « avant tout et surtout mondial ».

Patricia Olivieri