HYDROGÉOLOGIE
« La situation des nappes demeure peu satisfaisante »
Jeudi 13 avril, Violaine Bault, ingénieure hydrogéologue au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a présenté le bulletin de situation hydrogéologique des sols de l’Hexagone au 1er avril. Les niveaux sont historiquement bas dans le Var et dans la plaine du Roussillon.
Les nappes phréatiques françaises ont-elles pu être rechargées cet hiver ?
Violaine Bault : « Traditionnellement, la période de recharge des nappes est d’octobre à avril. Or, cet automne, les pluies ont été déficitaires et la végétation est restée active tardivement. La pluie a été reprise par la végétation et n’a pas pu s’infiltrer en profondeur. La recharge a été active en décembre et en janvier, puis elle a connu un arrêt brutal avec une absence de pluviométrie de fin janvier à fin février. En mars, il a plu sur tout le territoire, excepté sur le pourtour méditerranéen. L’impact sur les nappes est donc hétérogène : 41 % des points d’observation sont en hausse, 32 % sont stables, mais 27 % restent en baisse. Les pluies ont principalement servi à humidifier les sols et ont eu du mal à s’infiltrer en profondeur. »
Quel a été l’impact des pluies survenues au mois de mars ?
V. B. : « Les précipitations du mois de mars ont engendré des épisodes de recharge sur les secteurs les plus
arrosés, notamment à l’ouest du territoire. Néanmoins, la situation des nappes demeure peu satisfaisante sur une grande partie du pays, puisque 75 % des niveaux restent sous les normales mensuelles (contre 58 % en mars 2022), avec de nombreux secteurs affichant des niveaux bas, voire historiquement bas, comme dans le Var et le sud de la Drôme où il ne pleut pas depuis plusieurs mois. Nous démarrons le printemps avec des niveaux très en dessous de ceux de
l’année dernière. »
Actuellement, quelles sont les nappes dont les niveaux sont les plus faibles ?
V. B. : « Les arrêtés sécheresse commencent à être pris dans le bassin parisien. Dans cette zone, les nappes inertielles* vont se dégrader lentement puisqu’elles sont fortement sollicitées par nos multiples usages de l’eau. La situation est similaire pour les nappes inertielles du couloir Rhône-Saône, qui affichent des niveaux bas à très bas, du fait de plusieurs recharges hivernales successives peu intenses. La nappe inertielle de la craie champenoise, malgré des niveaux en hausse en mars,
affiche des niveaux très bas, dus à une recharge déficitaire. Enfin, les nappes de l’aquifère multicouche du Roussillon connaissent une situation inédite depuis l’instauration de seuils de gestion. Du fait d’un déficit pluviométrique très marqué ces derniers mois, les niveaux des nappes sont bas à très bas pour un mois de mars. »
Quels secteurs inquiètent particulièrement le BRGM ?
V. B. : « Les niveaux sont historiquement bas dans le Var et dans la plaine du Roussillon. La situation est tout de même assez inquiétante, puisque quasiment toute la France est touchée par ce phénomène. En 2019 et 2022, la situation des nappes était déjà particulièrement basse. Ce ne sont plus des cycles pluriannuels (cinq à sept ans) de hautes eaux et basses eaux. Dorénavant, le territoire cumule les années sèches où toutes les ressources en eau (barrages, retenues d’eau, cours d’eau, nappes) sont touchées. Nous étions plus optimistes l’année dernière, car à la même période, le niveau des nappes était plus haut. »
Quels sont les points de vigilance et les recommandations portés par le BRGM ?
V. B. : « Nous espérons encore des pluies en mai pour inverser la tendance. Mais les services de
Météo-France ont des incertitudes quant à la tombée de la pluie durant les trois prochains mois. Nous préférons donc rester prudents et vigilants. Les principales recommandations sont de prendre des arrêtés de restriction d’eau lorsque les seuils sont atteints, de préserver les niveaux d’eau et d’être économes quant à son utilisation. Des arrêtés sécheresse ont d’ailleurs déjà été pris sur certains territoires. D’autres, dont les nappes connaissent des niveaux bas à très bas, risquent de passer sous des seuils d’alerte avec des prises d’arrêtés de restriction d’eau. Aucune nappe n’est classée en risque très faible. Seules celles situées en Bretagne, dans la partie du Nord de la France et du Grand Est sont classées en risque faible. Mais cette situation pourrait se détériorer s’il ne pleut pas et que les besoins en eau sont élevés. »
Propos recueillis par Léa Rochon
*Qui peuvent soutenir les débits des cours d’eau et répondre aux demandes en eau durant une longue période, même pendant une longue sécheresse avec une pluviométrie très faible, voire nulle, NDLR.
Peu d’impact sur les semis du maïs
Cette année, les céréales n’ont pas encore souffert d’un manque d’eau. C’est notamment ce qu’affirme Audrey Tabone, ingénieure régionale Rhône-Alpes à Arvalis : « Même si nous n’avons pas eu de gros cumuls de précipitations depuis janvier, la pluie est tombée de façon régulière depuis la mi-mars ». Les agriculteurs ont donc pu correctement préparer les sols pour les semis de maïs, qui ont pu débuter entre fin mars et début avril, et qui se poursuivent encore. Les pluies fréquentes ont également permis la valorisation des apports azotés sur les céréales à paille. La professionnelle l’assure : « Le sec connu en ce début d’année était inquiétant, mais à l’heure actuelle, et s’il n’y a pas d’accidents, nous pouvons espérer de bons résultats en céréales à paille ». Le déficit hydrique démontré par le BRGM pose tout de même question. Le risque de sécheresse n’étant pas écarté durant l’été à venir, les agriculteurs auront tout intérêt à utiliser des outils de pilotage, de façon à déclencher leur irrigation au bon moment, en fonction des seuils.
De l’avance pour les céréales à paille Le nord et le sud du territoire rhônalpin n’ont pas connu les mêmes tendances pluviométriques. Les départements de la Drôme et de l’Ardèche se rapprochent de plus en plus du climat méditerranéen. Conséquences ? Ces deux territoires subissent un déficit de pluie, mais également des événements pluvieux importants en novembre et décembre. Ce phénomène, surtout observé dans le département de la Drôme, a donc décalé les semis de céréales à paille.
Par rapport aux années moyennes, la campagne de ces céréales a pris de l’avance (cinq à sept jours par rapport à la normale). Les cultures ont bénéficié d’un développement important en hiver, tandis que les mois de janvier et février ont été marqués par une très faible pluviométrie.
Le risque était donc d’observer des carences azotées dès la sortie de l’hiver. Certaines parcelles ont jauni, mais dès les premières pluies ayant permis de valoriser les apports d’engrais, ce problème a finalement été compensé.