FRUITS À COQUES
À Montmiral, noix et noisettes dans tous leurs états

Depuis 2008, à Montmiral, Nathalie Blachon produit et valorise en direct noix et noisettes. Rencontre avec une nucicultrice passionnée qui livre un regard averti sur les attentes des consommateurs.

À Montmiral, noix et noisettes dans tous leurs états
Cette année, Nathalie Blachon est confrontée à une récolte tardive. La chute des noix a été retardée par un temps trop estivale. Au 19 octobre, elle estimait n’avoir récolté que la moitié de son potentiel et allait démarrer le second passage sur ses parcelles. ©S.S.-AD26

Chez Nathalie Blachon, la noix se décline en filets, cerneaux, huile, nougat, « grignotes » sucrées… Idem pour la noisette, vendue en coque, décortiquée en amandons crus ou torréfiés, en huile, pâte à tartiner au chocolat Valrhona ou autres douceurs sucrées. Sans oublier les tourteaux de noix ou de noisette qu’elle propose au consommateur d’incorporer dans les pâtes à gâteaux ou sur des salades. Pour la nucicultrice, l’enjeu est de « valoriser le produit jusqu’au bout », y compris les coquilles qui servent de combustible* ou de paillage aux pieds des arbres. « Dans la noix ou la noisette, la seule chose qui se perd, c’est le bruit de la coquille quand on la casse », résume-t-elle.

À 43 ans, seule à la tête de son exploitation avec un salarié permanent et des saisonniers, Nathalie Blachon produit et commercialise en moyenne 45 tonnes de noix par an et, les meilleures années, jusqu’à 3 tonnes de noisettes.

30 000 km de livraisons

« La ferme est dans la famille depuis quatre générations. Mon arrière-grand-père ardéchois s’y est installé en 1920 en polyculture-élevage. C’est mon père qui a orienté l’exploitation vers la nuciculture. Très vite, il a souhaité commercialiser ses noix en direct. Il y a plus de trente ans, il a commencé à travailler avec des grandes surfaces et à participer à quelques marchés », raconte la jeune femme. Aujourd’hui, elle livre ses produits auprès d’une dizaine de magasins de la grande distribution, une cinquantaine de jardineries, une dizaine de magasins de producteurs (en dépôt vente). « Je fais chaque année 30000 km, principalement d’octobre à mars, pour des livraisons entre Dijon et Marseille », indique-t-elle.

Si elle a hérité de son père sa passion pour la noix, elle est en revanche à l’origine de l’introduction de la noisette sur l’exploitation. « Après des études en arboriculture, mon frère aîné devait prendre la suite de mon père. Mais il a été rattrapé par sa passion pour l’informatique dont il a fait son métier. Dans la perspective de son installation, il avait planté 0,5 ha de nashis. De mon côté, j’étais passionnée par le dessin technique. J’ai d’abord fait un BEP construction et topographie. Mais après un stage chez un architecte, je me suis dit que huit heures par jour dans un bureau ce n’était pas pour moi », confie Nathalie Blachon. Bac pro productions horticoles et BTS analyse et conduite des systèmes d’exploitation (Acse) en poche, elle prend la relève de son père en 2008. « J’ai alors remplacé les nashis par des noisetiers. J’aime la noisette. C’est un produit peu fragile », explique la nucicultrice. Il a toutefois fallu adapter le matériel, notamment le tapis de la ramasseuse à noix, et investir dans un nouveau séchoir.

Pas de faux pas sur la qualité

Côté calendrier, les deux récoltes se chevauchent. « Nous attaquons la noisette vers le 10 septembre jusqu’à mi-octobre. La noix démarre en général vers le 1er octobre pour l’AOP Noix de Grenoble », précise-t-elle. Mais cette année, l’été qui n’en finissait pas de s’étendre a retardé la chute des noix alors que la récolte était autorisée dès le 28 septembre par le CING** pour l’AOP. « Résultat, mi-octobre, sur un marché, je me suis retrouvée sans noix sèches de l’année, avec seulement des noix fraîches et des noisettes, alors que les clients venaient exprès pour acheter des filets de la nouvelle récolte », poursuit Nathalie Blachon.

Habituée des marchés et salons gastronomiques (lire ci-dessous) et interlocutrice directe des responsables rayon fruits et légumes en magasin, elle sait qu’aucun faux pas n’est permis sur la qualité. « Quand je me suis installée, il se plantait beaucoup de noyers. Mais finalement, jusqu’en 2021, la noix a été l’un des fruits qui marchait le mieux alors que je craignais que ça ne s’écroule avant. En 2022, les noyers ont offert une production abondante, y compris chez les particuliers qui en ont distribuées dans leur entourage », souligne la productrice. Moins d’achats, plus de stocks, avec parfois sur les étals des noix de récoltes antérieures, et le marché s’est effondré. « Le consommateur est très fidèle à la noix mais il veut de bonnes noix. Je lui conseille toujours de bien vérifier l’année de récolte lorsqu’il en achète. Dès que j’attaque une nouvelle saison, s’il reste des noix, je les casse pour en faire de l’huile et sinon, elle finisse aux pieds des arbres, ça favorise la biodiversité et limite l’évapotranspiration », indique Nathalie Blachon. Équipée de sa propre ligne de cassage, elle reconnaît que les cerneaux ont le vent en poupe malgré leur prix. « Les gens n’ont plus le temps de casser des noix, ils ne veulent pas de déchets et en plus, avec des cerneaux, ils sont sûrs qu’il n’y aura pas de mauvaises surprises derrière la coquille », analyse-t-elle.

Pénurie d’eau et excès de chaleur

D’autant que d’autres difficultés se profilent pour garantir la qualité du produit : la pénurie d’eau et les excès de chaleur. « Pour proposer une noix ou une noisette charnue comme attendue par le consommateur, il faut de l’eau. Cette année, nous avons été en restriction de la mi-avril à la fin de l’été », rappelle Nathalie Blachon. Ses vergers ont aussi essuyé la grêle puis les coups de soleil. « J’utilise une colonne densimétrique pour le tri mais cette année, c’est compliqué. Les coquilles sont lourdes alors qu’il peut y avoir à l’intérieur un cerneau non nourri à cause du stress hydrique et thermique. Tant que la noix n’est pas ouverte, difficile de savoir. Avec la commercialisation en circuits courts, je prends rapidement la claque si le produit n’est pas bon », insiste la productrice.

Face au changement climatique, elle s’interroge sur la possibilité d’introduire des productions plus résistantes à la chaleur et au manque d’eau. « Depuis deux ans, je fais des essais sur la cacahuète, signale-t-elle. Je réfléchis aussi à la pistache. Mais je suis en extrême limite nord en termes de latitude et surtout c’est une culture pérenne sur laquelle on manque encore de recul.» Pas question toutefois de lâcher la noix. « J’ai 8 ha de jeunes plantations en variétés franquette. Hélas, suite à la neige et à la grêle, j’ai dû tout recéper. J’espère désormais qu’ils entreront en production d’ici 2028 », précise Nathalie Blachon.

Sophie Sabot

* Elle disposait auparavant d’une chaudière qui lui permettait de les valoriser. La nouvelle chaudière fonctionne désormais au bois de taille déchiqueté. Les coquilles sont livrées à des collègues qui disposent de chaudières spécifiques.
** CING : comité interprofessionnel de la noix de Grenoble. 
 Un lien essentiel avec le consommateur
Nathalie Blachon conditionne et commercialise elle-même ses noix et noisettes. ©S.S.-AD26
Circuits courts

Un lien essentiel avec le consommateur

« La main vous donnant votre sac de noix aura aussi plantée le noyer auparavant ». Sur son site de vente en ligne grignote.com, Nathalie Blachon accueille le visiteur par une formule qui résume sa vision du circuit court. Si la vente en GMS, jardineries, magasins de producteurs et quelques épiciers, chocolatiers, pâtissiers et un nougatier [qui lui fabrique son nougat à la noix] représente les trois quarts de ses volumes, elle est aussi attachée au lien direct avec le consommateur. « Mon père faisait dix marchés et salons sur l’année. J’ai réduit à cinq, dont le très renommé Savim à Marseille en mars et novembre sur lequel mon père a construit au fil des années une clientèle. Depuis mon installation, j’accueillais aussi des camping-caristes via le réseau France Passion. Mais j’ai décidé d’arrêter en 2023 pour me lancer dans l’opération De ferme en ferme. J’ai trouvé cette première édition géniale même si très prenante et je compte poursuivre », indique la productrice. Enfin, elle vend sur rendez-vous à la ferme ou via son site internet mais reconnaît rencontrer des difficultés avec les prestataires de livraison de colis.

S.S.

L’exploitation en bref

40 ha de SAU, dont 

- 20 ha en noix de Grenoble AOP ; 0,73 ha en variété lara pour la noix fraîche de début de saison ; 1,34 ha en variété serr pour la transformation.

- 8 ha de jeunes noyers en variété franquette, production attendue pour 2028.

- 4 ha de céréales.

- 0,3 ha d’essais en cacahuètes. 

Un salarié permanent, trois à quatre saisonniers de mi-septembre à décembre puis un à deux jusqu’à fin mars pour les cerneaux. Tous sont embauchés via le groupement d’employeurs Agri Emploi 26, une solution qui satisfait Nathalie Blachon même si elle regrette qu’il soit très compliqué de trouver des salariés compétents en machinisme et conduite des engins.