Emploi
Travail : faire concilier les attentes des salariés et des employeurs

La FNSEA a organisé, le 15 février, une journée de réflexion à Paris sur le thème de la « politique de l’emploi en agriculture ». Au-delà des aspects sociaux, juridiques et techniques, il a été question d’attractivité du métier et de concilier les intérêts des employeurs et des salariés.

Travail : faire concilier les attentes des salariés et des employeurs
©Actuagri

Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA en charge de l’emploi, a bien résumé l’état d’esprit qui a gouverné cette journée d’échanges et de débats sur l’emploi et la formation : « A nous chefs d’exploitation de séduire et de prouver que nous sommes en capacité de faire venir des bras, des compétences et de l’intelligence dans nos fermes ». Car il faut assurer « la viabilité, la vivabilité et la visibilité de notre travail », a renchéri, par vidéo interposée, la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert.

Moins regardants

L’enjeu est d’importance car à l’image de nombreux autres secteurs d’activité, l’agriculture peine aujourd’hui à recruter. « Il existe une réelle perte de centralité du travail », a indiqué Fabienne Gomant, directrice générale adjointe du pôle Opinion à l’institut de sondage Ifop. En une trentaine d’années, le travail n’est plus devenu l’un des critères fondamentaux d’épanouissement personnel et/ou collectif. S’il était « très important » pour réussir sa vie dans les années 1990 pour 60 % des sondés, ces derniers n’étaient plus que 21 % à le penser en 2022. Ils sont 48 % à considérer qu’ils ne gagnent pas grand-chose à travailler (35 % « équilibré » et 17 % « plutôt gagnant ») contre 25 % il y a trente ans.
La motivation au travail tend également à s’amenuiser et les rôles sont maintenant inversés : « C’est au travail de s’adapter à soi et non à soi de s’adapter au travail », a déclaré Fabienne Gomant. Cependant « démotivation ne veut pas dire “désimplication” dans le travail », a précisé Romain Bendavid, directeur de l’expertise d’Ifop. Cette implication est d’ailleurs un critère primordial pour les employeurs qui la réclament majoritairement (65 % des sondés) auprès des personnes en CDI. L’exigence se traduit aussi sur le sens de l’initiative et de l’autonomie (46 %) et sur la maîtrise technique. « Mais devant la difficulté à recruter, les chefs d’exploitation sont moins regardants », a expliqué Romain Bendavid. Il faut cependant tenter de concilier « l’attente de souplesse demandée par les jeunes » et « l’attitude de rigueur, voire de rigidité » exprimée par de nombreux employeurs qui deviennent parfois exigeants, a nuancé Fabienne Gomant.

Des attentes qui ont changé

Il n’en reste pas moins que les attentes des salariés ont changé en moins d’une génération. En 2008, 62 % des Français voulait gagner plus d’argent et 38 % seulement avoir plus de temps libre. Quatorze ans plus tard, les chiffres sont presque inversés. S’ils ont le choix, 61 % des Français préfèrent gagner moins d’argent et avoir plus de temps libre. Ils sont 39 % à vouloir gagner plus. Ils souhaitent aussi plus de bien-être au travail, c’est-à-dire avoir un bon équilibre entre vie professionnelle et personnelle (38 % en tête des demandes) mais aussi avoir le sentiment de faire un travail utile (22 %, deuxième demande). Ils sont aussi en quête de reconnaissance dans leur travail et regrettent le peu d’évolution professionnelle offertes dans leur entreprise (51 %). 

Un coût du travail très élevé

Les employeurs de main-d’œuvre que sont les chefs d’exploitation doivent intégrer ces nouvelles contraintes. En un mot, il leur faut optimiser leur recrutement étant entendu que le coût de la main-d’œuvre en France, tous secteurs confondus, est l’un des plus élevés en Europe. « Il est 8,80 € de l’heure supérieur à la moyenne européenne », a expliqué Antoine Foucher, président de Quintet Conseil. Ce coût atteint en moyenne 37,90 €/h en augmentation de 3,30 €/h sur les cinq dernières années. Seuls la Belgique (41,60 €/h) et les Pays-Bas (38,30 €/h) dépassent la France. « On est surtout le cinquième pays le plus cher sur les bas salaires », a remarqué Antoine Foucher qui a précisé : « Même si on supprimait toutes les charges patronales restantes, nous serions toujours plus chers que les pays de l’Europe du Sud, Espagne, Italie et Portugal ». Ce coût du travail pèse naturellement sur la compétitivité de la Ferme France (lire encadré). Ce qui suppose, selon le président de Quintet Conseil, de changer de modèle pour « avoir des bras et des têtes pour nos assiettes », selon l’expression du sociologue François Purseigle. Il reste maintenant à déterminer lequel.

Christophe Soulard

Le coût du travail pèse sur la compétitivité

Certes le coût du travail n’est qu’une des composantes du coût de production dans une exploitation. Il pèse cependant dans le résultat final de la Ferme France. « En vingt ans, notre pays est passé du deuxième au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles », a expliqué Antoine Foucher de Quintet Conseil. « 70 % des pertes de marché s’expliquent par la perte de compétitivité par rapport aux autres pays producteurs. En maraîchage, le coût horaire employeur est de 13,34 € (pour une entreprise de moins de 11 salariés). Il est de 12 € en Allemagne, 10,71 € en Belgique, 9,68 € en Italie, 4,80 € en Pologne et de seulement 0,74 € au Maroc. Pas moins de 28 % de la consommation des légumes et 71 % de celle des fruits en France sont importés. Ceci explique en grande partie cela. »