Paroles de manifestants
« On ne lâchera pas, on ne se contentera pas de saupoudrage »

Mercredi 24 janvier à 8 h 45, au rond point qui permet d’entrer sur l’autoroute A7 à Montélimar Sud, il était impossible presque d’imaginer la mobilisation agricole qui allait déferler dans les heures suivantes. La détermination des agriculteurs mobilisés est très forte.

« On ne lâchera pas, on ne se contentera pas de saupoudrage »
Pierre-Michel More (à d.), viticulteur à Mirabel-aux-Baronnies, a été avec ses deux collègues parmi les premiers arrivés sur le rond point de Montélimar Sud qui, deux heures plus tard, sera totalement paralysé par les nombreux tracteurs venus de Drôme, d’Ardèche, du Vaucluse… ©SS-AD26

« On n’est pas là pour casser mais pour mettre la pression et montrer combien le monde agricole va mal », annonce Pierre-Michel More, viticulteur à Mirabel-aux-Baronnies. Mercredi 24 janvier vers 9 h, il était l’un des premiers agriculteurs à arriver sur le rond point qui permet d’entrer sur l’autoroute A7 à Montélimar Sud. Un rond point qui, moins de deux heures plus tard, sera totalement totalement paralysé par les nombreux tracteurs venus de Drôme, d’Ardèche, du Vaucluse…

Pour Pierre-Michel More, la première raison d’être là, c’est le revenu. Les cours du vin sont en chute libre depuis deux ans. « À ces prix là, on va mourir. Dans les médias, on ne parle que de baisser les prix à la consommation pour maintenir le pouvoir d’achat. Mais les consommateurs doivent aussi rogner ailleurs sur leur budget et pas que sur le prix de nos produits. Sinon bientôt ils ne mangeront plus de produits français, poursuit le viticulteur. On a fait des efforts pour avoir des produits de qualité, identifiés, des AOP, des IGP pour essayer de valoriser nos productions… Mais on nous en demande toujours plus. En face, on subit la concurrence déloyale de produits qui arrivent moins chers depuis l’autre bout de la planète et ne respectent aucune des normes françaises. »

Pour lui, la colère atteint aujourd’hui son paroxysme parce que le monde agricole n’a plus de perspectives. « Si on arrache nos vignes, que fait-on à la place ? On ne pourra pas tous transformer et vendre en direct ! », alerte Pierre-Michel More.

Des heures perdues en démarches administratives

A ses côtés, Florent, 36 ans, installé aussi sur la commune de Mirabel-aux-Baronnies ne cache pas son écœurement. « J’ai arrêté d’emmener mon fils sur le tracteur. Je ne veux pas lui donner l’envie d’être paysan », lâche-t-il avec amertume. Pour lui, le quotidien, c’est des heures perdues dans les démarches administratives. « On marche sur la tête. Depuis des semaines par exemple j’essaye de radier le n° Siret de l’entreprise que j’avais créée pour faire de la prestation de services en plus de l’exploitation. Mais impossible, j’ai passé des heures avec les services concernés et la plateforme internet [guichet en ligne des formalités des entreprises, mise en place depuis un an, ndlr] ne fonctionne pas », rage-t-il. Si son Siret n’est pas radié au 31 janvier, il subira des prélèvements sociaux et fiscaux pour une activité qui n’existe plus !

« Notre agriculture a été sciemment foulée au pied par nos dirigeants »

Ils sont nombreux à dénoncer ces incohérences du système, les contraintes administratives, les « papiers ». Emmanuel Grégoire, responsable de la région syndicale FDSEA «basse vallée de la Drôme » a lui aussi des mots durs pour résumer la situation. « Quand on s’est installé, le matin, on partait travailler. Là nos jeunes, le matin, ils se disent : est-ce que j’ai le droit de faire ça ? On cumule les interdits. Quel avenir pour eux ? », déplore-t-il. Sa collègue Sylvie Meynier, vice-présidente de la FDSEA 26 illustre elle aussi son quotidien d’agricultrice excédée par les contraintes. « Prenez les BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales). Chaque matin, il faudrait qu’avant de sortir on s’assoie pour lire une quarantaine de pages qui nous disent ce qu’on a le droit de faire ou pas. C’est ça la vie d’agriculteur aujourd’hui. Et en plus c’est inapplicable. Dans le Sud-Drôme, par exemple, on nous demande que nos bords de champs soient enherbés au mois d’août ! », commente-t-elle. Sa colère est aussi alimentée par les distorsions de concurrence au sein même de l’Union européenne. « Arrêtons d’importer l’alimentation que nous ne voulons pas chez nous ! Notre agriculture a été sciemment foulée au pied par nos dirigeants. Où est la volonté de souveraineté alimentaire affichée ? », poursuit-elle.

« On ne lâchera pas. On ne se contentera pas de saupoudrage. Il va falloir de vraies propositions pour qu’on lève les barrages », affirmait de son côté Sandrine Roussin, présidente de la FDSEA 26, bien décidée mercredi 24 janvier à conduire le mouvement jusqu’à son but : redonner des perspectives et de l’espoir aux agriculteurs français.

Sophie Sabot

 

Anthony Oboussier, arboriculteur à Alixan

©CL-AD26

« Ces manifestations traduisent un sentiment de désespoir et de révolte car la situation actuelle, toutes filières agricoles confondues, animales et végétales, est plus qu'alarmante. Ça ne peut pas continuer ainsi. La surtransposition des normes nous coûte de plus en plus cher, les hausses de charges nous accablent. On restera mobilisés le temps qu'il faudra, tant que l'on ne sera pas entendus et que le Gouvernement n'apportera pas de solutions concrètes. »

Sébastien Ageron, éleveur bovin lait à Oriol-en-Royans

©CL-AD26

« Tant que nous n'obtiendrons pas de réponses à ce qui est demandé au Gouvernement, le blocage perdurera. Notre mouvement a le soutien de la population et des routiers. Le ras-le-bol des producteurs laitiers est là, l’État doit faire son boulot pour que nos prix soient rémunérateurs comme le prévoit la loi Egalim. »

Aurélie Mourvillier, agricultrice en EARL à Peyrins (grandes cultures, arboriculture, maraîchage et viticulture)

« On est là pour se faire entendre car on nous met des taxes et des contraintes de partout. On en a aussi ras-le-bol de subir des critiques sur notre travail alors que l'on respecte les réglementations. On est assassiné, on ne peut plus vivre de notre travail alors qu'il faut que l'on nourrisse le monde. On ne bougera pas tant que l'on ne sera pas entendus. »

Gabin Vassy, futur arboriculteur à Larnage

©CL-AD26

« Je suis en train de m'installer et j'aimerais que cela se fasse dans une agriculture meilleure que celle d'aujourd'hui, une agriculture qui évolue avec moins de contraintes. Mon but, ce n'est pas de m'installer pour galérer toute ma vie. »

Geneviève Clapon, retraitée, ancienne exploitante à Bourg-de-Péage

« Nous sommes là, avec mon mari et mon petit-fils, pour soutenir les jeunes car ce qui se passe en ce moment est inadmissible : il y a trop de contraintes pour exercer le métier d'agriculteur. »

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Gérald Idelon, éleveur bovin lait en Gaec à Saint-Martin-en-Vercors

« Ça fait trente ans que je fais du lait, ma fille depuis six ans. On est en bio. L'an passé, le prix du lait avait monté mais il ne couvrait pas la hausse des charges. Aujourd'hui, on nous impose de le baisser. En conventionnel, le prix de base est à 400 €, en bio à 480 € en moyenne. Il faudrait au minimum 500 € en conventionnel et 600 € en bio, non pas pour être riche mais pour s'en sortir. La guerre entre les grandes surfaces et les industriels se fait au détriment des producteurs. »

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Jean-Raphaël Betton, agriculteur à Mercurol-Veaunes (arboriculture, viticulture et grandes cultures)

©CL-AD26

« Notre profession, aujourd'hui, n'est pas du tout respectée par l’État. On marche sur la tête, on n'est pas écouté, c'est le ras-le-bol. On se mobilise pour défendre notre profession mais aussi pour l'ensemble de consommateurs qui sont également pris pour des cons par l’État et la grande distribution. »

Cédric, aviculteur à Charpey

« À force de nous mettre des contraintes de partout, le ras-le-bol est général et la cocotte minute explose. On veut bien faire de bons produits, mais on ne nous les valorise pas ! On restera mobilisés autant qu'il le faudra. »

Propos recueillis par Christophe Ledoux