Renouvellement des générations
« Il est primordial d’anticiper  la transmission »

Experte en installation et transmission agricole, Delphine Guilhot, sociologue à Montbrison dans la Loire intervient en tant qu’accompagnatrice et formatrice au sein de la coopérative d’activité Le Parapluie.

« Il est primordial d’anticiper  la transmission »
Dans l’Union européenne, seuls 6,5 % des agriculteurs ont moins de 35 ans alors que la moitié des exploitations changeront de mains dans les dix ans. Le défi du renouvellement des générations est grand. © MB

Vous êtes sociologue experte en installation et transmission agricole. Quel accompagnement proposez-vous aux agriculteurs qui vous sollicitent ?
Delphine Guilhot : « En tant que sociologue, je suis avant tout une praticienne qui opère selon le processus des sciences humaines, basées notamment sur les différents facteurs psychosociaux que peuvent être les rapports sociaux, la reconnaissance du travail, la capacité à se projeter sur l’après-transmission et la confiance en soi. »

Pourquoi la transmission d’une exploitation agricole est-elle si compliquée ?
D. G. : « Tout d’abord, transmettre son exploitation, c’est remettre à une ou des personnes de confiance des biens, en déléguant un pouvoir, en acceptant de cesser soi-même son activité tout en recherchant une continuité. Et c’est bien là toute l’étendue du problème car c’est un long processus auquel il faut commencer à réfléchir et à faire mûrir plusieurs années avant l’arrêt d’activité. C’est pourquoi les cédants se retrouvent très souvent confrontés à des problèmes auxquels ils ne sont pas forcément préparés. La confiance est la base de tout afin d’établir un contrat viable entre le cédant et le repreneur. »

Quels sont, selon vous, les facteurs expliquant ces difficultés ?
D. G. : « Pour ma part, comme je l’ai déjà évoqué, les facteurs psychosociaux sont un vrai frein à la transmission. Si ces facteurs ne sont pas clairement identifiés, la personne rencontrera des difficultés à débuter sa transmission, surtout si celle-ci se fait hors cadre familial. Il n’est pas rare par exemple, que des cédants n’arrivent pas à se faire à l’idée de quitter leur maison qui fait partie intégrante de l’exploitation. La transmission dépend également de la vision qu’a le cédant de son exploitation. Il doit être persuadé que son exploitation a de la valeur et du potentiel afin d’intéresser un éventuel repreneur. Mais ce n’est pas tout, les facteurs économiques, générationnels et structurels sont également à prendre en compte, tout comme le côté administratif qui est devenu de plus en plus lourd. La partie économique quant à elle, s’avère être un point capital dans l’optique d’une installation viable. »

Alors quels conseils donneriez-vous pour une bonne transmission ?
D. G. : «  La chose primordiale pour les cédants est d’anticiper la transmission afin que le passage de témoin avec le futur repreneur s’effectue le mieux possible. C’est un travail en amont pour se préparer à transmettre. Sans anticipation, le cédant s’expose à certaines déconvenues. » 

Propos recueillis par Fabien Reveret

Le Ceja définit « quatre priorités » de nature à séduire les candidat(e)s à l’installation : aménager le territoire en l’assortissant d’un « pacte social », créer un fonds de transition soutenu par la Banque centrale européenne (BCE), renforcer les chaînes de valeur, améliorer la gestion des crises. Copy iStock-kamisoka

L’attractivité, un enjeu européen

Attirer vers l’agriculture les jeunes de tous horizons pour assurer le renouvellement des générations : une préoccupation générale en Europe, ainsi que l’expliquent la vice-présidente du Conseil européen des jeunes agriculteurs (CEJA), Élisabeth Hidén et le président de Sodiaal, Jean-Michel Javelle.
Dans l’Union européenne, seuls 6,5 % des agriculteurs ont moins de 35 ans alors que la moitié des exploitations changeront de mains dans les dix ans. Deux chiffres qui donnent une idée des « défis » lancés à l’élevage, alerte Elisabeth Hidén, vice-présidente du CEJA, à la tête d’un troupeau de 460 bovins détenu à 50/50 avec son mari. La Suédoise de 29 ans témoigne des « difficultés à entreprendre », à commencer par « la faible disponibilité de la terre partout en Europe », les « incertitudes sur le long terme » associées à un « déficit de financement », ou encore « l’absence de définition commune de la durabilité ». Selon elle, l’agriculture est une « vocation », mais aussi un « mode de vie » dont l’attractivité passe, plus largement, par celle du monde rural. Ainsi en vient-elle à définir « quatre priorités » de nature à séduire les candidat(e)s à l’installation : aménager le territoire en l’assortissant d’un « pacte social », créer un fonds de transition soutenu par la Banque centrale européenne (BCE), renforcer les chaînes de valeur, améliorer la gestion des crises. L’enjeu est de rendre l’activité agricole « compétitive », y compris pour les personnes non issues du milieu. « Un des plus gros problèmes est d’avoir foi dans l’avenir », résume la jeune productrice de lait. Autrement dit, « trouver le juste équilibre entre dire ce qui marche bien et avoir le droit de se plaindre ».

Le sas du salariat 

De son côté, Jean-Michel Javelle, président de Sodiaal1, regrette que « la transmission-retraite reste un sujet très modeste en France. Si l’approche demeure seulement patrimoniale et capitaliste, on n’y arrivera pas. Il faut changer de modèle ». L’éleveur de la Loire, installé sur un groupement agricole d’exploitation en commun à quatre sans lien familial, indique avoir formé six salariés au cours de sa carrière, tous installés en production laitière désormais. « Beaucoup de jeunes ont la passion de l’élevage, et pas seulement des fils ou des filles d’agriculteurs. Il faut considérer le salariat en tant que centre de profit et le responsabiliser en vue de former de futurs chefs d’exploitation », explique-t-il. Un minimum de « reconnaissance financière et morale » ne peut pas nuire non plus à l’épanouissement personnel et professionnel dans un « métier super noble ». Le président de Sodiaal met en avant « le modèle d’avenir centré sur l’humain » incarné par son groupe. « Un modèle coopératif et collectif qui a la capacité à attirer les talents. » La promesse qui leur est faite : « Une juste rémunération (deux tiers du résultat reversé aux livreurs de lait), une vie sociale acceptable pour les éleveurs comme pour les salariés, la modernisation des élevages pour réduire la pénibilité ». Sodiaal, qui installe 250 jeunes par an, « croit en l’avenir du lait en France. Non seulement la décroissance laitière n’est pas inéluctable, mais encore la transition agroécologique est possible », conclut en substance Jean-Michel Javelle.

Actuagri

1. La première coopérative laitière française réalise 20 % de la collecte (8 523 fermes dans 72 départements) qu’elle transforme dans 53 sites industriels.