Filière caprine
Ferme de Pracoutel : de la terre à l’assiette
Historiquement installée en polyculture élevage, la Ferme de Pracoutel, à Vesc, a su traverser les années. Aujourd’hui géré par Hélène et Hervé Barnier, l’élevage caprin permet de promouvoir la fabrication traditionnelle du Picodon AOP et autres fromages de chèvres.
Exploitant agricole depuis 1991 au hameau de Pracoutel à Vesc, à la tête de la ferme éponyme, Hervé Barnier est aujourd’hui la sixième génération d’une famille d’agriculteurs. C’est sur cette ferme et ces terres qu’il a grandi. « J’ai baigné dans le monde agricole depuis que je suis petit. Je ne me voyais pas faire autre chose », déclare-t-il, se rappelant d’une phrase de sa mère : « Lève-toi le matin, le travail commande ». Après un brevet d’études professionnelles agricoles obtenu au lycée Le Valentin de Bourg-lès-Valence en 1983 et diverses formations, c’est donc tout naturellement qu’il a repris la ferme familiale au début des années 1990. A l’époque, l’exploitation comprend un élevage de 100 brebis et de 40 chèvres, sur une soixantaine d’hectares, landes et parcours compris. Très vite, il se détache de l’élevage ovin pour se consacrer aux caprins. Il acquiert une centaine de chèvres supplémentaires et adhère alors à la coopérative laitière.
Mais face à la conjoncture du lait, une nouvelle réflexion se pose : « Il m’était impossible d’agrandir le troupeau pour augmenter le volume de lait, faute de terres disponibles dans les alentours. Il faut savoir qu’à mon installation en 1991, cinq autres agriculteurs se sont aussi installés. Le foncier était donc bloqué », explique Hervé Barnier.
Des remises en question nécessaires
Avec l’arrivée de son épouse Hélène sur la ferme en 2001, en EARL puis sous forme de Gaec en 2016, l’éleveur fait le choix de revenir à la transformation fromagère (picodons AOP, picodons méthode Dieulefit, faisselles, chèvres chauds, tommes pressées…). « Nous clôturons notre vingtième exercice de la fromagerie », indique Hélène Barnier, qui a découvert le monde agricole et celui de la fromagerie au fil du temps, en s’appuyant notamment sur l’expertise de Sylvie Morge, technicienne spécialisée produits laitiers fermiers au sein des chambres d’agriculture de l’Ardèche et de la Drôme. « C’est devenu une passion. Je suis tous les jours devant une page blanche, avec de nouvelles données à prendre en compte : lactation, conditions météorologiques, alimentation… », avoue Hélène Barnier.
En parallèle, le couple d’éleveurs bâtit en auto-construction un nouveau bâtiment pouvant accueillir jusqu’à 180 bêtes et passe les terres, sur lesquelles sont cultivées luzerne, sainfoin, trèfle, céréales (pour une autonomie alimentaire estimée à 90 %, ndlr) et lavande, en agriculture biologique. Le troupeau, lui, est en bio depuis 2011.
Ainsi, la ferme de Pracoutel englobe aujourd’hui un élevage de 150 chèvres chamoisées. Ces dernières, en mono traite, produisent environ 80 000 litres de lait par an, pour une production de près de 120 000 fromages. « Au départ, nous vendions nos fromages à l’affineur Cavet, à Dieulefit, ce qui nous a permis d’avoir une garantie d’écoulement. Mais à notre passage en bio, la valorisation de nos produits n’était pas assez intéressante. C’est pourquoi nous avons repris la main sur la commercialisation et privilégié les circuits courts pour faire la promotion de notre Picodon AOP », indique Hervé Barnier.
Une activité touristique importante
Aujourd’hui, le Gaec vend ses fromages pour moitié auprès de restaurants, d’épiceries fines et de petites supérettes du secteur, et pour autre moitié à la fromagerie à la ferme ouverte tous les matins durant la période de production.
Des matinées qui permettent au couple de développer une autre activité chère à leurs valeurs : l’accueil du public. « Nous avons participé dix fois à l’opération De Ferme en Ferme qui est un très bon outil de communication et de promotion de l’agriculture. De mars à novembre, pendant les horaires d’ouverture de la fromagerie, nous proposons aux familles des visites libres et gratuites de l’exploitation, à l’aide de panneaux pédagogiques installés au sein de la bergerie, dans la salle de traite… », ajoute l’éleveur. Les époux Barnier profitent également de ces visites à la ferme pour défendre le Picodon. « Nous militons pour que le Picodon AOP, qui est un fromage de terroir et de qualité, soit vendu plus cher qu’un fromage de chèvre classique. Notre travail doit être valorisé », insistent-ils, précisant les contraintes et la rigueur qu’impose le cahier des charges de l’appellation. Hervé Barnier, par ailleurs membre du bureau du syndicat du Picodon AOP, se montre inquiet sur le devenir de ce petit fromage gastronomique.
La filière Picodon en danger ?
« En dix ans, nous avons presque perdu la moitié des adhérents. Bien souvent, les producteurs ne valorisent pas assez leurs produits. Ajoutons à cela les problématiques liées au changement climatique, et ce sont des problèmes de structuration des exploitations qui apparaissent… Nous devons à tout prix reconsidérer les valeurs et l’image de notre métier, pour assurer l’avenir de la filière », ajoute-t-il, en tant que porte-parole.
Lui-même directement touché par la sécheresse exceptionnelle de l’année 2022 a perdu à chaque coupe de luzerne entre 30 et 50 % de matière, des chiffres toutefois allégés grâce aux 90 mm de pluie tombés fin juin dans son secteur. Pendant une période donnée - une dizaine de jours début août - il a même dû donner 100 % de la ration en bergerie, les parcours ne disposant plus assez de pâturages. Une situation qui impacte directement l’économie des exploitations. Aussi, pour valoriser davantage leur élevage, Hélène et Hervé Barnier se séparent de leurs chèvres réformées (une vingtaine par an, ndlr) pour les transformer en charcuteries diverses : chorizos, terrines, saucissons…, une transformation qui se fait par l’intermédiaire de Troupéou, à Mornans.
Amandine Priolet
La fromagerie à la ferme permet de commercialiser 50 % des produits.
De nouveaux prix en 2022
Depuis 2010, la Ferme de Pracoutel a pour habitude de présenter ses fromages lors des concours locaux. « Cela permet non seulement de faire la promotion du Picodon AOP mais aussi de notre ferme », explique Hervé Barnier. Chaque année, le couple d’éleveurs-fromagers décroche des médailles. Cet été, lors des fêtes du Picodon de Saoû le 17 juillet, puis de Dieulefit le 14 août, la Ferme de Pracoutel a fait un carton plein, avec cinq médailles obtenues sur les cinq concours proposés. A Saoû, la famille Barnier a remporté la médaille d’or dans la catégorie « Picodon AOP classique », la médaille d’or dans la catégorie « Affiné méthode Dieulefit » et la médaille d’argent dans la catégorie « Picodon Jury enfant ». A Dieulefit, ils ont décroché deux médailles de bronze dans les catégories « Picodon AOP classique » et « Affiné méthode Dieulefit ». « Nous sommes très satisfaits de cette reconnaissance pour notre travail. Cela montre aussi que nous sommes attachés à maintenir la qualité de nos fromages au fil des années », conclut Hervé Barnier.
A. P.