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PASTORALISME

Changement climatique : les estives drômoises sous haute surveillance

Depuis 2021, l’association départementale d’économie montagnarde (Adem 26) et le Département de la Drôme ont lancé un protocole de suivi de quatre estives pilotes. Objectif : conseiller les groupements pastoraux sur les dates de montée et de descente d’estive dans un contexte de changement climatique.

Changement climatique : les estives drômoises sous haute surveillance
L’estive du Serre de Montué (commune de Bouvante) accueille 1 200 brebis, une centaine de vaches allaitantes et génisses et une trentaine de chevaux, soit 300 UGB au total. La complémentarité des trois espèces permet une consommation optimale de la végétation. ©AD26-S.S.

Serre de Montué, Ambel, Jardin du Roi et Chamouse. Ces estives, situées sur le Vercors pour les trois premières et dans les Baronnies pour la dernière, sont attentivement suivies depuis l’an dernier par l’Adem 26 et le conseil départemental, propriétaire d’une partie des pâturages et gestionnaire des espaces naturels sensibles (ENS). En 2022, comme en 2021, elles feront l’objet de trois visites : à l’arrivée des troupeaux, à la mi-estive et à la descente des animaux. « C’est la situation de l’estive d’Ambel qui a déclenché ce projet, rappelle Fabien Candy, technicien pastoral à l’Adem. Après deux années difficiles, la décision a été prise collectivement en 2020 de diminuer de 100 UGB l’effectif sur cet alpage. Nous avons alors réfléchi avec le conseil départemental à comment mieux accompagner les éleveurs dans l’adéquation des pratiques pastorales aux ressources fluctuantes (herbe et eau). »

Sur l’estive du Serre de Montué, la visite de début d’estive s’est déroulée le 7 juillet, à la même date qu’en 2021 pour comparer la productivité de l’alpage. Sept éleveurs sont réunis au sein du groupement pastoral qui exploite 420 ha, mis à disposition par trois propriétaires : le Département de la Drôme, la commune de Bouvante et l’ONF. Deux bergers y gèrent de juin à octobre 1 200 brebis, une centaine de vaches allaitantes et génisses et une trentaine de chevaux, soit 300 UGB au total.

Des estives déficitaires en herbe 

À l’aide d’un herbomètre, Fabien Candy et Marion Chauvin, stagiaire à l’Adem, ont estimé les densités d’herbe sur une dizaine de placettes géolocalisées. « L’idée en alpage n’est pas de mesurer une quantité de biomasse à l’hectare, la végétation est trop hétérogène pour cela. Mais l’herbomètre nous permet, par petite zone, d’avoir des données que nous pourrons comparer à date fixe d’une année sur l’autre », précise le technicien pastoral. Sur ces placettes, une caractérisation de la végétation (espèces présentes, stade phénologique…) a également été réalisée, là aussi dans l’objectif de détecter les évolutions. 

Les relevés effectués ont confirmé le ressenti d’Eric Béranger, président du groupement pastoral et éleveur de vaches allaitantes à Rochefort-Samson : cette année il y a moins d’herbe et surtout elle est plus en avance que d’habitude. Le 27 juin, il a conduit sur l’alpage du Serre de Montué 40 vaches sur les 50 de son troupeau. Le 7 juillet il prévoyait encore d’amener une quarantaine de génisses. « Mais je repousse le plus possible la date compte tenu du déficit d’herbe sur l’estive », poursuit-il.

Clément Girardet, berger, est arrivé mi-juin pour accueillir les quatre troupeaux ovins du groupement. Lui aussi constate un déficit d’herbe cette année. « Nous avons déjà du mal à tenir les brebis sur certaines zones. Nous allons certainement devoir utiliser des filets pour les y maintenir, ceci afin de ne pas attaquer trop tôt les quartiers qu’habituellement nous faisons pâturer en août », décrit-il. Quelques orages en juin ont permis de reverdir un peu l’estive. Grâce à la station météo installée sur place (lire ci-dessous), Fabien Candy confirme que l’alpage a bénéficié de 100 mm de pluie depuis l’arrivée des brebis. À présent toute la question pour Eric Béranger et Clément Girardet est de savoir si quelques pluies en juillet et août offriront les repousses nécessaires pour que les troupeaux puissent rester sur place. « Si je dois redescendre des bêtes, j’ai encore un peu de stock de fourrage de l’an dernier. Mais tout dépendra quand il faudra les descendre et combien de bêtes », s’inquiète l’éleveur.

« Ne pas entamer le capital des estives »

Pour l’Adem 26 et le Département, il s’agit d’accompagner les éleveurs face aux conséquences du changement climatique sur la ressource en herbe des estives. « Pour les éleveurs, l’alpage est souvent une variable d’ajustement. S’il n’y a plus d’herbe en bas, les bêtes montent plus tôt et descendent plus tard, souligne Laurent Flenet, écogarde et référent pastoralisme au Département. Mais cela peut avoir des conséquences à la fois sur l’alpage, car la végétation a besoin de périodes de repos, et sur l’état des animaux. En tant que gestionnaire de l’ENS, il est impératif pour nous de trouver un juste équilibre et ne pas entamer le capital des estives pour les éleveurs. » D’où la tournée programmée fin août qui aura aussi pour objectif de discuter avec les éleveurs des dates de fin d’estive à envisager. 

À terme, Fabien Candy souhaite capitaliser l’ensemble des données recueillies, d’une part pour mieux qualifier le changement climatique, d’autre part pour mettre en place un bulletin destiné aux éleveurs, sur le modèle du Pâtur’RA géré par les chambres d’agriculture, mais ciblé sur les estives de la Drôme. « L’idée, au travers de ce suivi, c’est d’avoir des données objectives pour compléter les ressentis et accompagner les éleveurs dans l’adaptation des pratiques aux conditions météo », conclut le technicien pastoral.

Sophie Sabot

EN BREF

Echos des alpages en ce début d’estive

Echos des alpages en ce début d’estive
Grâce à l’herbomètre, un suivi des densités d’herbe sur une dizaine de placettes de chaque estive sera effectué chaque année à date fixe. ©AD26-S.S.

Fabien Candy de l’Adem 26 a livré les premiers constats de cette tournée de début d’estive.

- Sur Ambel : « Sur les zones les plus productives, plutôt destinées aux vaches, il y a moins de biomasse cette année qu’en 2021. En revanche, les secteurs de crêtes rocailleuses sont davantage productifs à date fixe car bien plus en avance. »

- Sur Chamouse (Baronnies) : « Comme en 2003, le secteur a subi une attaque de sauterelles. En bas de l’alpage, elles ont consommé les deux tiers de la biomasse. Les éleveurs sont inquiets mais se sont adaptés en montant plus tôt et en faisant pâturer davantage les sous-bois et le secteur incendié en 2020. »

La visite de l’alpage du Jardin du Roi devait avoir lieu mi-juillet.

Réseau Romma

Deux stations météos pour suivre la pousse de l’herbe en altitude

Depuis 2021, l’Adem 26 a installé deux stations météos en estive. Celles-ci seront en service chaque année de mars à novembre [pour éviter les dégâts dues aux conditions hivernales], l’une sur le Serre de Montué, l’autre au col de Grimone sur l’estive de Ventecul. À terme, une troisième station pourrait être installée dans les Baronnies. Pluviomètre, anémomètre, capteur de température, d’humidité… l’idée est d’avoir des données fiables et relevées automatiquement, non modélisées, et surtout de couvrir les phénomènes locaux (orages d’été ou inversions de température) à l’origine de micro-climats. Ces outils permettront notamment de mieux anticiper la pousse de l’herbe (cumul de températures) mais aussi de permettre aux éleveurs et bergers du groupement pastoral de consulter en temps réel la météo là-haut. Dès à présent, les données météo de ces deux stations sont accessibles gratuitement sur le site du réseau d’observation météo du Massif alpin (www.romma.fr, disponible sur smartphone). À noter, grâce à ce matériel, l’Adem 26 peut aussi effectuer un suivi de la température de l’eau dans les impluviums.

S.Sabot