Rencontre technique
Des brebis sous les vergers, une expérience gagnant-gagnant

Début mars, le comité Inn’Ovin Sud-Est, la chambre d’agriculture et la fédération départementale ovine (FDO) de la Drôme ont organisé un rendez-vous technique à Etoile-Sur-Rhône. A l’ordre du jour, entre autres, le pâturage en cultures pérennes.

Des brebis sous les vergers, une expérience gagnant-gagnant
Les partenariats entre éleveurs et nuciculteurs se développent en Drôme et Isère.

Dans un contexte de changement climatique, où la ressource fourragère est de plus en plus pénalisée par des sécheresses estivales, diversifier les sources de pâturage est un enjeu majeur pour les éleveurs ovins. Le 4 mars sur le site de la station expérimentale fruits de Rhône-Alpes (Sefra) à Etoile-sur-Rhône, une rencontre technique a permis d’aborder des exemples de pâturage sous pommiers, sous noyers et dans les vignes. Pour les organisateurs, le choix de la Sefra pour organiser cette journée était symbolique : « Il y a des demandes en arboriculture autour de la gestion de l’enherbement des sols. Le pâturage peut être une solution. Eleveurs ovins et arboriculteurs ont intérêt à travailler ensemble sur ces questions », a souligné Sophie Stevenin, responsable de la Sefra.

Valorisant pour l’image du territoire

« Le pâturage des cultures pérennes est une pratique ancestrale, disparue avec la spécialisation des exploitations agricoles dans la deuxième moité du XXe siècle », a rappelé Louise Riffard, animatrice de la FDO 26. Aujourd’hui cette pratique doit être ré-abordée dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant entre filières. « D’autant qu’elle est ressentie comme durable par les agriculteurs et qu’elle est valorisante pour l’image du territoire et des filières », signale l’intervenante.

En Drôme, des expériences en ce sens ont vu le jour ces dernières années. En vignes, une expérimentation a été menée sur l’aire de la Clairette de Die, associant le syndicat de l’appellation, la FDO 26 et l’antenne France de l’institut de recherche de l’agriculture biologique FiBL Suisse (lire L’Agriculture Drômoise du 18 février 2021). Elle a donné lieu à la publication de préconisations pour garantir que la pratique, notamment du fait de la présence de cuivre dans les vignobles, n’ait pas d’impact sur la santé des brebis (informations à retrouver sur clairette-de-die.com).

Les brebis sous les pommiers

Clovis Jullian, éleveur en Gaec avec sa compagne Anna Krichel sur la commune de Truinas, a témoigné de son expérience sur les parcelles en pommiers d’Erwan Le Texier, arboriculteur en bio à Félines-sur-Rimandoule. « Nous avons démarré cette collaboration en 2017. Suite à la sécheresse, nous cherchions des pâturages supplémentaires bien situés car notre exploitation est déjà divisée sur cinq communes. Les vergers d’Erwan, soit 5,5 hectares (ha), se situent à deux kilomètres d’une partie de nos bâtiments de ferme, c’était donc simple d’y amener des bêtes d’octobre à mi-novembre, explique l’éleveur. Nous gérons nos brebis en deux troupeaux, un qui agnelle à l’automne et un autre au printemps. C’est ce second troupeau, soit environ 90 mères que nous faisons pâturer sous les pommiers à l’automne. Nous utilisons des filets pour réaliser un pâturage tournant de trois à cinq jours. Les brebis y sont à la lutte avec les béliers », précise-t-il. Une solution qui satisfait l’éleveur puisqu’elle lui permet de gagner un mois de pâturage mais il insiste sur le travail supplémentaire généré par la surveillance et la gestion du pâturage tournant.

L’entretien sur rang facilité

Pour l’arboriculteur, les résultats sont également concluants. « Ce qui m’intéresse dans cette démarche, c’est la gestion de l’enherbement. J’ai des pommiers en gobelet, de 2,5 m de haut, sans palissage ni irrigation. Entre les rangs, je passe le broyeur une fois au printemps et une autre fois l’été. Sur le rang, j’utilisais une machine à bras déporté dont je ne suis pas satisfait, indique Erwan Le Texier. Après que les parcelles aient été envahies par des lianes de clématite, j’ai passé 60 heures de débroussaillage en juin avec un salarié. Cette année, les brebis ont mangé les repousses de clématite à l’automne, cela devrait nous faciliter l’entretien sur le rang », espère le producteur. Il est en tout cas satisfait, en ce mois de mars, « d’attaquer la saison avec un sol nickel ». Il voit aussi dans la présence des brebis à l’automne un intérêt sanitaire. « Elles piétinent les feuilles tombées au sol, cela accélère leur décomposition et peut réduire la présence de tavelure », estime-t-il. Enfin, il évoque une crainte : les dommages causés aux arbres par les animaux. « Il y a eu quelques dégâts mais nous avons pu identifier les deux ou trois individus responsables », relate Erwan Le Texier.

250 brebis sous les noyers

Autre expérience présentée lors de cette rencontre technique, le pâturage sous noyers, expérimenté par Christian Nagearaffe, qui exploite 42 ha de noyeraies (dont 20 irrigués) à Montmiral. « J’ai commencé l’expérience l’année dernière avec un moutonnier de la Crau qui passe ses brebis sous mes noyers au printemps avant de les monter en estive. Cela m’évite un broyage et règle en partie la question du nettoyage sur le rang, notamment pour venir à bout du lierre qui peut s’y développer », décrit le nuciculteur. L’an dernier, 250 brebis et leurs agneaux sont passées sur une dizaine d’hectares de l’exploitation. Un berger est présent pour gérer ce troupeau et celui présent sur une exploitation voisine. Tous les trois à quatre jours, il déplace le parc, « ce qui permet de répartir la fertilisation et le tassement », insiste Christian Nagearaffe. Il compte renouveler l’expérience cette année avec davantage de brebis pour assurer un nettoyage sur une vingtaine d’hectares. « A terme, j’espère que ce pâturage va amener un changement de flore sur le rang pour faciliter le ramassage des noix », indique-t-il. Mais il souligne aussi : « Pour que ce partenariat fonctionne dans le temps, il faut bien définir préalablement les droits et devoirs de chacune des parties ». En résumé, poser un cadre solide pour que le retour de cette pratique ancestrale offre tous les bénéfices que peuvent en attendre éleveurs et producteurs de fruits.

S.Sabot