Des feux de « détresse agricole » dans toute la Drôme

À l’appel de leurs organisations nationales, une dizaine de centres cantonaux des Jeunes agriculteurs (CCJA) et d’adhérents de la FDSEA de la Drôme se sont mobilisés lundi 18 novembre dans la soirée pour exprimer la colère du monde agricole.

Des feux de « détresse agricole » dans toute la Drôme
À Châteauneuf-sur-Isère, les JA ont placé un épouvantail habillé en paysan pour représenter la mort de l’agriculture. ©JA26

Des feux de partout. Des flammes grandissantes observées par des habitants, des salariés ou des automobilistes comme à l’aérodrome de Chabeuil, lundi 18 novembre en début de soirée. Les Jeunes agriculteurs de la Drôme et la FDSEA ont apporté leur contribution à l’appel à la mobilisation nationale lancé par leur syndicat respectif. Un engouement collectif important sur le département puisqu’une dizaine de feux ont été allumés : à Albon, Chabeuil, Eurre, Die, Grignan, dans le Royans et le Vercors...

 

Dès 18 h 45, les agriculteurs ont fait brûler des branches. L’idée : « Tenir au chaud les pieds du Gouvernement pour montrer que nous ne lâcherons rien et que nous restons nombreux à être mobilisés » et « montrer que toute la France est derrière nous », déclare Vladimir Gauthier, président de JA 26.Une nouvelle action symbolique synonyme de colère, de détresse ou encore de l’enfer vécu par le monde agricole.

« Nous avons des mesures par-dessus les mesures »

Ces scènes aux airs apocalyptiques, malgré la bonne humeur habituelle des JA 26, ne sont pas sans rappeler une certaine phrase prononcée par Jacques Chirac au IVe sommet de la Terre, en 2002 : « Notre maison brûle mais nous regardons ailleurs ». Et c’est d’ailleurs une partie de la réglementation liée à cette urgence climatique qui coince pour le monde agricole. Venu en solidarité aux JA, Alain Baudouin, éleveur ovin dans le Vercors et président de l’association des bergers et éleveurs du Vercors, ne mâche pas ses mots. Il est là pour « pas que nous revivions, avec le Mercosur, ce que nous avons vécu il y a quelques années avec les agneaux qui rentraient de Nouvelle-Zélande via l’Angleterre. Pendant 25 ans, nous avons survécu puisque nos prix étaient tellement bas que nous arrivions tout juste à survivre. Aujourd’hui, si ce Mercosur est signé, c’est ce qu’il va se passer pour les éleveurs et pour beaucoup de productions… Avec des produits plein de substances chimiques interdites chez nous depuis 30 ans pour certaines », fustige témoigne l’éleveur.

À Chabeuil, de nombreux automobilistes ont klaxonné en voyant le feu comme pour exprimer leur soutien aux agriculteurs. ©ME-AD2

Alors il interroge : « Pourquoi laisserions-nous rentrer en France des produits fabriqués avec des activateurs de croissance, des hormones et des produits phytosanitaires interdits en France ? C’est insupportable et c'est tromper les consommateurs. Encore une fois, il faudrait que le consommateur soit bien conscient de ça. Si nous ne produisons pas assez en France, c’est normal que certains trucs de l’étranger entrent mais dans les mêmes conditions que chez nous, pas dans du laxisme comme on pourrait le laisser faire avec le Mercosur ». Sur la pancarte, placée devant le feu à Chabeuil, les JA ont ainsi écrit : « Mercosur, merde à coup sûr ».

« C’est insupportable que ce soit interdit chez nous et que nous allions tromper le consommateur en n’en faisant rentrer d’autres pays », déplore Alain Baudouin, éleveur. 


Dans chaque canton, plus d’une quinzaine d’agriculteurs ont fait le déplacement. Certains ont reçu le soutien des passants, venus les saluer directement ou à coups de klaxons. La réglementation française empêcherait d’assurer une concurrence. C’est ce qu’explique Antoine Combedimanche, 34 ans, producteur de grandes cultures et semences à Chabeuil.

Des panneaux explicitement contre le traité du Mercosur ont été déployés dans le Royans. ©JA26

« Aujourd’hui, il faut sans cesse essayer de trouver de nouveaux marchés. On nous impose des contraintes qui sont de plus en plus franco-françaises, qui ne sont même pas harmonisées avec les autres pays. Alors que la vente, elle est harmonisée avec les contraintes européennes. Les colzas, nous n’avons plus rien d’efficace pour détruire les altises aux semis, donc nous avons des cultures complètement détruites. Ces matières actives là, elle sont acceptées dans les pays autour. Si cela continue, les semenciers vont aller produire ailleurs, là où ils ont des solutions. Parce qu’aujourd’hui ils mettent des cultures en place chez nous que nous ne sommes même pas sûrs de pouvoir récolter… C’est une contrainte : pouvoir garder la production chez nous mais pas avec les mêmes armes. Nous respectons des règles encore plus drastiques que l’Union européenne. Nous avons des mesures par-dessus les mesures », déplore ce dernier.

« Travailler la vigne pour rien gagner voire perdre de l’argent ? L’importation de vins étrangers nous tue. C’est de la concurrence déloyale », Elsa Chastel, présidente canton de Die. 

Direction Tulette, dans le sud du département. Pas de feu au programme puisque les JA ont participé à la mobilisation en tracteurs mise en place dans le Vaucluse et ont planté des vignes au pied du pont d’Avignon. Justin Roussin, jeune agriculteur à Tulette, pointe du doigt la réglementation autour de l’agriculture biologique avec l’utilisation de produits « pas forcément propres » à l'étranger et la concurrence déloyale sur le marché du vin avec « des pays qui n’ont pas les mêmes normes que nous et une main-d’œuvre moins chère ».

Son de cloche similaire dans le Diois qui vit une « grosse crise » en viticulture selon Elsa Chastel, 21 ans, présidente du canton. Un feu « de détresse » a été allumé par les agriculteurs sur un rond-point. « L’État parle d’interdire cinq produits phytosanitaires l’année prochaine uniquement en France. Déjà que nous n’arrivons pas à la cheville des autres pays... Nous ne sommes pas concurrentiels. La situation de la clairette de Die le montre avec plein de viticulteurs qui arrêtent et des exploitations qui mettent la clé sous la porte. Travailler la vigne pour ne rien gagner voire perdre de l’argent ? L’importation de vins étrangers nous tue. C’est de la concurrence déloyale », s’afflige l’agricultrice.

Enfin, à Crest, les agriculteurs ont allumé un feu et ont décoré le rond-point d’une pancarte « Bienvenue au brésil ». Jérémy Marlenc, agriculteur sur le canton l’explique de la sorte : « Bientôt la France sera le musée de l’Europe. Les pays d’à-côté font tout notre contraire. Nous avons l’agriculture la plus propre du monde et on importe toute la merde chez nous ». 

Morgane Eymin