Interview
Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, répond aux critiques
Le président de la FNSEA a accepté de nous recevoir plus de deux heures sur sa ferme de Trocy-en-Multien, en Seine-et-Marne. Arnaud Rousseau répond sur les sujets faisant le plus l’objet de critiques et explique comment il exerce son métier d’agriculteur tout en assumant ses différentes fonctions. Il répond à tous les sujets sensibles sur lesquels Reussir.fr l'a interrogé.
On vous reproche souvent d’être un businessman, jamais dans sa ferme. Quand êtes-vous sur votre exploitation agricole ? Quels sont vos domaines de prédilection sur l’exploitation ?
Arnaud Rousseau : « Je suis né à Meaux, j’habite ici depuis toujours. Je suis sur ma ferme du vendredi au lundi. J’arrive en général le vendredi après-midi, sauf quand je suis en déplacement. Je suis maire de ma commune d’environ 250 habitants. J’ai une permanence à la mairie le lundi et le vendredi soir de 17 à 19h. Le samedi matin je fais un tour de plaine. Le dimanche est réservé à ma famille, c’est essentiel. Le lundi matin, j’ai souvent un rendez-vous avec mes associés de la méthanisation. Ensuite je fais le point avec mon chef de culture qui pilote les travaux de la ferme au quotidien avec mon épouse, elle aussi agricultrice. Je passe à la mairie pour la permanence et je dine en famille avant de partir à Paris. Je suis à 55 minutes, c’est donc assez facile. »
Sur ma ferme, j’aime les projets. Je me suis installé en avril 2002 avec mon père qui est resté sur l’exploitation jusqu’en 2012 et j’ai repris progressivement le capital jusqu’à cette date. Depuis j’ai toujours eu des projets pour développer la ferme : d’abord en installant l’irrigation avec des forages, puis en testant de nouvelles cultures : tournesol, légumes de plein champs, comme les haricots verts, flageolets, pois de conserve ; j’ai tenté les plantes aromatiques que j’ai arrêtées. Je me suis également lancé dans la méthanisation avec tout ce que ça implique d’adaptations sur le plan agronomique. Désormais je fais trois cultures en deux ans (2 pour l’alimentaire et 1 pour l’énergie). Ce qui permet de mieux couvrir les sols. Sur ce projet, nous collaborons avec l’Inrae Dijon pour étudier le potentiel du digestat et son rôle pour nourrir les sols. Tout cela permet de réduire d’environ 15% nos achats d’engrais.
Mon épouse est aussi agricultrice, nous sommes associés dans une structure commune. Comptable de formation, elle travaillait dans un cabinet d’audit à la Défense avant de reprendre la ferme de ses parents en 2006. Elle se concentre sur la partie administrative, qui est très lourde. J’ai gardé la gestion du dossier PAC, car c’est un sujet sensible et cela me permet de savoir de quoi je parle en tant que représentant professionnel agricole. »
Vous exploitez avec votre femme 700 hectares répartis en 4 sociétés, pourquoi cette organisation ?
A.R : « Mon épouse est fille d’agriculteurs. Elle a repris l’exploitation de ses parents à 10 km d’ici en 2006. Nous avons rapidement organisé la mutualisation dans nos exploitations. Sur les conseils de notre centre de gestion, nous avons d’abord regroupé le matériel dans une société commune. Ce qui permet de mutualiser les salariés en toute sécurité. Tout a été mis dans une ETA (Entreprise de Travaux Agricoles) qui fournit des prestations et facture chacune de nos exploitations, celle reprise de mes parents, celle de mon épouse ou celle que l’on a repris en commun. Les salariés ont quant à eux été regroupés dans un Groupement d’employeurs, avec cette même logique de mutualisation et de protection. Nous avons également des parts dans l’exploitation d’un ami, que j’ai voulu accompagner. La sortie est prévue cet été.
Les trois exploitations sont en SCEA avec, au-dessus, une société civile que nous codétenons avec ma femme. Cette organisation permet de sécuriser patrimonialement la détention de nos exploitations. C’est de la responsabilité du chef d’entreprise que de prévoir tout cela. N’importe quel chef d’entreprise doit le faire. Il y a trop de familles qui se retrouvent dans de très grandes difficultés quand il y a un drame. C’est important de penser aux coups durs.
Par ailleurs, en 2018 avec des voisins agriculteurs, on a décidé de créer une SAS pour lancer un projet de méthanisation. Cinq familles d’agriculteurs en sont actionnaires. Comme responsable professionnel, je trouve que c’est important de mener des projets. Je suis assez lucide, je sais que les responsabilités que j’exerce aujourd’hui peuvent s’arrêter du jour au lendemain. Je viens d’avoir 50 ans, j’ai été en responsabilité assez jeune et je sais que je ferai autre chose après. »
Pensez-vous déjà à la transmission de votre exploitation ?
A.R : « Nous avons trois enfants. Un fils de 22 ans, en 4e année d’école d’ingénieur agricole à l’ESA d’Angers. Il a d’abord envie d’aller voir ailleurs, partir un peu à l’étranger ; il pourrait rejoindre l’exploitation dans quelques années. Une fille qui en faculté médecine, elle a choisi une autre voie. Enfin, notre dernière est en première année de droit, elle a aussi une appétence pour l’agriculture. Ils feront ce qu’ils voudront, mais si un jour ils veulent revenir sur la ferme ils pourront facilement prendre des parts avec cette organisation juridique. Transmettre demain ça a du sens. »
La presse généraliste (dont Médiapart) voit dans la structuration de vos activités le moyen de contourner le contrôle des structures et d’obtenir plus d’aides de la Pac. Que répondez-vous ?
En 2002 j’ai obtenu l’autorisation d’exploiter la ferme familiale. En 2006, mon épouse a repris celle de ses parents. Pour reprendre la ferme de nos voisins, on a évidemment demandé toutes les autorisations. Qui peut imaginer que je puisse avoir un passe-droit ? Tout ça est assez facile à vérifier. Mes voisins ne se posent pas la question de savoir si je suis un « vrai agriculteur », ils savent d’où je viens, ce que je fais. Certes je fais moins d’heures de tracteur que mes collègues mais je suis agriculteur. C’est le métier que j’ai choisi il y a maintenant près de 25 ans.
Concernant notre organisation, nous avons chacun notre exploitation, et ma femme est une chef d’exploitation à part entière. Ce qui me heurte beaucoup dans les critiques que je reçois en ce moment, c’est que le travail de ma femme n’est pas reconnu. Je trouve que c’est insultant pour elle et plus globalement pour toutes les femmes. Ces attaques sont dures pour ma famille. Je suis une personnalité publique, j’assume, mais quand des journalistes débarquent dans la cour de ferme, il y a des limites ! »
Quel est le bilan social de vos structures ?
A.R : « Nous employons 4 salariés : un chef de culture depuis 2012, et deux autres salariés, dont l’un qui était en BTS par alternance et que nous avons pu embaucher. Un nouvel apprenti a rejoint l’équipe récemment. Je crois beaucoup dans l’apprentissage.
Vous avez investi dans la méthanisation et désormais dans le photovoltaïque. Pouvez-vous nous décrire votre projet ?
On démarre tout juste sur le photovoltaïque. Mon père avait construit un silo à grains en béton dans les années 70. C’était innovant à l’époque. Un projet qu’il a rapporté des Etats-Unis où il a vécu un an avant de s’installer. Mais le silo s’est dégradé.
J’ai pris le parti de le détruire pour y créer un hangar de stockage de grains à plat (moins consommateur en énergie) qui sera couvert de panneaux photovoltaïques. Ce projet a été réalisé avec le soutien de la région Ile-de-France, dans le cadre du Feader. »
Selon vous, la production d’énergie à la ferme doit prendre quelle place ? Doit-elle devenir une diversification incontournable des agriculteurs de nouvelle génération, ou est-ce une question de rentabilité et de baisse des charges ?
A.R : « Je suis convaincu que dans les prochaines années, la rémunération des agriculteurs reposera sur trois piliers : la production alimentaire, l’énergie (biomasse, photovoltaïque, méthanisation, agrivoltaïsme) et les aménités positives à l’environnement (crédits carbone, paiement pour services environnementaux).
Avec ma femme, nous sommes en train de faire labelliser notre exploitation bas carbone pour demain vendre du crédit carbone. Cette expérience me permet aussi de savoir de quoi je parle en tant que responsable professionnel. Ce qui m’intéresse c’est de voir le processus, de le tester. Nous devrions être labellisés d’ici l’été, le diagnostic est déjà fait. »
Quel intérêt de cette nouvelle activité de production d’énergie pour les petites communes, vous qui êtes aussi maire de votre village ?
A.R : « Les petites communes réfléchissent à leur consommation énergétique. Ma commune est la première du canton à être passée en 100% led pour l’éclairage public. On l’a fait en 4 ans, aidés par le syndicat départemental des énergies de Seine-et-Marne. On règle la puissance de l’éclairage selon l’heure et on éteint entre 23h30 et 5h30. Cela nous a permis de faire des économies substantielles. C’est important pour une petite commune de 250 habitants dont la dotation globale de fonctionnement a beaucoup baissé et qui a un budget de 150 000 euros. »
Vous êtes président non exécutif du conseil d’administration d’Avril quelles y sont vos missions exactes ?
A.R : « Il y a une cohérence dans mes engagements. Je suis maire pour rester connecté au terrain et aux préoccupations du quotidien. Les habitants viennent me voir pour des fins de mois difficiles, un problème avec un voisin… C’est la vraie vie ! Pour nombre d’entre eux, ils me connaissent depuis que je suis tout petit. Tout le monde a mon portable. Dans la journée, je peux décrocher pour gérer des choses que vous n’imaginez même pas.
Chez Avril, je suis président non exécutif du conseil d’administration d’Avril Gestion. Avril est une société en commandites par action (SCA) depuis 2014. Avant c’était une constellation d’entreprises, baptisée Sofiprotéol.
Il y a d’une part, des associés commanditaires qui détiennent le capital, regroupés dans Avril SCA. Parmi les actionnaires, il y a la FOP (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux), association spécialisée de la FNSEA ; le FIDOP (Fonds de développement interprofessionnel de la filière des oléagineux et des protéagineux) et depuis 2014, la Fondation Avril reconnue d’utilité publique, ce qui rend l’entreprise inopéable.
Et d’autre part, des associés commandités qui sont les membres du conseil d’administration d’Avril Gestion. Je le préside au titre de la profession agricole. Comme tous les administrateurs, je détiens une action, ce qui est une obligation légale. En tant que président non exécutif, je n’ai pas de mandat de gestion du groupe. Il est confié à un gérant, Jean-Philippe Puig depuis 2012. Je n’ai pas de contrat de travail puisque je suis mandataire social. Je suis nommé président par le conseil d’administration, à la majorité qualifiée des deux tiers, sur proposition de la FOP et pour un mandat de 6 ans qui vient d’être reconduit. C’est la FOP qui me mandate chez Avril Gestion en tant qu’élu de la FNSEA. Le conseil d’administration est statutairement présidé par un agriculteur adhérent à la FOP/FNSEA. Je suis seulement le 3e président en 40 ans, après Jean-Claude Sabin et Xavier Beulin. Avec les autres administrateurs, notre rôle consiste à valider la stratégie avec le management, mais nous n’intervenons pas dans la gestion quotidienne du groupe.
Pourquoi avez-vous choisi de garder cette fonction ?
A.R : « Pour assumer pleinement ma vision d’un syndicalisme à une vocation économique. Ce choix, je l’ai expliqué clairement avant mon élection à la FNSEA. Je l’ai redit le jour de mon élection. Le levier politique de la FNSEA et économique d’Avril sont pleinement complémentaires et apportent une organisation puissante.
Avril, c’est aussi un modèle unique qui a fait le succès du Groupe. Il ne verse pas de dividendes à ses actionnaires, tous les bénéfices sont réinvestis dans le développement de l’entreprise et de la filière. Je suis arrivé en 2017 à la présidence du conseil d’administration, suite au décès de Xavier Beulin.
A l’époque, le groupe était dans une situation complexe. Aujourd’hui, grâce au travail de toutes les équipes, les résultats se sont améliorés. C’est un modèle de capitalisme à visage humain. Ce groupe a démarré en 1983 par l’achat d’une usine à 1 franc symbolique, et 40 ans après, il fait près de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 218 millions de résultat net part du groupe (chiffres 2022). Avril, à travers ses différents métiers et activités est présente à la fois dans l’animal et le végétal. Je suis le garant que l’un et l’autre avancent ensemble, parce qu’ils sont complémentaires. »
Cette puissance, c’est justement que l’on vous reproche...
A.R : « Dans l’inconscient collectif, un agriculteur ne peut avoir d’autres horizons que sa ferme. Nous devons casser cette image d’Epinal. Je n’ignore pas que certains de mes collègues sont en grandes difficultés. Mais l’agriculture est très variée, y compris dans une même production. C’est un défi que nous devons relever collectivement pour assurer le renouvellement des générations et attirer des jeunes et des nouveaux profils.
Si le monde agricole est mieux organisé et puissant, ça nous aide pour affronter les difficultés, y compris à l’international. La puissance, c’est un faux procès. Le vrai procès serait celui de la gouvernance. Mais qui est légitime pour dire si je suis agriculteur ou pas, si je suis légitime à exercer mes mandats ou pas ? Ma légitimité vient de mon élection par mes pairs. A la FNSEA, je suis entouré d’élus qui représentent la pluralité de l’agriculture, aussi bien des territoires que des productions. Nous avons besoin de cette approche collective. »
Ces dernières semaines, votre temps a été accaparé par la mobilisation sur le terrain des agriculteurs. La taxation du GNR a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, regrettez-vous a posteriori la négociation de la FNSEA avec Bercy sur GNR ?
A.R : « Pas du tout ! C’est Bruno Le Maire qui a ouvert le débat en disant qu’il voulait supprimer la niche fiscale du GNR en deux ans, avec 700 millions d’euros d’avantages en moins la première année et 700 millions d’euros la suivante. La FNSEA est un syndicat de proposition. Nous n’avons jamais discuté de sa suppression mais d’une possible réduction qui ne devait pas se faire au détriment de la compétitivité. Nous avons obtenu de limiter la baisse à 70 millions d’euros - vs les 700M€ attendus par le ministre- à condition qu’elle soit intégralement compensée.
C’était aussi répondre à l’enjeu de la décarbonation, qui est important et ne va pas disparaître. Tous ceux qui disent le contraire commettent une erreur. Je considère que ce n’était pas une mauvaise négociation mais on n’a pas été capables de l’expliquer. Il y a eu de la démagogie de la part de certains qui ont dit que la niche fiscale allait disparaître. C’est totalement faux !
La baisse de la taxe a été annulée mais nous avons obtenu de conserver toutes les contreparties : le relèvement du plafond du micro-bénéfice agricole de 90 000 à 120 000 euros, la mesure sur les plus-values et la dotation pour épargne. Nous avons aussi obtenu le remboursement dès le pied de facture. Près de 35% des agriculteurs ne le demandaient pas, c’est une grande avancée pour la trésorerie de nos fermes !
Parmi les mesures annoncées par le gouvernement Attal, la pause d’Ecophyto 2030 fait hurler les écologistes. Que pensez-vous de l’objectif de réduire de 50 % les pesticides ? Sur votre ferme vous faites quoi en ce sens ?
Tout le monde est d’accord pour dire que les plans Ecophyto 1 et 2 sont des échecs. Le fait que certains hurlent dès qu’on parle de remise à plat m’interroge. Pour conduire une dynamique de baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires il faut déjà acter des efforts réalisés. Or aujourd’hui le thermomètre n’est pas le bon pour mesurer ces progrès. Le NODU, c’est l’indicateur de la "loose" car il se concentre uniquement sur les volumes, sans prendre en compte par exemple la toxicité des molécules. Ce qui fausse la trajectoire. Pour les matières actives de type CMR 1, nous sommes passés de 5 000 tonnes achetées en 2009 à 47 tonnes en 2023. Des progrès fulgurants ont été réalisés, que le NODU ne permet pas de mesurer.
Il y a aussi un sujet sur les volumes en bio. Ce qui nous intéresse c’est de voir la dynamique. Un indicateur européen existe, le HRI. Quand on le regarde, la courbe baisse, c’est plus satisfaisant et motivant. Et il permet de se comparer aux autres pays. La dynamique dépend aussi de la météo. Sur l’objectif des 50%, nous devons rediscuter des bases scientifiques.
Je suis toujours surpris par les réactions que suscitent les produits phytosanitaires, dans l’un des pays qui consomme le plus de médicaments. Nous n’utilisons pas ces produits par plaisir, c’est une nécessité quand une plante est malade pour ne pas perdre la récolte. Ce sont aussi des coûts importants. Nous sommes tous favorables à réduire les volumes. Pour cela, il nous faut des alternatives. Pas d’interdiction sans solution. Une enveloppe de 250 millions d’euros a été débloquée, je m’en réjouis. Allons-y, mettons les meilleurs chercheurs français et européens pour trouver des alternatives, et alors nous cesserons d’utiliser ces produits. Sur le blé, j’ai un programme fongicide que je prépare mais si je peux m’en passer je m’en passe, c’est un poste de charges supplémentaires.
Je crois beaucoup au biocontrôle et aux biostimulants. Mais les recherches vont prendre du temps, donc c’est maintenant qu’il faut s’y mettre.
Nathalie Marchand