Pastoralisme
ClimPasto : recenser les expériences  pour s’adapter au climat

Dernièrement à Chambéry, les acteurs du réseau ClimPasto* ont présenté leurs travaux sur l’adaptation des systèmes d’exploitation aux changements climatiques, en développant une approche agropastorale spécifique.

ClimPasto : recenser les expériences  pour s’adapter au climat
Les évolutions climatiques vont nécessiter un changement de paradigme, réduire la voilure pour passer les périodes difficiles et être résilient.

Une cinquantaine d’enquêtes menées entre 2021 et 2022 sur quarante-trois exploitations dont des alpages collectifs et des groupements pastoraux ont permis de mesurer les impacts du changement climatique déjà constatés sur le terrain : sécheresse d’été, hiver plus doux, précipitations moins régulières, multiplication des épisodes climatiques imprévisibles, hausse des variabilités inter et intra annuelle des conditions météo... Ces évolutions ont de multiples conséquences sur les exploitations agricoles et les éleveurs ont mis en place différents leviers pour gagner en résilience. ClimPasto a donc recensé ces leviers d’adaptation et les a présentés à l’occasion d’un séminaire, les 11 et 12 octobre à Chambéry. Les impacts du changement climatique concernent la baisse qualitative et quantitative de la ressource herbagère, mais également le bien-être de l’animal avec des problèmes sanitaires, des baisses de performances et de production. La diminution de la ressource en eau pose des difficultés d’abreuvement et amplifie les risques sanitaires.

Proposer des adaptations

Très souvent l’adaptation des pratiques agricoles porte sur l’optimisation de la productivité des surfaces fourragères, des récoltes et du stockage. La diversification des cultures avec l’implantation de nouvelles espèces est l’une des solutions (lire article page 9). Le maintien de la production de céréales ou l’achat de fourrages en sont d’autres. En zone pastorale, l’optimisation de la ressource fourragère reste un levier, mais il est aussi possible de rechercher de nouvelles surfaces à pâturer ou de diminuer le chargement. Le calendrier de montée et de descente du troupeau est également un paramètre. Ils sont nombreux à constater un décalage dans la saison. Sur le parc des Écrins, la neige part onze jours plus tôt que dans les années soixante. « En définitive, on devrait monter en alpage au printemps et en automne », témoigne un agriculteur dans une vidéo.

Modifier la taille du troupeau ou les surfaces

La recherche d’autonomie alimentaire passe aussi par le cheptel, par une utilisation de races rustiques adaptées par exemple. Benoît Suiffet, agriculteur de Val Cenis et représentant Cap Tarentaise, a confirmé que « la tarine résistait mieux à la chaleur et à une alimentation moins riche ». Pour lui « les éleveurs, pour être résilients, doivent accepter de produire moins et de diminuer leurs charges pour passer les caps difficiles ». La diminution de la taille du cheptel, l’adaptation des mises bas en fonction de la pousse de l’herbe, la lutte contre le parasitisme et la limitation de l’hyperthermie des animaux sont d’autres leviers possibles. D’une façon générale, il s’agit « de réduire la voilure en période de crise, comme l’a précisé Christophe Léger, président du Suaci Montagn’Alp. L’autonomie fourragère est essentielle pour être moins dépendant des achats extérieurs et les exploitations doivent rechercher de la souplesse : stocker du fourrage pour les années difficiles, utiliser le pastoralisme et les zones intermédiaires pour aller chercher des surfaces à brouter ». 
Lors de la table ronde rassemblant Henry Pagnier, président de l’Ardar (Jura), Christophe Léger, (Suaci Montagn’Alp) et Olivier Tourand (Massif central Sidam), il a été confirmé « qu’il n’y a pas de solution unique mais des pistes complémentaires à adapter selon son territoire et ses filières. Chaque année est différente climatiquement, trop d’eau, trop chaud, trop sec… l’adaptation climatique doit donc évoluer d’une année sur l’autre. »
Ce séminaire a été l’occasion de présenter la « pastothèque », un catalogue qui rassemble une typologie partagée des milieux pastoraux, les méthodes d’approches et les références. Puis le projet des fermes résilientes mené par la chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc a été présenté par la conseillère agricole Mélissa Peltier avec Benjamin Verollet, agriculteur à Chambéry qui a apporté son témoignage. Des fiches seront disponibles prochainement pour mettre en valeur ces pratiques résilientes déjà en place chez certains agriculteurs.

Sécuriser la ressource en eau et sa qualité

« Les sécheresses d’été et le tarissement des sources nécessitent l’aménagement de ressources en eau pour abreuver les animaux et pour stocker de l’eau. » Fabrice Pannekoucke, vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes en charge de l’agriculture et du tourisme, a confirmé lors de son intervention en conclusion de ce séminaire, « que la Région soutiendra tout projet de création de réserves d’eau avec des usages partagés pour l’agriculture, l’activité touristique dont la neige de culture et aussi la défense incendie ». 

Claudine Lavorel

* Coordonné par le Suaci Montagn’Alpes, le projet ClimPasto rassemble vingt-trois partenaires des différents massifs, dont les chambres d’agriculture, les services pastoraux, l’Inrae et l’Idele. Le projet s’intéresse aux indicateurs agroclimatiques en s’appuyant sur le retour d’expérience de trois dispositifs existant sur les massifs Alpes, Jura et Massif central : alpages sentinelles, Resysth et AP3C.
3 Pour en savoir plus : https://suaci-alpes.fr/thematiques-projets - www.sidam-massifcentral.fr -
www.opcc-ctp.org/fr/proyecto/epicc  

Cap sur de nouvelles espèces fourragères plus résistantes
L’une des visites du séminaire ClimPasto s’est déroulée à Gruffy (74) pour démontrer l’importance de prendre soin de sa ressource fourragère.
AU GAEC LES CHAMPS DU LAC

Cap sur de nouvelles espèces fourragères plus résistantes

Les essais d’implantation de semences résistantes à la sécheresse ne fonctionnent pas tous, « mais il faut essayer pour savoir et adapter nos modèles aux changements climatiques », affirme Christophe Léger, président du Suaci Montagn’Alp.

En Haute-Savoie, le Gaec Les Champs du Lac exploite deux sites : la ferme familiale à Saint-Jorioz et un bâtiment agricole repris en 2018 à Gruffy, lors de l’installation de Guillaume et Flavien Léger. Une étape indispensable pour trouver du foncier, la situation au bord du lac d’Annecy ne permettant pas l’installation des fils de Christophe Léger. Le troupeau de 90 vaches laitières de races abondance et montbéliarde passe l’hiver à Saint-Jorioz, le reste de l’année à Gruffy et les génisses montent au Semnoz avec un groupement pastoral.

Deux sites pour produire assez de fourrages

La famille Léger a fait le choix d’un système 100 % herbe, un pâturage tournant dynamique avec une gestion en paddocks. Ils doivent respecter le cahier des charges des trois AOP : tome des Bauges, abondance et reblochon et ils considèrent « que c’est à la vache d’aller chercher le maximum d’herbe pour limiter le travail ! » Ainsi les vaches pâturent 220 jours par an (début mars à fin novembre) jour et nuit, sur une superficie de 50 ha quasiment d’un seul bloc autour du bâtiment de Gruffy, sur des terres de gravier bien utiles pour la portance en cas de pluie, mais qui deviennent un inconvénient en cas de sécheresse. Sur la superficie de 140 ha dont 45 non mécanisables du fait de la pente, les éleveurs ont choisi de ne produire que de l’herbe avec 130 ha en prairies permanentes.
Produire de l’herbe avant des volumes de lait
Christophe Léger a fait de la culture de l’herbe sa spécialité. Il ne produit ni maïs, ni cultures dérobées car il a fait le choix du non-labour et d’une mécanisation minimum, « la plupart des matériels sont en cuma et le reste est souvent acheté d’occasion par volonté de limiter les charges ». Il a réalisé sa cinquième coupe de foin début octobre et confirme que le végétal a une capacité d’adaptation extraordinaire : « Fin août, je pensais qu’il serait nécessaire d’acheter des grandes quantités de foin pour passer l’hiver. Aujourd’hui avec cet automne magnifique et compensatoire, mon estimation d’achat de fourrage est divisée par cinq, en espérant rentrer les bêtes au plus tard, fin novembre et pourquoi pas en décembre ? » Pour compenser la perte des fourrages due à la sécheresse de cet été, il a choisi d’implanter plusieurs semences résistantes : du méteil, de la chicorée et du teff, en sur-semis. « Sur l’essai de méteil, c’est très simple, je me suis planté ! Allez voir d’autres agriculteurs qui eux ont parfaitement réussi », dit avec humour le président de l’interprofession laitière des Savoie.

Tester pour connaître

L’arrivée de la chicorée sur les parcelles à proximité de l’étable apporte des volumes et une ration plus protéique. « Nous avons gagné un litre de lait en entrant dans la parcelle avec le mélange prairie et chicorée. Ce qui est important, c’est de ne pas laisser grandir la chicorée pour qu’elle garde son appétence. C’est une plante qui pousse très vite et la placer dans la parcelle parking où les vaches pâturent la nuit est une bonne solution ». L’essai avec du teff, une graminée cultivée comme céréale secondaire en Afrique, et qui ressemble à un ray-grass a été concluant. « Il a fallu comprendre comment la semer car c’est plutôt une poudre qu’une graine. » L’avantage est sa capacité à pousser à des températures élevées, son point faible est qu’elle est gélive. « C’est la seule culture qui est restée verte cet été et nous allons sursemer une avoine pour les pâturages du printemps prochain ». Pour Christophe Léger, « il est important de faire appel au conseiller fourrage de la chambre d’agriculture et de tester des nouvelles plantes plus résistantes. Pour moi, vendre des animaux et acheter du foin, ce ne sont pas les bonnes solutions. Ma génétique je la préserve et je préfère stocker du foin pour les années plus compliquées. Du fourrage dans la grange, c’est aussi important que de l’argent à la banque ! »
C.L.

Teff et chicorée ont permis de produire des volumes de fourrage cet été, en pleine canicule