Aquaponie
Carpe et Capucine, quand poissons  et végétaux vivent en symbiose

Créée en 2021 à Loriol-sur-Drôme, la SAS Carpe et Capucine est l’une des premières fermes aquaponiques dans le département. Un mode de culture qui permet notamment de faire de grandes économies d’eau, un atout indispensable dans le monde agricole d’aujourd’hui.

Carpe et Capucine, quand poissons  et végétaux vivent en symbiose
Laure Mion, ancienne arboricultrice et désormais co-dirigeante de la SAS Carpe et Capucine, s’est passionnée pour l’aquaponie. La serre de 4 650 m² abrite 17 500 fraisiers et de nombreux légumes à feuilles et aromates. ©Amandine Priolet

Faire cohabiter poissons et plantes, tel est le défi que s’est lancé la SAS1 Carpe et Capucine, créée à Loriol-sur-Drôme en 2021. « Nous avons eu la chance de participer en 2017 à une expérimentation indoor sur l’aquaponie2. Nous avons été  rapidement convaincus par cette méthode de production qui associe élevage de poissons et maraîchage, dans un circuit d’eau fermé », explique Laure Mion, arboricultrice et fondatrice de la ferme aquaponique aux côtés de Frédéric Mion, Bérengère et Fabien Archimbaud et Valérie Moscatelli. « Avant de nous lancer, nous nous sommes assurés du bon fonctionnement de ce procédé et des économies d’eau. Aussi, il nous fallait voir comment les consommateurs percevaient ce mode de production… Une salade produite sur une table de culture, ce n’est pas banal ! Après avoir répondu à toutes ces questions, nous avons décidé unanimement d’en faire notre métier. » 
Le projet prend forme, avec le double objectif de créer une ferme aquaponique de production, mais aussi une ferme pédagogique pour vulgariser et faire connaître cette technique agricole auprès du grand public, des écoles, etc. Une technique qui se veut 
innovante, durable et vertueuse : « Nous produisons des plantes et élevons des poissons en consommant le minimum d’eau grâce à un circuit fermé. Nous économisons ainsi 95 % d’eau. Les 5 % perdus sont dus à l’évapotranspiration des plantes, l’évaporation et l’entretien des machines », souligne Laure Mion. Pour maintenir le niveau d’eau des vingt-quatre bassins d’élevage, seule une pompe de 8 m3/heure est nécessaire par intermittence. « Nous recevons des lots d’une tonne à une tonne et demie de truites arc-en-ciel (Onchorhyncus Mykiss) trois fois dans l’année, qui proviennent des piscicultures de Drôme-Ardèche ou d’Isère », poursuit-elle.

Qualité de l’eau et bien-être animal

Les poissons sont répartis en faible densité par bassin à raison de 25 à 30 kg par m3 d’eau, ce qui permet également de maintenir la qualité de l’eau. « On ne dépassera jamais les 50 kg par m3. Au-delà, on prend le risque de blessures ou de transmission de maladies. » L’aspect sanitaire et le bien-être animal sont des priorités chez Carpe et Capucine. 70 % des déjections des truites sont dissoutes dans l’eau et permettent d’apporter les nutriments nécessaires au développement des plantes. Les 30 % restants sont extraits et rejetés dans un lombricompostage. Le « jus » issu de ces déjections est ensuite réinjecté dans les cultures. Pour contrôler les déjections, l’alimentation est dosée en fonction du poids et de la taille des truites, par le biais de nourrisseurs automatiques, afin de donner aux poissons la ration nécessaire et ainsi éviter les pics de pollution générés par un surplus d’aliments. « La qualité de l’eau est notre préoccupation première. La filtration biologique nous permet de transformer l’ammoniac des déjections en nitrates, par le biais de petites bactéries. » Ainsi, ces nitrates permettent de fertiliser les cultures qui, à leur tour, épurent l’eau des poissons grâce au circuit fermé. « Nous n’avons pas le label agriculture biologique car nous ne produisons pas en pleine terre. 
En revanche, nous protégeons nos cultures par une lutte biologique. Nous ajoutons seulement des oligo-éléments, comme le fer, bien supporté par les poissons », affirme Laure Mion.

Abattage et transformation à la ferme

Trois jours avant les journées d’abattage (lundi et mercredi), les poissons de taille convenable (minimum trois mois d’âge) sont isolés dans un bassin avec de l’eau de forage propre, afin de les purifier au maximum. Ils partent ensuite au laboratoire de transformation installé sur la ferme. De ce fait, Carpe et Capucine propose à la vente, au-delà des fraises, des légumes à feuilles (cresson, chou pack choï, cébette, salade) et des aromates (basilic, ciboulette, coriandre, aneth, persil), des truites entières et des truites fumées. « Nous aimerions à l’avenir développer notre gamme en proposant des terrines de poissons, des gravlax aux herbes aromatiques de la ferme, etc. », prévient la dirigeante. 
En période de récolte, les cinq associés peuvent également s’appuyer sur de la main-d’œuvre supplémentaire. « Nous recevons régulièrement des alternants, voire des stagiaires en reconversion professionnelle qui souhaitent découvrir le métier de l’aquaculture. Nous recherchons d’ailleurs notre futur alternant en pisciculture », informe Frédéric Mion, l’un des fondateurs. 
Partager, transmettre et mettre en lumière ce nouveau modèle d’agriculture, font partie des valeurs essentielles que véhicule la société Carpe et Capucine. « Nous ouvrons nos portes aux gens qui le désirent sur rendez-vous, mais aussi aux écoles. Nous allons travailler avec les collectivités locales, et notamment la cuisine centrale d’Eurre », indique Laure Mion. L’attachement au local est un défi indispensable pour les entrepreneurs : « Nous vendons nos produits à la ferme, au sein de notre magasin, mais aussi sur le marché de La Voulte. Nous faisons également quelques foires dans le secteur, dont celle de Livron-sur-Drôme le 13 octobre prochain à l’occasion de la Fête de la science. Par ailleurs, nous travaillons avec quelques magasins de producteurs, petites épiceries et restaurants, mais aussi avec certaines grandes et moyennes surfaces (GMS) du secteur », déclare l’agricultrice.

Vers une autonomie énergétique ?

Pour aller plus loin dans la démarche, la SAS Carpe et Capucine aimerait composter les carcasses et les déchets de poissons après transformation, comme cela se fait déjà en Bretagne. « On voudrait être maître de toute la filière, et se servir de ce compost pour les cultures extérieures, sans avoir besoin d’avoir recours aux transports routiers », souligne Laure Mion. En effet, la serre est entourée de 2,5 ha de terres. « Nous avons un gros hectare à mettre en culture. Nous réfléchissons déjà à mettre des plants de courges d’hiver, des framboisiers, etc. », explique l’agricultrice. À l’avenir, les cinq dirigeants souhaitent également intégrer des panneaux photovoltaïques pour gagner en autonomie énergétique, l’énergie figurant comme l’un des plus gros postes budgétaires. In fine, la SAS Carpe et Capucine ambitionne d’activer tous les leviers disponibles pour tendre vers l’autonomie la plus totale et poursuivre l’aventure d’une aquaponie durable.

Amandine Priolet

1. Société par actions simplifiée.
2. Méthode de culture inspirée des écosystèmes naturels qui permet d’allier élevage de poissons et maraîchage.

Repères

• SAS créée en 2021.
• 5 dirigeants : Laure et Frédéric Mion, Bérengère et Fabien Archimbaud, Valérie Moscatelli.
• 24 entrepreneurs investisseurs.
• 5 600 m² de serre dont 950 m² destinés à l’élevage de poissons.
• 24 bassins d’élevage, 1,5 tonne de poissons par lot (environ 4,5 t à l’année).
• 17 500 fraisiers. 
• Investissements : 1,3 M€.