Le nouveau préfet au contact des agriculteurs

Le 4 mars, Hugues Mouthou prenait ses fonctions de préfet dans la Drôme. Pile un mois après, il est allé sur deux exploitations agricoles du département à Livron, puis Marsanne. A son arrivée dans la Drôme, il avait dit qu'il serait « un préfet très agricole, tout terrain ». Et il l'a répété ce 4 avril à Livron sur l'exploitation arboricole de la famille Verd (SCEA Les vergers d'ici), où il a été accueilli. Et ce, en présence entre autres du sous-préfet de Die, Patrick Bouzillard, des directeurs de la DDT, Philippe Allimant, et de la DDPP, Bertrand Toulouse, d'agriculteurs, dont le président de la chambre d'agriculture, Jean-Pierre Royannez, celui de la FDSEA, Grégory Chardon, de représentants des JA...
« Rien ne vaut plus qu'une visite sur le terrain, qu'un contact direct avec les forces actives du monde agricole », a assuré le préfet. Et d'observer aussi : « Tous les jours, j'ai des arbitrages à rendre, des choix à faire de façon juste et équilibrée. J'aurai toujours un avis bienveillant par rapport au monde agricole. Pas simplement par affection même si j'aime ce contact extrêmement direct, parfois rugueux. Mais aussi parce que vous représentez une force économique ».
Main-d'œuvre
A la SCEA Les vergers d'ici, plusieurs problématiques ont été évoquées. En arboriculture, le gel, la grêle en sont mais « le nerf de la guerre, c'est de trouver des ressources humaines », a dit Marc Fauriel, arboriculteur à Loriol. Pour lui, mieux vaut l'introduction de main-d'œuvre étrangère maîtrisée et contrôlée par les services de l'Etat que des filières de travailleurs détachés venant de Pologne et Bulgarie. La SCEA Les vergers d'ici, elle, a recours à du personnel portugais, maghrébin et ne fait plus trop appel à Pôle emploi en raison d'échecs. Pour Grégory Chardon, arboriculteur et président de la FDSEA, les salariés recrutés via l'Ofii (office français de l'immigration et de l'intégration) « sont des pièces maîtresses sur les exploitations, qui ont souvent des responsabilités (chefs d'équipe, tractoristes...). C'est bien encadré, il faut éviter de fermer cette porte ». Il s'est aussi réjoui du maintien pour deux ans, « grâce à la mobilisation syndicale », du dispositif TODE (travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi). Le ministre de l'Agriculture estime même qu'il devrait durer plus longtemps.
Phytosanitaires
Autre souci, les produits phytosanitaires. « On nous enlève de plus en plus de matières actives sans nous laisser le temps de nous adapter », a déploré Patrick Verd. Le diméthoate, que des concurrents étrangers utilisent, en est un exemple. Les produits de remplacement sont moins efficaces, d'où davantage de traitements et un coût supérieur. Quant au voisinage, « ce n'est pas toujours simple, a-t-il confié. On essaie de faire au mieux. On traite après avoir mûrement réfléchi, fait de la lutte par confusion sexuelle, pose des nichoirs... La profession fait beaucoup d'efforts et ne le dit pas assez ». Grégory Chardon a ajouté : « Quand on sort le pulvérisateur, des association de riverains nous tombent dessus. Ce sont des violences verbales, physiques. C'est pour cela que la FNSEA a mis une charte de bon voisinage dans son contrat de solutions. Au niveau de la FDSEA et des JA de la Drôme, on y travaille dessus. » Serge Guier a d'ailleurs signalé qu'une délégation revient de Corrèze, où une charte de ce type est en place depuis quelques années. De l'avis du préfet, ce ne doit pas être un dictat imposé par l'extérieur du monde agricole.
Vols sur les exploitations
Quant aux vols sur les exploitations (matériels, produits phytosanitaires, productions), c'est « une plaie », pour Grégory Chardon. Philippe Breynat, président de l'Adarii (association drômoise des agriculteurs en réseaux d'irrigation individuels), a signalé la reprise du vandalisme sur les bouches d'irrigation : des compteurs cassés à coups de masse pour récupérer du bronze. Tout le bloc doit être changé (coût d'environ 2 500 euros) et les assurances ne veulent plus payer. Il a aussi parlé d'un vol de panneaux de grillage sur une aire de lavage de pulvérisateurs. Une convention de prévention de la délinquance devrait prochainement être signée entre la Gendarmerie nationale, la FDSEA, la chambre d'agriculture. Grégory Chardon souhaite y associer aussi les JA. « Des départements ont signé cette convention, ça fonctionne vraiment bien », a indiqué le président de la chambre d'agriculture.
Irrigation
Dernier sujet abordé à Livron, l'irrigation. Philippe Breynat a soulevé les problèmes d'étiage pour la rivière Drôme et de réduction des prélèvements de 40 % demandée pour la Galaure, l'Herbasse et la Drôme des collines. Des milliards de mètres cubes d'eau passent dans le département. Alors, lui et d'autres prônent la création de réserves pour en stocker une petite partie.
Annie Laurie
La SCEA Les vergers d'ici /Vers des méthodes alternatives
L'exploitation (75 hectares à Etoile et Livron) est essentiellement arboricole (deux tiers de pêchers et un tiers d'abricotiers) et comprend une dizaine d'hectares de céréales. Son potentiel de production est de 15 000 tonnes de fruits par an, conditionnées sur place et expédiées directement chez les clients mais vendues via un groupement de producteurs (Terroir du Sud, bureau commercial près de Nîmes). L'exploitation emploie un permanent et 80 à 90 saisonniers l'été (dont certains dix mois de l'année).
Engagée dans la démarche certifiée « Vergers écoresponsables », ces agriculteurs sont sensibles à la biodiversité (mise en place de nichoirs, d'hôtels à insectes) et s'orientent vers les méthodes alternatives : lutte par confusion sexuelle, paillage (testé sur une petite surface), un petit verger bio (planté en janvier avec deux variétés de pêches et nectarines) pour « se faire la main avant de l'étendre éventuellement à une plus grande surface ».A. L.
Seconde visite préfectorale / Après Livron, un deuxième échange entre le préfet et des représentants du monde agricole a eu lieu à Marsanne.
Agribashing, intrusion : le cri de détresse des agriculteurs
Sur l'exploitation de Thierry et Karine Mommée, l'EARL Le Clos à Marsanne, l'attention du préfet a été attirée sur plusieurs points et en particulier l'agribashing. Plus que jamais, les agriculteurs doivent gérer le mécontentement du voisinage quant à l'utilisation de pesticides, aux odeurs, bruits... Il a aussi été question des problèmes d'intrusion auxquels les éleveurs sont désormais confrontés. Début mars, à Allex, une association militante pour le droit des animaux s'est introduite dans des bâtiments d'élevage cunicole pour réaliser des vidéos dérangeantes et dénigrantes censées dénoncer les mauvaises conditions d'élevage. Seulement, la réalité était toute autre puisque l'éleveur en question avait déclaré, la veille du tournage de ces images, une épidémie du virus VHD2.
Un coup dur pour les éleveurs
Le préfet, qui ne tolère pas ces violations de propriété, craint que ce phénomène d'harcèlement s'accentue au fil du temps. « Etre le département du ministre de l'Agriculture nous rend visible, a-t-il dit. Mais, quoiqu'il en soit, vous allez devoir vous préparer à affronter dans les années qui viennent les questions de la société, qui est de plus en plus éloignée de l'agriculture. Et il serait souhaitable que des agriculteurs choisissent de s'engager en politique dans les différentes instances. »
Pour les éleveurs, c'est un véritable coup dur de voir leur métier remis en cause. « Il faut arrêter de croire que les éleveurs maltraitent leurs animaux. Sinon ils seraient les premiers touchés en termes de production », entendait-on dans les travées. Poursuivre le travail de qualité, condamner ces militants et enclencher une guerre de communication, tels sont les défis proposés par le préfet.
Les responsables locaux ont attiré l'attention sur les nouvelles cartes de zones inondables parvenues en 2018 dans les mairies et que personnes ne connaît. Ils sont déjà interpellés par un premier refus de construction de bâtiment d'élevage. Ils ont alerté le préfet sur ce sujet sensible afin que le maximum soit fait pour trouver des solutions et que des exploitations ne se trouvent figées, la diversification étant nécessaire à la survie économique sur un territoire où la concurrence foncière est très forte.
Enfin, les professionnels « grandes cultures » ont alerté le préfet sur les difficultés rencontrées par la filière semences. Véritable vivier de l'agriculture française en termes de semences, la plaine des Andrans bénéficie d'un réseau d'irrigation des eaux du Rhône... Mais les coûts ne cessent d'augmenter pour les agriculteurs et la question des restrictions des prélèvements d'eau inquiète de plus en plus. Anne-Claire Vial a insisté sur l'importance de l'irrigation dans le département : « De nombreux dossiers sont en cours, du nord au sud, qui conditionneront notre avenir », a-t-elle précisé. Le préfet a reconnu en avoir été informé dès son arrivée par ses services et par les rencontres qu'il a déjà faites. Il a assuré qu'il suivra ces dossiers avec la plus grande attention.
A. P.
L'Earl Le Clos /
Entre élevage avicole et grandes cultures

Le couple cultive 140 hectares (en pleine propriété, sur Marsanne et Savasse). Au fil des ans, l'exploitation s'est diversifiée en blé tendre, blé dur, orge, colza... puis, avec l'arrivée du réseau d'irrigation en 2003, en maïs et tournesol semences. Depuis deux ans, elle produit également du basilic frais. Et cette année, elle s'est lancée dans la pomme de terre primeur ainsi que le radis de semence.
Le couple mise sur la diversification pour faire face aux cours des productions et aléas climatiques. Si l'EARL emploie actuellement un jeune en alternance, de façon ponctuelle, elle verra arriver en été Florian, le fils, en tant que salarié de l'exploitation. Cependant, avec les problématiques actuelles que rencontrent les agriculteurs, Thierry Mommée se pose des questions sur l'avenir : « L'agriculture a vécu de gros changements ces dernières années. Aujourd'hui, je suis totalement incapable de dire où l'exploitation, l'agriculture de la Drôme en seront dans dix ans... Nous sommes à un grand tournant ».