VERS À SOIE
Un appel à la relance de la filière séricicole

La sériciculture rencontre quelques soubresauts dans le Gard, relancée par la demande en fil d’une poignée d’entreprises locales. La production est au rendez-vous mais insuffisante et les outils manquent pour structurer la filière.

Un appel à la relance de la filière séricicole
L’élevage des vers à soie comprend deux périodes : l’incubation de l’oeuf du papillon bombyx mori durant quelques jours et l’élevage de la chenille sur 30 à 40 jours, qui se nourrit exclusivement de feuilles fraîches de mûrier. ©D. Marguerit

D’irréductibles sériciculteurs et techniciens de la soie, en activité dans le Gard, se sont rendus en Sud-Ardèche dernièrement, au musée Verasoie (Lagorce), dans l’ambition de réveiller les envies et les compétences. Une rencontre était organisée pour exposer leur activité et les opportunités du marché français de la soie. « Nous commençons à en vivre correctement, mais il y a encore beaucoup de travail sur la structuration de la filière du fil de soie. Si on veut se projeter et la faire revivre, nous avons besoin d’une production de cocons en quantité suffisante, de remonter des filatures, de financements, d’aides et que d’autres producteurs s’y intéressent », explique Adeline Journot, séricicultrice à Saint-Julien-de-la-Nef (Gard).

Des signes de relance

Depuis son déclin, la filière connaît régulièrement des tentatives de reconquête et un regain d’intérêt, mais ce n’est que depuis la fin des années 2010 que l’on observe de concrets signes de relance. Sur leur secteur, trois entreprises travaillent la soie : L’Arsoie Cervin et Eyos Soieries des Cévennes, toutes deux spécialisées sur le maillage de la soie, puis Sericyne, qui produit de la soie non tissée (voir encadré). Cette dernière est approvisionnée en vers à soie par les sériciculteurs gardois depuis 6 à 7 ans dans le cadre de contrats d’exclusivité. La première, prestigieuse fabrique de bas en soie, devrait s’approvisionner en local dès cet hiver. Des échantillons de fil lui ont été présentés récemment. « Nous avons encore quelques améliorations à apporter à nos machines, mais ils étaient intéressés », confie Adeline Journot. Un fil texturé dans les Moulinages Riou à Beauvène (Ardèche), comme jadis.
La demande en cocons de soie concerne également le secteur des cosmétiques, de la pharmacie et de la phytothérapie. En Ardèche, l’artisan savonnier Mas Sophia s’approvisionne auprès du musée Verasoie, depuis quelques années, pour la fabrication de savons  à base de cocons de soie et de fleurs de thym. Dans le Vaucluse également, l’entreprise Cerra Cosmétiques mène un travail pour analyser les potentiels d’approvisionnement auprès des sériciculteurs gardois.

Reconquérir l’élevage mais aussi les outils techniques industriels

Dans l’ambition de s’ouvrir à de nouveaux débouchés, les sériciculteurs gardois lancent un appel pour relancer la filière, tout d’abord l’élevage de vers à soie pour la production de cocons et la plantation de mûriers pour leur alimentation. Ce secteur de niche apporterait un débouché certain ou un complément de revenu dans le cadre d’une diversification, parallèlement à une activité saisonnière, exposent-ils, « à condition d’investir sur la filature, reconquérir des savoir-faire et des outils techniques industriels », poursuit Adeline Journot. Avec l’association gardoise Cévennes en soie, qui fédère un groupe d’éleveurs, de passionnés et qui devrait prendre prochainement le statut de société coopérative d’intérêt collectif  (SCIC), un travail est mené en ce sens, notamment sur la modernisation d’une filature à Monoblet (Gard). « Si on arrive à remonter des filatures comme celle-ci, on devrait avoir besoin de 30 à 300 sériciculteurs en plus, selon qu’ils s’engagent de manière exclusive ou diversifiée ».
Sériciculteur installé sur cette commune, Michel Costa a toujours œuvré pour relancer la filière séricicole française. « J’ai une formation d’ingénieur agronome, j’ai fait beaucoup de missions internationales autour de la soie et acquis des connaissances que je transmets aux jeunes », explique le vigneron aujourd’hui retraité, qui approvisionne la manufacture Sericyne depuis sa création et a formé d’autres sériciculteurs locaux.
Dans leur département, la filière bénéficie aujourd’hui de l’accompagnement d’Alter’Incub, incubateur d’innovation sociale porté par l’Union régionale des Scop et scic d’Occitanie Pyrénées et soutenu financièrement par la Région Occitanie. Un appui déployé sur la modernisation de filatures, la valorisation des sous-produits et déchets de la soie, ainsi qu’un laboratoire de culture in-vitro de mûrier plus résistant au réchauffement climatique. « Nous essayons aussi d’associer à nos projets des éleveurs ovins et d’alpagas, qui travailleraient la laine, pour créer des mélanges intimes laine et soie, qui se valorisent mieux », ajoute Michel Costa. Une manière de créer des synergies entre secteurs de niche.

Une activité rémunératrice

Cette année, Adeline Journot entame sa septième saison d’élevage de vers à soie, après avoir longtemps fait du maraîchage et de la vannerie. « Nous sommes à 100 % sur la sériciculture aujourd’hui et nous en vivons correctement. » Chaque année, elle élève 100 000 vers, de début mai à fin novembre avec une coupure en août pour réaliser un vide sanitaire, qui sont destinés à la manufacture Sericyne. « Ce n’est pas coûteux ni difficile physiquement comme élevage, mais c’est très prenant si on le fait, comme nous, sur six mois. On doit les nourrir sans cesse. Le nerf de la guerre et le plus gros investissement à fournir, c’est la plantation de mûriers », explique Adeline Journot, qui entretient 2 000 arbres. Deux à trois années d’activité sont nécessaires pour être efficace dans ses pratiques d’élevage, conseille Michel Costa, ajouté à un investissement de 30 000 € / ha pour la plantation. « La sériciculture demande peu de foncier, avec un demi-hectare de mûriers, on peut déjà en tirer un revenu conséquent, mais dans le cadre d’une plantation, il faut attendre minimum 3 ans pour qu’elle produise », explique-t-il. Plus largement, pour développer l’activité séricicole, « il faudrait planter entre 100 et 120 hectares de mûriers. Aujourd’hui, nous n’avons que 5,5 ha sur notre secteur, tous les mûriers anciens ont été restaurés et sont utilisés », ajoute Michel Costa, conscient du potentiel de cultures dans le sud de l’Ardèche.

A. L.

Quand les vers transforment directement la soie !

Dans l’atelier de production de Sericyne, fondé en 2015 par Clara Hardy, les vers à soie ne tissent pas de cocons de soie. Ils sont déposés sur des supports à plat, en volumes 2D ou 3D, où ils y filent directement leurs fibroïnes et leur séricine, les premiers étant le centre structurel de la soie, la seconde la gomme recouvrant les fibres. Ce procédé breveté permet d’obtenir une soie non tissée et résistante, sous forme de feuilles voire des volumes complets, utilisée pour fabriquer des accessoires pour des marques de luxe.
Au-delà de ce procédé innovant, Sericyne s’est engagée dès le début dans la relance de la filière séricicole française. Elle a implanté son atelier de production au cœur du parc régional des Cévennes (Monoblet), où elle dispose d’une magnanerie et de cultures de mûriers, forte d’une équipe d’ingénieurs en agriculture. Elle travaille avec des sériciculteurs locaux, chargés d’élever les vers à soie pendant 30 jours avant leur arrivée dans l’atelier de production.

“ Réactualiser les savoir-faire ”
Des sériciculteurs et techniciens de la soie, en activité dans le Gard, au musée Verasoie (Lagorce). ©D.Marguerit

“ Réactualiser les savoir-faire ”

Une rencontre organisée en Sud-Ardèche a permis de susciter l’intérêt de potentiels futurs sériciculteurs et acteurs de la filière. L’élevage de vers à soie, en tant qu’activité saisonnière, attire quelques candidats, bien décidés à diversifier leurs sources de revenu. C’est le cas d’Eva Maignon, résidant à Labeaume, qui oriente son projet de reprise de l’exploitation familiale viticole, non pas sur la vigne exclusivement, mais sur de multiples activités. « L’élevage et l’attelage de chevaux de trait pour le transport de personnes et le tourisme, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam),et je me renseigne actuellement sur l’élevage de vers à soie car c’est une activité d’époque, de patrimoine, qui m’intéresse », explique la jeune femme âgée de 22 ans.
Installée dans la Loire, Christine Coelho cultive un même intérêt pour cette filière historique. Cette éleveuse d’alpagas et de lapins angora âgée de 56 ans transforme ses toisons manuellement et souhaiterait y associer du fil de soie. « Je pense commencer à mettre en place un élevage de vers à soie de petite quantité d’ici un à deux ans », explique-t-elle. « J’ai déjà planté des mûriers. » Cet été, elle espère pouvoir se former au musée Verasoie qui souhaite accompagner les projets de futurs sériciculteurs. « Notre vocation est la promotion, la pédagogie et la transmission des savoir-faire, l’approfondissement des connaissances », rappelle Delphine Marguerit, responsable du musée. Ce dernier dispose en effet d’un élevage de vers à soie, de mûriers et de nombreux supports pédagogiques spécifiques à la sériciculture. « Nous pouvons leur permettre de suivre des élevages témoins pour se faire la main, comprendre les besoins de l’insecte et percevoir l’équipement nécessaire, apporter aussi des connaissances sur les techniques culturales du mûrier, le semis et la reproduction variétale, notamment sur des variétés moins sensibles au réchauffement climatique. » Julien Sueur, conseiller municipal à Lagorce et agriculteur, d’ajouter : « Le musée Verasoie pourrait s’inscrire dans un tel projet de réactualisation de ces savoir-faire. Il n’y a pas de solution miracle. C’est en passant par de multiples petites sources de diversification que l’on arrivera à créer de la rentabilité sur les exploitations. La culture du mûrier peut répondre à de multiples enjeux et il y a, en Ardèche, beaucoup de mûriers non entretenus, laissés à l’abandon.  » Dans le Gard également, « nous pouvons accueillir et accompagner ceux qui seraient intéressés par la sériciculture, pour découvrir le métier et être sûrs que cela leur convienne », encourage Michel Costa. 
A. L.