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Concertation et convivialité au cœur d’une transmission réussie

À Crupies, Denis Achard a transmis en 2020 son exploitation à Thomas Durif. Trois ans plus tard, l’ancien et le jeune exploitant affichent une grande complicité et témoignent de leur expérience en matière de transmission hors cadre familial.

Concertation et convivialité au cœur d’une transmission réussie
Thomas Durif a repris l’exploitation de Denis Achard en 2020, transformé l’élevage caprin en ovin et construit une bergerie de 610 m². ©S.S.-AD26

« Chaque matin nous prenons un café ensemble et je lui demande : qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ? », raconte Denis Achard, 63 ans, dont 37 comme chef d’exploitation à Crupies. « Denis m’accompagne mais sans me marcher sur les pieds. Je dois faire mon expérience, faire des erreurs », poursuit Thomas Durif, 23 ans, qui a repris l’exploitation de Denis en 2020. Entre les deux, la complicité saute aux yeux. Denis Achard a permis à Thomas Durif de réaliser son rêve de devenir éleveur alors qu’il n’était pas issu du monde agricole. Le retraité estime avoir trouvé un successeur « motivé et déterminé, attaché à la commune de Crupies », où Thomas est arrivé enfant il y a une vingtaine d’années.

Si la transmission s’est concrétisée assez rapidement entre 2019 et 2020, elle a nécessité des décisions stratégiques que le cédant et le repreneur ont su prendre ensemble. Denis Achard a consacré sa carrière à l’élevage caprin avec transformation fromagère pour les affineurs, en AOP Picodon. « J’ai démarré en 1983, au décès de mon père, avec 30 chèvres. En 1991, j’ai converti l’exploitation à l’agriculture biologique, sans aucune aide à l’époque. En 1996, j’ai dû construire un nouvel atelier de transformation aux normes européennes. J’ai également désaisonné mon troupeau à la demande de l’entreprise Cavet qui collectait mes fromages. Progressivement je suis monté à 90 chèvres », détaille Denis Achard. À partir de 2017, il subit plusieurs opérations pour des problèmes de genoux. La possibilité de prendre sa retraite à taux plein en 2020, à 60 ans, se dessine. « Trois hypothèses se présentaient : un arrêt total et la reprise de mes terres par d’autres agriculteurs ; le transfert de l’exploitation au nom de mon épouse, plus jeune, tout en poursuivant le travail ou la recherche d’un repreneur », indique le jeune retraité.

« Il n’osait pas me demander »

À cette époque, Thomas, voisin de Denis, vient d’obtenir son bac pro CGEA à la MFR de Divajeu. Nous sommes en 2018, le jeune homme commence à travailler comme ouvrier agricole sur des fermes du territoire. Parfois, il donne un coup de main à Denis et en profite pour lui demander son avis sur des exploitations en vente. « Il n’osait tout simplement pas me demander si reprendre ma ferme était envisageable, sourit Denis. Alors je lui ai dit si ça t’intéresse reprend chez moi. » En 2019, les choses s’enclenchent très rapidement. « Il fallait prendre une décision concernant l’élevage caprin. La DDPP* m’avait clairement indiqué que si un jeune reprenait, avec 80 à 90 chèvres, il lui faudrait construire une nouvelle fromagerie aux normes les plus récentes. La fromagerie étant attenante à ma maison d’habitation, tout comme les bâtiments d’élevage et de stockage, il y avait aussi un risque pour Thomas lors d’une future succession », poursuit le cédant. De son côté Thomas Durif, après un stage quelques années plus tôt chez un éleveur de brebis mourerous, imagine plutôt se lancer dans l’élevage ovin. Très vite, ils étudient avec Marie-Hélène Bouvet, conseillère à la chambre d’agriculture, les deux hypothèses, celle de reprendre en caprin ou de créer un élevage ovin. La seconde option est celle qui motive le plus Thomas. Début 2020, il apprend que 85 brebis mourerous sont en vente, pas très loin. « Ce troupeau était magnifique. J’avais l’argent que j’avais mis de côté en travaillant mais les éleveuses souhaitaient impérativement qu’il parte avant fin juin », précise Thomas. De son côté, Denis Achard devait garder ses chèvres, vendues à un éleveur haut-savoyard, jusqu’en septembre. « Leur départ a été un vrai déchirement », avoue toutefois le retraité. Pour passer l’été, Thomas Durif a eu la chance de trouver une place pour son troupeau sur l’alpage des Trois Becs. Fin septembre 2020, les brebis ont rejoint l’exploitation.

Sécuriser avec une bergerie en propriété

Dans un premier temps la chèvrerie de 160 m² est reconvertie en bergerie. Denis Achard propose à Thomas de sécuriser son installation en construisant son propre bâtiment. « Je lui ai vendu une parcelle qui disposait d’un accès par la route, des réseaux d’eau et d’électricité à proximité et d’une exposition favorable. Autour, il dispose de trois grands parcs d’une quinzaine d’hectares chacun, ce qui lui permet de rentrer les brebis le soir dans un contexte de prédation », explique Denis Achard. Après chiffrage du coût d’un bâtiment bois dimensionné pour 220 brebis, Thomas décide de réaliser lui-même la partie maçonnerie. Sa bergerie de 610 m² lui revient à 130 000 euros contre les 220 000 initialement annoncés. Il bénéficie de la dotation jeune agriculteur (DJA), d’une aide dans le cadre du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations (PCAE) et souscrit deux emprunts l’un sur neuf ans pour le bâtiment, l’autre sur cinq ans pour la reprise du matériel que le cédant lui a laissé à un prix avantageux.

Trois ans plus tard, Thomas Durif dispose de 140 brebis et d’une exploitation labellisée bio. Les agneaux sont abattus et découpés à Die et vendus en direct, pour 90 % des volumes à des particuliers en caissettes (1/2 agneau ou agneau entier) et pour 10 % au Super U de Dieulefit qui a pris contact avec l’éleveur dès ses premiers agneaux commercialisés. Il exploite 125 ha de SAU dont 35 ha labourables. 13 ha sont en propriété, le reste en location auprès de trois propriétaires dont Denis Achard. L’été, ses bêtes montent en estive sur l’alpage des Trois Becs. Il est d’ailleurs depuis juin dernier le nouveau président du groupement pastoral. Son objectif est de transformer et vendre en direct au moins 100 à 150 agneaux par an, dans un système le plus extensif possible avec engraissement à l’herbe. Il compte aussi diversifier ses produits, par exemple avec des plats cuisinés fabriqués en prestation par l’atelier Troupéou à Mornans.

Sophie Sabot

*DDPP : direction départementale de la protection des populations, qui a absorbé en 2010 la direction départementale des services vétérinaires. 
60 % de pertes sur les agnelages en mars dernier
Prédation

60 % de pertes sur les agnelages en mars dernier

Malgré une transmission d’exploitation qui s’est déroulée dans les meilleures conditions possibles, Thomas Durif s’inquiète que la pression de prédation sur le territoire puisse mettre à mal ses projets. « J’ai deux agnelages dans l’année, au printemps et à l’automne. Mais, à cause du stress des attaques, j’ai eu 60 % de pertes sur les agnelages en mars dernier. Pourtant, je n’ai pas le droit à l’erreur, j’ai des emprunts à rembourser », précise Thomas. Malgré ses cinq chiens de protection, ses parcs électriques, la possibilité de rentrer les animaux la nuit, la menace est toujours présente. « Le loup attaque en pleine journée. Même si j’essaye d’être présent le plus possible, je ne peux pas l’être 24h/24. Quand je suis à Die pour emballer ma viande, quand je suis en livraison, je ne peux pas être avec le troupeau. Et puis j’ai 23 ans, c’est difficile de ne plus avoir de vie sociale », insiste le jeune homme. Heureusement, il peut compter sur une vraie solidarité entre éleveurs ovins du territoire et sur le soutien sans faille de son cédant. 

S.S.

Logement des jeunes installés

Une question trop souvent passée sous silence

Devenir éleveur, c’est aussi s’engager à veiller jour et nuit sur son troupeau. Habiter sur place ou en proximité direct de ses bâtiments est donc une nécessité. Mais, sur des territoires où les prix du marché immobilier s’envolent et où les contraintes des documents d’urbanisme se durcissent, il est parfois plus difficile pour un jeune installé de se loger que de loger son troupeau. Thomas Durif habite pour l’instant chez ses parents, non loin de sa nouvelle bergerie. « La banque m’a suivi sur mon projet agricole car elle a estimé que mon chiffre d’affaires permettrait de dégager de quoi rembourser les emprunts pour la bergerie et le matériel. Mais je ne dégage pas encore de revenu. Difficile donc d’imaginer souscrire un prêt immobilier », souligne le jeune homme. S’il y a bien des maisons en vente à proximité, leur prix atteint les 450 000 €. Inaccessible donc pour un jeune installé. Il espère à présent qu’il pourra obtenir l’autorisation de construire son logement à proximité de sa bergerie. 

S.S.