PRÉDATION
Alain Baudouin : “ Je ne serai plus éleveur professionnel ”
Lors de l’assemblée générale de l’association des éleveurs et bergers du Vercors, le 27 août dernier, les témoignages ont fusé concernant la prédation du loup. Alain Baudouin, président de l’association, a annoncé l’arrêt de son activité d’éleveur. À bout de souffle, il raconte un système qui met à mal la pérennité de son activité professionnelle.
À 57 ans, Alain Baudouin connaît son métier par cœur. Né dans le Diois, il se souvient avoir gardé son premier troupeau alors qu’il était encore enfant. « Toutes les familles avaient des troupeaux, mon grand-père avait des brebis, mes parents avaient des chèvres. J’ai commencé à les garder à partir de l’âge de sept ans. Ce n’était pas une contrainte, c’était naturel pour nous », explique-t-il. En 1985, il s’installe en agriculture, d’abord avec un poulailler, de la lavande et des vignes. C’est finalement à Combovin, sur l’exploitation de ses beaux-parents, qu’il retrouve les joies de l’élevage. « Aujourd’hui j’ai 300 brebis, j’en ai eu jusqu’à 440 », indique-t-il. Lors de l’assemblée générale des éleveurs et bergers du Vercors, qu’il préside, il a pourtant annoncé l’arrêt de son activité, à cinq ans de la retraite : « Je ne sais pas ce que je vais faire en attendant mais je ne serai plus éleveur professionnel ». Sa décision est prise, il souhaite vendre une partie de son troupeau et garder une cinquantaine de brebis pour entretenir ses terres.
Trop de contraintes
En racontant son histoire, Alain Baudouin dit aussi celle des éleveurs et bergers qu’il côtoie. « C’est trop, lâche-t-il. L’administration nous harcèle. » Les contraintes administratives cumulées, notamment après des attaques de loups, le poussent à arrêter ce métier-passion qui l’anime depuis toujours. Avec l’inflation, la situation financière des éleveurs et bergers n’est plus tenable : « En ce qui me concerne mon salaire réel se situe entre 5000 et 7000 euros par an, le reste sert à faire vivre l’exploitation », souligne-t-il. Si bien que certains en viennent au pire, tant le quotidien est difficile. « Sur ma commune, il y a eu trois suicides d’agriculteurs en quatre ans. Je ne veux pas en arriver là, je préfère arrêter. Il va se passer quoi à force de ne pas dormir à cause du loup, de l’administration ? On est excédé », avoue-t-il.
Des propositions jamais entendues
Fort de son expérience, il constate qu’en 18 ans d’existence, l’association des éleveurs et bergers du Vercors a fait de nombreuses propositions concernant la présence du loup sur le territoire. Mais il estime n’avoir jamais eu de réponses ou solutions concrètes de la part des institutions. « Cela fait 20 ans qu’il y a des comités loups et notre situation ne s’est pas améliorée », déplore-t-il. Avec plusieurs syndicats, les représentants de l’association ont quitté le comité loup le 27 juin dernier. Pour Alain Baudouin, plus question d’y retourner, ou du moins « pas dans ces conditions ». Une bataille de chiffres fait également rage sur le nombre de loups présents sur le territoire français. Récemment, l'Office français de la biodiversité (OFB) a estimé la population de loups à 921. Les chiffres de 2021 ont aussi été revus à la hausse (783 contre 624). Ces calculs ont fini d’exaspérer Alain Baudouin. « Les chiffres sont tronqués dès le départ », dénonce-t-il.
Alain Baudouin ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais il s’inquiète pour les jeunes qui s’installent ou veulent s’installer. « Les éleveurs et les bergers en ont plein le dos, ils sont fatigués. Nous n’arrivons plus à trouver des bergers pour des saisons complètes, ils restent un mois et partent car c’est trop dur », affirme-t-il. Il rappelle que le pastoralisme sur le Vercors « remonte à 7 000 ans » et que le rôle des éleveurs et bergers est d’entretenir ces territoires pour faire perdurer l’histoire. n
Elodie Potente
La difficile cohabitation avec les touristes
« Les touristes viennent, se rapprochent des troupeaux, ne referment pas les barrières. Cet été je n’ai pas passé une semaine sans courir après mon troupeau », témoigne-t-il aussi. Le manque d’information et de prévention sur les comportements à adopter par les touristes en montagne inquiète les éleveurs et bergers. D’autant que ce tourisme “non géré” devient de plus en plus populaire. Alain Baudouin regrette que ces visiteurs ne se renseignent pas sur la montagne et ne comprennent pas que certains comportements « saccagent leur travail ». En venant avec des chiens par exemple, et en s’approchant des troupeaux, les touristes se mettent eux-mêmes en danger. Les chiens de protection sont de la responsabilité des éleveurs et les promeneurs ne savent pas toujours comment réagir face à eux. « On nous répond que la montagne est à tout le monde, mais non. Je suis sur mon terrain, certains louent et c’est notre outil de travail », rappelle-t-il. Pour lui, l’utilisation des unités pastorales recensées en Auvergne Rhône-Alpes est par exemple un bel « outil qui pourrait servir pour interdire ces zones aux touristes pendant les estives. »
E. P.
Éleveurs et bergers du Vercors : une association sur le qui-vive
En attendant le prochain conseil d’administration de l’association des éleveurs et bergers du Vercors, Alain Baudouin souligne le travail fourni tout au long de l’année par deux juristes à leur côté. « C’est le 50e anniversaire de la loi pastorale, il faut la remettre au goût du jour car le métier et les pratiques évoluent », indique-t-il. Cette loi, votée en 1972, a permis de définir des outils pour les éleveurs et bergers. Mais depuis, leurs réalités ont changé, même si ces outils sont toujours utilisés. Par exemple, le nombre de chiens de protection a doublé entre 2017 et 2022. Si les éleveurs sont en train d’accumuler des connaissances sur les façons de gérer leurs chiens, ils sont bien seuls face aux conflits qui peuvent éclater avec d’autres usagers. Seuls responsables juridiques, alors même que des aides publiques sont allouées à leur achat, ils militent depuis plusieurs années pour changer le statut des chiens de protection. Les juristes de l’association des éleveurs et bergers du Vercors planchent d’ailleurs sur l’idée de transformer le statut des chiens de protection en « auxiliaire », comme pour les chiens qui viennent en aide aux personnes aveugles. D’autres solutions sont avancées par l’association. « Ce printemps, nous avons par exemple proposé à la préfète que les gendarmes viennent chez nous pour comprendre notre travail avec les chiens », explique Alain Baudouin. Une idée qui semblait avoir séduit la représentante de l’État. Mais depuis, plus de nouvelles…
E. P.