ENVIRONNEMENT
Amphibi’Ain révolutionne l’arrachage de la jussie dans les étangs
C’est une première en France et elle pourrait préserver des centaines d’étangs du recouvrement par la jussie. Fin juin dernier, la FDCuma de l’Ain et la Fredon Aura ont inauguré une nouvelle machine amphibie capable d’arracher cette espèce hautement invasive.
Après plusieurs essais, la première mise à l’eau publique de l’Amphibi’Ain a finalement eu lieu fin juin, sur l’étang de Joël Raccurt à Saint-Germain-sur-Renon (Ain). Cet amoureux de la Dombes, aujourd’hui à la retraite, poursuit son activité de pisciculteur à ses heures perdues. Voir disparaître des étangs sous des tapis de jussie est un crève-cœur. Depuis vingt ans, une soixantaine de sites touchés par la jussie ont été répertoriés et font l’objet d’une surveillance continue par la Fredon Auvergne-Rhône-Alpes (Aura). C’est donc tout naturellement que Joël Raccurt a accepté d’accueillir la démonstration de ce prototype sorti tout droit de la tête de Franck Loriot. Spécialiste machinisme à la FDCuma et à la tête de FL Agri/VL Méca-Conseil, il a imaginé et créé Amphibi’Ain avec d’anciens camarades de lycée. Enseignant au lycée des Sardières, il a également pu compter sur l’aide de ses élèves de STMA, ravis de pouvoir s’exercer sur un véritable projet.
Un complément à l’arrachage manuel
Jusqu’ici plusieurs machines avaient déjà été mises en vente sur le marché, sans grand succès. Certaines ont même favorisé le développement de la jussie. Conclusion, seul l’arrachage manuel restait favorisé. Une tâche harassante et souvent insuffisante, confiée il y a une dizaine d’années aux équipes de la Fredon Aura dans le cadre du plan de lutte départemental contre la jussie. « Certes, la machine ne sera pas aussi efficace que l’arrachage manuel, concède Franck Loriot, mais elle permettra de dégrossir le travail. » Dans l’eau, les racines de la jussie ne sont ni très profondes ni très dures, ce qui rend plus facile leur extraction. À l’aide d’un bras articulé, dirigé depuis un siège de pilotage, l’Amphibi’Ain peut alors aisément saisir les pieds de jussie. Chenillard amphibie, il a été spécialement conçu pour rentrer dans les étangs, sans en abîmer le fond avec une pression maximale de 65 g/cm2. À titre de comparaison, « c’est six fois moins que la pression exercée par un pied humain, précise Franck Loriot, donc cela ne perturbe pas trop la turbidité de l’eau ». Des flotteurs ainsi que des roues utilisées comme béquilles, permettent également de stabiliser l’engin. Une remorque, d’une capacité de 1,2 tonne, tractée à l’arrière de l’Amphibi’Ain, permettra de ramener la jussie récoltée à terre. À noter que la machine fera l’objet d’une désinfection minutieuse, à l’aide d’un nettoyeur haute pression thermique, après chaque chantier pour limiter tout risque de contamination.
Une machine évolutive
Quelque 150 000 € ont été nécessaires pour la fabrication de cette machine, financée en partie par le Département de l’Ain et la Région, à hauteur de 56 000 € chacun. « Il est important d’avoir un suivi avec les syndicats de rivières qu’il ne faut pas oublier », a rappelé Jean-Yves Flochon. Le vice-président délégué à l’agriculture au conseil départemental de l’Ain a également annoncé la sortie prochaine du quatrième Livre Blanc dédié à la pisciculture. Chaque année, le Département de l’Ain attribue 800 000 € au fonctionnement des structures
d’accompagnement de la pisciculture et aux investissements sur étangs. De son côté, Xavier Breton, représentant de la Région, a souligné « le côté expérimental et collectif » du projet.
À terme, l’Amphibi’Ain pourrait être équipé de nouveaux outils utiles à la réfection des étangs : godet faucardeur pour la coupe d’herbes non envahissantes, épandeur pour le chaulage, chaîne de fenaison pour les zones humides ou encore paniers et autres pinces assemblés au bras articulé.
Margaux Legras-Maillet
La jussie, plante hautement envahissante
Plante aquatique hautement envahissante, la jussie fait l’objet d’une interdiction de commercialisation depuis 2007 et d’une obligation de destruction. Malheureusement sa propagation est difficile à endiguer, c’est pourquoi il est important d’apprendre à la reconnaître dès son installation.
Originaire d’Amérique du Nord et des régions chaudes d’Europe, la jussie est une plante aquatique de la famille des onagraceae. Hautement envahissante, elle peut rapidement devenir un fléau pour la biodiversité et les pisciculteurs. En France métropolitaine, deux espèces de jussie exotique sont considérées comme dangereuses pour leur environnement : la jussie à grandes fleurs (ludwigia gradiflora) et la jussie rampante (ludwigia peploides). Elles ne doivent pas être confondues avec une troisième espèce, indigène (ludwigia palustris), naturellement régulée.
Une obligation de destruction
En raison de leur nocivité pour la biodiversité, les deux espèces de jussie exotique font l’objet d’une obligation de destruction et sont inscrites sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne. Un arrêté national interdit depuis le 14 février 2018 son introduction dans le milieu naturel, détention, transport, colportage, utilisation, échange et mise en vente. La détention de jussie peut être punie de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. Depuis 2021, un arrêté du 9 juin précise que « tous les moyens sont mis en œuvre, dans le respect de l’environnement, pour éradiquer les plantes exotiques envahissantes présentes dans le plan d’eau ou en contrôler l’expansion. En cas de présence de plantes exotiques envahissantes malgré ces moyens, le plan d’eau est vidangé en évitant toute dissémination. Ces espèces sont détruites par divers moyens adaptés et respectueux des enjeux environnementaux. »
Comment l’endiguer ?
Mais alors comment la reconnaître ? C’est généralement ce qui donne le plus de fil à retordre à ceux qui y sont confrontés, la plupart se rendant compte de sa présence lorsque celle-ci a déjà envahi une grande partie de l’espace. La jussie est connue pour ses tapis de grandes fleurs jaunes, or sa floraison n’a lieu qu’à l’automne, à partir de septembre, mais il est alors déjà bien tard pour agir, selon la Fredon de l’Ain. La jussie est reconnaissable au stade de bouture grâce à ses pétales ronds en quinconce. Pour endiguer sa propagation, le premier réflexe à avoir est de contacter la Fredon Aura qui recense et surveille les sites touchés. Celle-ci conseillera également le propriétaire concernant la marche à suivre.
La plante se propage essentiellement via son système racinaire, à la manière des stolons du fraisier ou du chiendent, ce qui lui permet de couvrir rapidement du terrain. Lorsque ses rhizomes sont sectionnés ou partiellement arrachés, par les animaux ou par l’homme, de nouvelles racines poussent à l’extrémité de chaque bout, il est donc impératif d’enlever l’entièreté de la racine. C’est pourquoi son éradication est particulièrement complexe. De plus, bien qu’aquatique, la jussie est capable de subsister sur terrain sec. Lorsqu’elle touche un étang par exemple, un assec peut être conseillé suivi d’une période de culture, mais cette solution doit être particulièrement étudiée. Un assec lent, avec une pente douce, pourrait par exemple favoriser le développement de la jussie. Une période de culture pourrait l’enraciner davantage, elle n’en serait que plus renforcée en cas de remise à l’eau. Les principaux ennemis de la jussie restent l’ombre et la concurrence végétale qui limitent très fortement sa propagation, mais chaque situation doit être analysée au cas par cas.
