Chambre d’agriculture
Irrigation, prédation : un monde agricole en colère

Marquée par d’importantes restrictions d’irrigation et l’explosion des dégâts du loup, la campagne agricole 2022 a été très éprouvante. Le président de la chambre d’agriculture a exprimé sa colère à la préfète de la Drôme. En cette rentrée, la hausse sans précédent des charges menace l’activité de certaines filières.

Irrigation, prédation : un monde agricole en colère
Masquée car cas contact au Covid, Elodie Degiovanni, préfète de la Drôme, a pris note de la colère du monde agricole, une colère largement relayée par Jean-Pierre Royannez, président de la chambre d’agriculture. ©AD26-CL

Se faire la voix d’un monde agricole au bord de la rupture, voilà ce qu’a fait le président de la chambre d’agriculture de la Drôme après un été particulièrement éprouvant pour l’ensemble du monde agricole. Jean-Pierre Royannez a particulièrement pointé les restrictions d’irrigation et l’explosion de la prédation lupine. Face aux élus de la chambre d’agriculture et invités réunis en session d’automne le 30 septembre à Etoile-sur-Rhône, il n’a pas mâché ses mots en s’adressant à la préfète de la Drôme, Elodie Degiovanni.

Restrictions d’irrigation : une gestion « pitoyable »

À propos des arrêtés sécheresse, « jamais nous n’avons vécu une telle campagne, les décisions ont été prises à la hussarde, a estimé Jean-Pierre Royannez. C’est une gestion pitoyable. » Il a dénoncé des restrictions prises avant même le début de la saison d’irrigation et sans tenir compte des arguments de la profession. Il a aussi dénoncé le traitement différencié entre départements pour certains bassins versants du Sud-Drôme. « Pendant l’été, pour un même cours d’eau, des agriculteurs du sud de la Drôme se sont vus interdire tout prélèvement d’eau alors que ceux du Vaucluse ou des Hautes-Alpes ont pu irriguer trois semaines de plus, un temps précieux pour mener les cultures à leur terme. Où est la logique ? », s’est-il indigné alors que certains exploitants ont perdu leurs récoltes. Jean-Pierre Royannez estime que « l’élan et la confiance espérée avec la mise en place de l’OUGC(1) ont été brisés ». Et d’ajouter : « On ne peut plus travailler comme cela, il faut tout remettre à plat ». Plusieurs élus de la chambre d’agriculture ont également exprimé leur colère n’hésitant pas à qualifier de « honte » le premier comité sécheresse ou à dénoncer une « gestion grotesque » de certaines restrictions.

« Ça ne se reproduira pas »

A la tribune de la session de la chambre d'agriculture, la préfète de la Drôme (Elodie Degiovanni), le président de la chambre d'agriculture (Jean-Pierre Royannez), le premier vice-président du Département de la Drôme (Franck Soulignac) ainsi que Pierre Combat et Sandrine Roussin (membres du bureau de la chambre d’agriculture).

« Le comité eau a été réuni dès le mois de mars par souci d’anticipation. Les données ont été discutées et partagées, a répondu la préfète. Tout ce que j’ai décidé, je l’ai fait en conscience avec les données dont je disposais. Nous avons pesé au trébuchet nos mesures et j’ai pris les décisions qui me paraissaient les plus justes. » Des propos qui n’ont pas convaincu les élus de la chambre d’agriculture. Toutefois, pour éviter de revivre pareille situation, un travail sera mené cet automne-hiver entre les services de l’État et la profession agricole. La préfète a tout de même reconnu « un dysfonctionnement catastrophique » sur la différence de traitement entre Drôme et Vaucluse, ajoutant : « Ça ne se reproduira pas ».

Pour Franck Soulignac, premier vice-président du Département de la Drôme, « on a besoin de retrouver un État stratège pour engager un plan hydraulique en lien avec les collectivités territoriales ». Par ailleurs, à propos de la position du conseil départemental sur les restrictions d’irrigation, il a reconnu « un manque de concertation en amont » et assuré qu’un « recadrage » sera fait en interne.

Loup : un « tsunami » et un « État impuissant »

Autre motif de colère, l’explosion de la prédation des troupeaux par les loups. Comparé à 2021, à la fin de cet été en Drôme, le nombre d’attaques et d’animaux prédatés a dépassé les 100 % d’augmentation. « C’est un tsunami, ce n’est plus possible, l’État est impuissant, a lâché le président de la chambre d’agriculture. La Drôme compte 20 à 25 meutes, ce qui représentera en 2023 environ 70 loups supplémentaires(2). L’État est totalement dépassé. Il faut changer de braquet et nettoyer le territoire. » Plusieurs élus de la chambre d’agriculture ont dénoncé « une gestion du loup inadmissible, une situation ingérable, infernale ». Rien qu’en 2022, « l’équivalent de trois troupeaux a été donné aux loups », a fait remarquer François Monge. « On a peur, on n’en peut plus, a confié avec émotion Nathalie Gravier, éleveuse dans les Baronnies. Si mon élevage de chevaux devait subir une attaque, je quitterais la Drôme. »

2022 est une « annus horibilis » a reconnu la préfète de la Drôme, ajoutant que « 40 % des attaques de loups concernent les troupeaux non protégés ». Elle a rappelé que huit loups ont été prélevés, ce qui « reste faible au regard de la situation », a-t-elle dit. La préfète a salué « l’exceptionnelle réactivité de la DDT » dans le traitement des dossiers d’indemnisation, ce qui assure à la Drôme « la chaîne de paiement la plus rapide de la région ». Dans son intervention, Franck Soulignac a estimé que la « population lupine, qui met en péril l’élevage, doit être mieux régulée ».

L’explosion des charges

La session d’automne de la chambre d’agriculture de la Drôme s’est déroulée dans un contexte agricole morose.

Cette rentrée est également marquée par une hausse très importante des coûts de production. Selon Jean-Pierre Royannez, certaines filières pourraient stopper leur activité cet hiver. « En volailles, entre l’aliment et le chauffage, la facture est multipliée par dix par rapport à 2021 », a indiqué le président de la chambre d’agriculture. « Une situation regrettable alors que la France est déficitaire en viande de volaille. » Thierry Mommée, élu chambre d’agriculture, évoque un « développement de l’aviculture bloqué par la hausse sans fin du coût de l’énergie ». À la coopérative Agneau du soleil, « les charges d’énergie sont passées de 180 000 à 600 000 € », a indiqué son président, François Monge. Des hausses qui mettent « en grand danger » les structures, a ajouté Serge Bon, vice-président de Valsoleil.

« En cette fin de campagne, le moral est en berne, a confié Jean-Pierre Royannez. Le secteur agricole a besoin de visibilité et de stabilité. » Il a invité les élus et l’administration à « ne jamais oublier le poids économique et les rôles de l’agriculture drômoise » et aux agriculteurs à « rester soudés et à ne pas baisser les bras ».

Christophe Ledoux

(1) OUGC : organisme unique de gestion collective de l’eau.

(2) Estimation tenant compte du braconnage et de la mortalité naturelle.

Une motion rejetée

La Confédération paysanne a présenté une motion pour demander à l’administration, entre autres, de ne pas ouvrir de nouveaux droits de pompage dans le Rhône, compte tenu des conséquences des évolutions climatiques et de l’équilibre des usages tel que définis par la loi sur l’eau de 2006. Dans sa motion, le syndicat s’oppose aussi à la création des bassines et de toutes forme de privatisation de l’eau et de la nappe, optant pour les petites retenues et bassins collinaires et l’accompagnement des agriculteurs vers des pratiques plus économes en eau.

Cette motion a été unanimement rejetée par l’ensemble des membres de la chambre d’agriculture. Seul l’élu qui l’a présentée a voté pour.

Calamités, OFB, 3STR...

Le président de la chambre d’agriculture a pointé le dispositif 3STR de contrôle des déclarations Pac à partir de 2023, « source nouvelle de stress pour les agriculteurs ». Par ailleurs, il a dénoncé les contrôles « sans humanité » de l’Office français de la biodiversité (OFB) ainsi que les normes excessives décidées par des collectivités locales pour l’utilisation de produits phytosanitaires.

S’agissant du gel 2022 en arboriculture, les indemnisations (enveloppe de 650 000 € - 64 dossiers) débuteront à compter de fin octobre, a indiqué la préfète. Pour les pertes fourragères et les autres productions sinistrées par la sécheresse et la canicule, une procédure calamité accélérée a été annoncée.

Du côté des filières, en lavande et lavandin, « la situation n’a jamais été aussi compliquée avec la chute des prix », a indiqué Alain Aubanel, ce qui pénalise le système lavande-ovin. Une aide au maintien se dessine (lire page 6). En viticulture, les pluies d’août ont limité les pertes de rendement de 10 à 15 % sur les rouges, autour de 30 % sur les blancs, ont indiqué Sandrine Roussin et Pierre Combat. En arboriculture, hormis les secteurs frappés par le gel comme les Baronnies, la saison est jugée « satisfaisante ». Ce qui n’est pas le cas en maïs et production de semences avec des pertes de rendement jusqu’à 60 %. Autre effet de la sécheresse, un déficit fourrager de l’ordre de 40 à 50 %. Des aides à la trésorerie et au transport de fourrage sont demandées.