A Vaunaveys-la-Rochette, la société Mourrière Méthanisation injecte du gaz vert dans le réseau GRDF depuis mai 2021. Ce projet porté par trois agriculteurs permet de valoriser des déchets d’industries agroalimentaires locales.
Dix ans, c’est le temps qu’il aura fallu aux trois associés de l’EARL de la Mourrière pour concrétiser leur projet d’unité de méthanisation. Mais ce délai leur a aussi permis de bien mûrir leurs objectifs. « En 2012, au moment de mon installation avec mon père et mon oncle, nous avions réfléchi à mettre en place une unité de méthanisation avec cogénération [pour transformer le biogaz en électricité, ndlr] », explique Mathieu Pommarel, aujourd’hui responsable de la SAS Mourrière Méthanisation.
Un parcours de près de 10 ans
A l’époque, il s’agit avant tout de valoriser le fumier issu de l’engraissement, sur litière bio-maîtrisée, de 3 000 porcs par an. Ainsi, l’exploitation pourrait disposer du digestat, co-produit de la méthanisation, pour fertiliser les 120 hectares de cultures, aujourd’hui répartis entre tomates de conserve (15 ha), semences de maïs doux et tournesol, luzerne sur 10 ha en bio, le reste en céréales, maïs, protéagineux…
Une étude de faisabilité est réalisée et le permis de construire déposé. Mais des obstacles administratifs, notamment la présence d’un espace boisé classé dans le périmètre du projet, compromettent sa réalisation immédiate. Durant cette période où le projet initial doit être repensé, les associés apprennent que leur unité de méthanisation pourrait faire l’objet d’un raccordement pour injecter directement le biométhane dans le réseau GRDF. « C’était plus rentable que la cogénération », reconnaît Mathieu Pommarel. Nouvelle étude et demande d’autorisation sont donc relancées.
13 000 tonnes de matières par an
La construction de l’unité de méthanisation démarre enfin en 2019. Elle est prévue pour absorber environ 13 000 tonnes de matières par an, dont les 600 tonnes de fumier issu de l’atelier porcin. Mais, nouveau virage : face à la chute des cours et à la hausse du coût de l’alimentation, les associés de l’EARL de la Mourrière viennent de prendre la décision d’arrêter l’élevage de porcs. Désormais, la seule matière issue de l’exploitation qui entre dans le méthaniseur provient de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive), soit 500 à 1 000 tonnes annuelles. Ce sont donc essentiellement des déchets issus d’industries locales (transformation de fruits et légumes, fromagerie, pailles de lavande après distillation, feuilles de maïs issues de la production de semences…) qui alimentent l’unité.
Chaîne d’hygiénisation
« Pour consolider nos intrants, nous avons établi des contrats de trois ans minimum et jusqu’à huit ans avec ces entreprises, explique le responsable de Mourrière Méthanisation. Nous travaillons également avec des sourceurs qui nous proposent des matières. » Objectif : que les intrants représentent un coût neutre pour l’activité. Si certains déchets sont aujourd’hui gratuits, voire accompagnés d’un paiement pour assurer leur recyclage, d’autres matières, essentielles au bon fonctionnement du digesteur, ont un coût. L’un des enjeux dans les années à venir sera d’éviter que le développement des sites de méthanisation n’amène une surenchère du prix de ces matières.
Le tri des biodéchets dans les ordures ménagères, obligatoire dès fin 2023, pourrait cependant offrir de nouveaux gisements pour les méthaniseurs. Mais leur traitement nécessitera de disposer d’une chaîne d’hygiénisation, signale Mathieu Pommarel. Son site en est déjà équipé, son coût : 100 000 euros.
Aujourd’hui la SAS Mourrière Méthanisation dispose d’un équipement d’une puissance de 100 Normo m³ / heure. Elle est ainsi en capacité d’alimenter chaque année l’équivalent de 900 logements neufs chauffés au gaz vert [ pour l’instant ce gaz alimente essentiellement la ville de Crest, ndlr]. Pour mener au bout leur projet, les associés ont investi 5,2 millions d’euros et bénéficié de 505 000 euros de subventions (Etat, Région, Ademe). L’inauguration du site a eu lieu le 3 novembre, en présence des élus locaux et des partenaires financiers et techniques du projet.
Sophie Sabot
Cogénération ou injection ?
Une unité en cogénération se caractérise par sa puissance en kiloWatt électrique (kWé). En moyenne en France, les unités de méthanisation en cogénération ont une puissance de 200 kWé. Une unité en injection se caractérise par sa puissance en Normo-mètres-cube / heure (Nm3/h). Pour un même niveau de substrat, mais à partir d’un certain seuil technico-économique, un projet peut soit choisir de partir en injection ou en cogénération. Un projet en injection de 100 Nm3/h correspond à un projet de 400 kWé en cogénération. En dessous de 250 kWé (équivalent 60 Nm3/h), il est préférable de choisir le modèle en cogénération. Au-dessus de ce seuil, et si le réseau de gaz est proche, le modèle en injection s’avère en général plus intéressant.
Source : Auvergne Rhône Alpes Énergie Environnement et chambre d’agriculture Aura.
Un plan d’épandage de 400 ha pour le digestat
Devenir autonomes en fertilisation est l’un des objectifs de la méthanisation pour les agriculteurs. Le digestat produit par la société Mourrière Méthanisation est valorisé sur 400 hectares de terres agricoles dans le cadre d’un plan d’épandage qui intègre les 120 hectares de l’EARL de la Mourrière. « La société de méthanisation est propriétaire de deux tonnes à lisiers pour épandre le digestat, précise Mathieu Pommarel. Nous faisons également appel à d’autres agriculteurs pour des prestations d’épandage. » L’installation de l’unité de méthanisation a en effet permis de conforter l’installation de Mathieu Pommarel mais elle offre également un revenu complémentaire pour d’autres agriculteurs du secteur, à travers l’épandage ou encore des prestations de transport avec tracteur et benne pour récupérer les déchets des industries agro-alimentaires locales.
S. S.