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Les chenilles de noctuelles déciment les champs de lavande

Des chenilles de noctuelles sont en train de détruire les cultures de lavande dans tout le sud-est de la France. Dans la Drôme, Diois et Baronnies sont particulièrement touchés, avec d'énormes pertes estimées. L’urgence est de récolter pour devancer l'insecte.

Les chenilles de noctuelles déciment les champs de lavande
Voilà à quoi ressemble une parcelle de lavande après le passage des chenilles. Un véritable désastre. ©Crieppam

« C'est une catastrophe », lâche Éliane Bres, présidente de France lavande et lavandicultrice. Sur ses 35 hectares, dont la moitié de lavande fine et l'autre moitié de lavande maillette, réparties sur la vallée de la Roanne, l'agricultrice estime pour l’instant avoir perdu 50 % de sa récolte. « Tous les jours, on en perd un peu plus ». Depuis quelques jours, les producteurs de lavande et lavandin du quart sud-est de la France font face à la chenille noctuelle, qui vient dévorer les cultures en asséchant les tiges.

« Les noctuelles peuvent manger jusqu'à un hectare par jour », témoigne Alain Aubanel, producteur à la distillerie des quatre vallées. ©A. Aubanel

Originaire d’Afrique du Nord, le papillon est transporté par le sirocco, un vent du Sahara. Et si les producteurs de lavande ont eu l'habitude ces dernières années de voir quelques parcelles touchées par l'infestation de chenilles, jamais le phénomène n'avait pris une telle ampleur. « D'habitude c'est très localisé mais là c'est vraiment partout », souligne Cédric Yvin, conseiller spécialisé PPAM et référent technique régional agriculture biologique à la chambre d'agriculture de la Drôme. De mémoire, Éliane Bres, elle aussi, n'avait jamais vu ça. L'infestation, très rapide, a surpris tout le monde. « J'étais allée voir une de nos parcelles à Saint-Nazaire-le-Désert et je me demandais ce qu'il se passait car la lavande était un peu blanche », se souvient-elle. C'est là qu'elle a vu les chenilles. Sa récolte a commencé le jour même car c'est avant tout une course contre la montre qui s'engage face à l'insecte. 

Certains producteurs ne récolteront pas

Ici, les chenilles ont percé les calices des fleurs, lesquels finissent au sol. Les pertes de récolte sont colossales. ©Crieppam

À Chamaloc, ces derniers jours ont aussi été très denses pour devancer les dégâts commis par les chenilles. « Les noctuelles peuvent manger jusqu'à un hectare par jour », témoigne Alain Aubanel, producteur à la Distillerie des quatre vallées. Le lavandiculteur s'affaire avec son équipe à commencer la distillation avec quinze jours d'avance. Le regard grave, il n'en revient toujours pas, des dizaines d'hectares par jour sont dévorés par les chenilles dans le Diois. Il en a même retrouvé jusqu'à soixante par plant : « Les traitements existent mais devraient se faire de façon précoce. Or on a découvert la chenille à quinze jours de la coupe et c'était trop tard ». En effet, les insectes sortent seulement la nuit ce qui les rend difficilement repérables.

« C'est sûr que l'on n'avait pas besoin de ça, déplore Éliane Bres, qui rappelle la difficile conjoncture de la filière. Quand on voit que certains lavandiculteurs commencent déjà à vendre du matériel c'est que l'heure est grave », fait-elle remarquer. 

Selon Cédric Yvin, « l'infestation est variable : il y a des parcelles où il n'y a presque pas de chenilles et d'autres où tous les plants ont été mangés, ce qui ne permet plus de récolter ».

Sur le département, seule la vallée du Rhône, où l'on trouve majoritairement du lavandin, n'a pas été trop touchée. Dans le reste du territoire, particulièrement en zone de montagne, certains lavandiculteurs ont renoncé à couper et sauver ce qu'ils pouvaient, car dans l'incapacité d'amortir les coûts de récolte et de distillation. D'autres ont tout simplement tout perdu.

De lourdes conséquences sur la filière

Ce qui est sûr, pour Éliane Bres comme pour Alain Aubanel, c'est que certains producteurs vont arrêter. « Nous allons perdre des lavandiculteurs », prévient la présidente de France lavande. Malgré un réseau de piégeage déjà en place, personne n'a vu les papillons femelles dans les pièges en ce début d'été 2023. L'hypothèse est que les femelles sont arrivées pleines et ont pondu directement les larves de chenilles qui se sont développées plus rapidement que d'habitude. Pour Alain Aubanel, ce sont là des conséquences du changement climatique car auparavant les papillons mourraient avec les périodes de pluies, ce qui n'a pas été le cas. Tous les acteurs du secteur vont devoir rester sur le qui-vive pour protéger les cultures dans les prochaines années.

Le moral des lavandiculteurs est au plus bas, d'autant que « tous les ans il y a des calamités agricoles, voire plusieurs fois par an », rappelle Alain Aubanel. Il est inquiet des conséquences à plus long terme sur les filières mises en place sur le territoire. Le Diois compte par exemple plusieurs entreprises dédiées à la transformation de produits (tisanes, huiles essentielles...) issus de la production de PPAM. D'autres territoires, comme le plateau d'Albion ou Valensole dans les Alpes-de-Haute-Provence, ont également développé un tourisme lié aux champs de lavande. Sans parler des apiculteurs dont la production de miel de lavande est tributaire de l'état des cultures. 

Elodie Potente

Il va falloir aider les producteurs

« Cette fois-ci, estime Éliane Bres, présidente de France Lavande et lavandicultrice, les réseaux d'écoute et de soutien psychologique proposés par les institutions agricoles ne seront plus suffisants vu l'ampleur des dégâts. » Alain Aubanel, président de PPAM de France, annonce avoir contacté directement le ministère de l'Agriculture pour qu'un soutien financier soit débloqué. « Beaucoup de producteurs n'ayant pas pu émarger à l'aide conjoncturelle mise en place cette année (enveloppe de 10 M€ dont 9 M€ pour prendre en charge une partie de la baisse d’EBE 2022 de l’atelier lavandicole - ndlr), j'ai proposé que soit étudiée la possibilité de diriger le reliquat de cette aide vers les producteurs sinistrés », explique-t-il avant d'ajouter : « On attend que la récolte se termine pour organiser des réunions dans les secteurs les plus touchés avec les producteurs, les syndicats, les organisations agricoles (chambre d'agriculture, MSA…). »

À noter, les dégâts de chenilles touchent aussi des producteurs diversifiés. Alain Aubanel cite le cas d'un arboriculteur et lavandiculteur des Baronnies. Sa récolte fruitière a été anéantie par la grêle (lire page 4) et la moitié de ses vingt hectares de lavandes a été détruite par les chenilles de noctuelles. Sur le restant, il a enregistré 50 % de pertes !

EP et CL