TEMOIGNAGES
Baronnies : sentiment d’abandon chez les producteurs d’abricots
Ils sont jeunes et croient dans le potentiel de l’abricot des Baronnies. Mais, alors qu’ils ont échappé cette année aux accidents climatiques, ils doivent à présent faire face à une véritable crise de commercialisation. Le point avec Yohan Truphémus à Eygaliers et Manon Deville et Pierre-Henri Étienne à Beauvoisin.
« Avec le soleil que nous avons eu ces dernières semaines, la qualité est au top », assure Yohan Truphémus, producteur d’abricots à Eygaliers, tout près de Buis-les-Baronnies. Après avoir été frappé par le gel six années de suite, dont trois à plus de 50 % de pertes de récolte, son verger offre enfin cette année les volumes espérés. L’exploitation a été épargnée par la grêle qui a durement frappé les Baronnies. Sur dix hectares d’abricotiers*, tous irrigués grâce à deux retenues collinaires, Yohan Truphémus estime à 200 tonnes le volume attendu. Ses circuits de vente sont diversifiés : 30 % de la production sont destinés à l’enseigne Grand Frais, 40 % partent au marché d’intérêt national (MIN) de Cavaillon - « Mon père assure une livraison tous les jours en partant d’ici à 2 h du matin », précise le jeune producteur -, 20 % sont commercialisés via un bureau de vente breton et 10 % en vente directe sur l’exploitation.
Un prix qui couvre à peine les coûts de production
Mais, en cette fin juillet, alors que les volumes sont là et que l’abricot des Baronnies répond à tous les critères de qualité attendus dans le cahier des charges de la future IGP**, Yohan Truphémus n’est pas très optimiste. « La situation du marché est très compliquée. Il n’y a pas de tirage, on assiste à une baisse significative des ventes », décrit le producteur en préparant ses palettes à expédier. Il estime que le consommateur s’est détourné de l’abricot « parce que la saison a démarré avec des prix trop hauts, sur un produit qui n’était peut être pas de qualité. » Cette consommation en berne, couplée à une production abondante tant en France qu’en Espagne ou Italie, tire les prix au producteur vers le bas, alors que les charges continuent d’exploser. « Nous devons amortir le coût des filets paragrêles, des bougies contre le gel… Nous allons tout juste couvrir nos coûts de production et nous ne pourrons pas investir », regrette-t-il. Pour lui, se pose clairement la question de réduire les surfaces et de ne garder que les parcelles qui peuvent être couvertes de filets paragrêle [5 ha sur 10 sont aujourd’hui équipés, ndlr].
À quelques kilomètres au nord, sur la commune de Beauvoisin, Manon Deville et Pierre-Henri Étienne accusent aussi le coup face à l’engorgement du marché. Pierre-Henri s’est installé sur l’exploitation familiale en 2014. Manon l’a rejoint en Gaec en 2021. Ils exploitent 35 ha dont 7 en abricots, 4 en grenades, 2 en cerises, 1,3 en prunes, 5 en oliviers et 5 en raisins de cuve pour la cave de Puyméras. Le tout sans irrigation. Bien exposée, leur exploitation a été relativement épargnée par le gel, excepté en 2022. Quant à la grêle, qui les a aussi touchés cette année, les dégâts sont moindres.
« Marché bloqué »
« Nous avons environ 50 tonnes d’abricots commercialisables, annonce le jeune couple. 90 % de nos volumes sont commercialisés par quatre grossistes, dont un majoritaire avec qui nous avons pas mal d’affinités. » Si ce dernier joue le jeu pour leur sortir de la marchandise, il a averti ses producteurs : le marché est bloqué, il n’y a pas de consommation. « Nous avons connu un début de saison assez fluide sur l’orangered. Puis tout s’est compliqué début juillet », souligne Pierre-Henri Étienne. Un facteur explique selon lui ce désintérêt du consommateur : l’inflation. « Je viens d’entendre que sur un an, le prix des fruits et légumes a pris 16 % [selon l’observatoire de l’association de consommateurs Familles rurales dévoilé le 25 juillet] », illustre-t-il.
Manon Deville analyse ce désintérêt du consommateur pour l’abricot à travers trois facteurs. Le prix tout d’abord. « Les gens privilégient de se payer des vacances quitte à manger des pâtes », résume-t-elle. Le manque de qualité du produit en début de saison ensuite. Le couple commercialise 10 % de sa production en vente directe, à la ferme et sur le marché de Crest tous les samedis. « Les clients nous disent clairement qu’ils ont été déçus de l’abricot en grande distribution », ajoute la jeune femme. Patiemment, elle et son compagnon font déguster leurs fruits, « cueillis à l’optimum de leur maturité », précise Pierre-Henri Étienne. Une expérience qui réconcilie le consommateur avec le produit. Enfin, Manon Deville insiste : « Ce qui plombe le commerce, c’est aussi la fin de la saisonnalité. Tout se télescope, le melon arrive alors qu’on a encore des cerises sur le marché, la pêche vient concurrencer l’abricot. »
« Les difficultés s’accumulent »
Pour tenter de s’en sortir cette année, ils ont mobilisé leurs réseaux, amis, famille, pour organiser des commandes et expéditions groupées. « Mais c’est beaucoup de travail de préparation », avertissent-ils. À l’avenir, ils songent à réduire les surfaces en abricots. « L’idée serait de garder 4,5 à 5 ha en production, plus un hectare de jeunes plantations, en visant des variétés qui intéressent vraiment les marchés. L’orangered reste apprécié des expéditeurs. Le bergeval aussi est un bon abricot. Quant à l’orangé de Provence, il est souvent décoté par les expéditeurs, mais nous avons un grossiste qui le travaille et, en vente directe, les clients qui le connaissent ne veulent que celui-là. Notre objectif, c’est de libérer du temps pour mieux valoriser en développant les circuits courts », explique le jeune producteur.
Passionnés par leur métier, Manon Deville et Pierre-Henri Etienne reconnaissent qu’il leur est très difficile de se projeter quant à l’avenir de l’exploitation. Années après années, les difficultés s’accumulent. « Nous voyons arriver la Drosophila suzukii sur abricot, sans qu’on nous propose de solution efficace pour lutter », illustre Manon. Leur verger subit aussi la prolifération d’un autre ravageur : le capnode. Les années de sécheresse successives ont favorisé la pullulation de ce coléoptère, qui déteste l’humidité, dans les vergers non irrigués du bassin méditerranéen. L’insecte s’attaque aux racines et provoque une surmortalité des arbres.
De plus en plus pointus techniquement
« Le verger crève et personne n’en parle. Comme pour la drosophila, on se sent un peu abandonné », se désolent les deux exploitants. « Avec le réchauffement climatique, nous cherchons à diversifier nos productions, par exemple avec le grenadier. Mais ça reste des marchés de niche. Et, surtout, en diversifiant, il nous faut être de plus en plus pointus techniquement, notamment avec les solutions de biocontrôle pour lesquelles il faut être très précis sur les dates d’application. Le rythme professionnel devient de plus en plus intense, sur la production, sur la commercialisation... », alerte le jeune producteur. Sans oublier, face au réchauffement climatique, la question fondamentale de l’accès à l’eau. « Devons nous investir dans une retenue collinaire ? Mais comment nous assurer que nous pourrons l’amortir, s’interroge-t-il. Chaque jour nous nous demandons quoi faire. » Et Manon Deville de conclure : « Nous exerçons un métier passion mais si demain tout est trop compliqué, nous avons la chance d’avoir un bagage au niveau formation [elle est ingénieure agronome et œnologue, lui est œnologue, ndlr]. Si nous n’avons plus le choix, nous ferons autre chose. » Une perspective qui, hélas, se dessine dans la tête de nombreux producteurs d’abricots dans les Baronnies.