INFLUENZA AVIAIRE
François Landais : « La vaccination ne sera pas une assurance “tous risques” »

Vétérinaire à Arzacq-Arraziguet (Pyrénées-Atlantiques) et spécialiste des palmipèdes, François Landais revient sur la nécessité de contrôler l’épizootie d’influenza aviaire en France et d’accélérer sur la mise en place d’un plan de vaccination. Interview.

François Landais : « La vaccination ne sera pas une assurance “tous risques” »
Le 31 janvier, 67 communes drômoises ont été placées en zones de contrôle temporaire (ZCT) suite à la détection du virus sur deux mouettes à Bourg-lès-Valence et Soyons. © ArchivesAD

Quelles sont les origines de l’influenza aviaire ?
François Landais : « Le virus H5 N1 descend d’une lignée génétique de virus isolés en Chine à la fin des années 1990. Sous sa forme hautement pathogène, il provoque une mortalité importante et un caractère contagieux marqué. Celui qui nous pose problème en Europe et en France est arrivé, dans le Sud-ouest, avec de premiers épisodes sérieux, durant les hivers de 2015 et 2016. Ce virus s’est installé dans les populations d’oiseaux migrateurs, au gré de la circulation des couloirs de migration et des aléas météorologiques. Il se déplace donc en même temps que la population migratrice, avec un risque de contamination pour les élevages. »

Certaines espèces sont-elles plus sensibles que d’autres à ce virus ?
F. L. : « À l’heure actuelle, les palmipèdes sont davantage susceptibles de contracter le virus, qu’un lot de poulets. Ces mêmes palmipèdes vont contracter le virus sans manifester de symptômes, ou avec des symptômes tardifs. La propagation silencieuse est toujours problématique. Mais les dindes sont également sensibles : elles développent des symptômes et une mortalité plus rapide que les palmipèdes. Une nouvelle tendance semble se confirmer concernant les poules pondeuses. Au sein de cette production, nous observons qu’un certain nombre de foyers se déclarent de façon prépondérante, par rapport à des poulets de chair. Cette tendance peut être expliquée par les flux de véhicules lors du ramassage des œufs dans les élevages. La livraison d’aliments y est également plus fréquente. Mais nous ne savons pas encore si ce facteur de risque est biologique. »

Et parmi la faune sauvage ?
F. L. : « Jusqu’à présent, le virus s’est adapté aux goélands, aux fous de Bassan, aux cygnes et aux oies. Nous pouvons aussi le retrouver chez les vautours et charognards, lorsqu’ils ont consommé des cadavres de goélands ou d’animaux moribonds. »

La propagation du virus sur tout un territoire est-elle synonyme d’endémisation ? 
F. L. : « Pour rappel, l’épizootie est une épidémie au sein d’une espèce animale. Nous parlons donc d’une épizootie d’influenza à caractère saisonnier, qui est plus ou moins prégnante l’hiver. Ce qui change la donne, c’est que nous avons détecté le virus chez des populations d’oiseaux sédentaires cet été. Le risque de contamination était donc présent à n’importe quel moment sur les zones littorales et humides. Nous pouvons donc parler d’endémisation du virus dans la faune sauvage, car il est présent de manière permanente avec un effet de saison relativement marqué. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela. Peut-être que le virus était auparavant adapté aux biotopes des oiseaux migratoires et qu’il a eu l’opportunité de passer dans des populations d’oiseaux sédentaires. Une seconde hypothèse serait que, durant le printemps dernier, la gestion du nombre de foyers a été complexe en Pays de la Loire. Il y a eu près de 800 foyers à traiter, avec de longs délais de dépeuplement et d’enfouissement des cadavres. Les délais de traitement se sont allongés et les animaux malades restaient dans les élevages sans pouvoir être éliminés, accentuant le risque de contamination à la faune sauvage résidente. Mais ce ne sont que là que des hypothèses. »

L’homologation d’un éventuel vaccin à l’automne prochain constitue-t-elle un espoir pour la filière avicole ?
F. L. : « Le Conseil européen a obligé les pays membres à envisager la vaccination comme un moyen complémentaire aux outils de lutte traditionnels. Le tabou de l’interdiction vaccinale est tombé. Dorénavant, les différentes filières espèrent mettre en œuvre une stratégie vaccinale efficace et adaptée à l’urgence de la situation dès l’automne 2023. Mais si nous souhaitons que les palmipèdes ou les dindes -qui ont des cycles de production longs et qui restent en élevage trois à quatre mois- soient en place au mois de novembre, il faudrait les vacciner fin août ou début septembre. Il ne faut pas perdre de vue que jusqu’à présent la vaccination était interdite en Europe. Il y a tout un cadre réglementaire à faire évoluer dans une démarche concertée au niveau européen. Les flux commerciaux sont conditionnés par l’absence de virus sur le territoire, mais également par l’absence de vaccination. Si nous vaccinons, des pays risquent de fermer leurs frontières aux productions françaises, par crainte du virus. Il faut donc mettre en place une surveillance rapprochée des lots vaccinés. »

Comment les expérimentations s’organisent-elles ?
F. L. : « Des expérimentations sont menées dans différents pays. Par exemple, les Pays-Bas étudient la vaccination sur les poules pondeuses, l’Italie sur les dindes, la Hongrie sur les oies et la France sur les palmipèdes. L’idée est d’adopter par la suite une attitude commune à l’échelle de l’Union européenne. Mais l’autorisation de la mise sur le marché peut être lourde et fastidieuse. Toutes ces étapes préliminaires doivent être cochées et validées dans les jours qui viennent... C’est une course contre la montre. »

La vaccination pourrait-elle suffire à éradiquer ce virus ?
F. L. : « La vaccination intervient en complément des éléments de biosécurité mis en place sur les élevages. La vaccination ne sera pas une assurance “tous risques”. S’il y a contamination d’un lot vacciné, l’équarrissage sera malheureusement la solution. D’autant plus qu’il est acté que toutes les espèces ne seront pas vaccinées. Il faudra faire des arbitrages et privilégier les doses pour des espèces, des périodes ou des zones à risque. » 


Propos recueillis par Léa Rochon

Un secteur régional à surveiller

Depuis le 1er août 2022, 289 foyers d’influenza aviaire en élevage ont été confirmés en France. Si ces cas concernent en majorité la partie ouest de l’Hexagone, la région Auvergne-Rhône-Alpes a été touchée par plusieurs cas* recensés dans les élevages, les basses-cours et la faune sauvage. Le 31 janvier, 67 communes drômoises ont été placées en zones de contrôle temporaire suite à la détection du virus sur deux mouettes.

La présence du virus de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) a été confirmée le 31 janvier sur deux mouettes découvertes sur les communes de Bourg-lès-Valence et Soyons (07). À cet effet, la préfète de la Drôme a pris un arrêté préfectoral définissant une zone réglementée (zone de contrôle temporaire - ZCT) de 20 km de rayon autour des lieux de découverte des oiseaux infectés. Cette zone comprend 67 communes de notre département (à retrouver sur www.agriculture-dromoise.fr). À l’intérieur de la zone, diverses mesures sont déployées afin de protéger les élevages de volailles d’une potentielle contamination par la faune sauvage, notamment un renforcement des mesures de biosécurité (mise sous filet, alimentation à l’abri, nettoyage des mains…), une surveillance renforcée des élevages (observation quotidienne et analyses de laboratoires) et une adaptation des activités cynégétiques (appelants de gibier d’eau et gibier à plumes). Des visites vétérinaires seront effectuées dans tous les lieux de détention dans un rayon de 5 km autour des lieux de découverte des oiseaux infectés.

« Il y a un gros travail d’harmonisation à faire »

Pour fluidifier les informations, plusieurs interprofessions concernées et les directions départementales de la protection des populations (DDPP) ont échangé le 18 janvier dernier. Selon Hélène Bombart, éleveuse et présidente de l’Afivol, une liste de personnes référentes sur le sujet de l’influenza aviaire dans chaque département devrait voir le jour en février. « Le but est que quiconque sache à qui s’adresser, tant au niveau professionnel qu’administratif… Il y a un gros travail d’harmonisation à faire », concède-t-elle.
Appliquer attentivement 
les mesures de biosécurité
Face à la menace d’expansion du virus dans les élevages, les responsables de la filière sont très clairs. La vigilance doit être extrême et les mesures de biosécurité respectées. « La biosécurité limite l’introduction, mais également la sortie d’un pathogène. Il faut limiter les personnes qui entrent sur une exploitation et dans les poulaillers », déclare François Gaudin, directeur de l’Afivol. Limiter la circulation des véhicules et pratiquer le lavage des mains font également partie des mesures de biosécurité à appliquer rigoureusement. « Chacun, dans son exploitation, doit rester vigilant et se poser la question : est-ce que je peux faire quelque chose de plus pour limiter les risques ? » ajoute Hélène Bombart avant de conclure : « Il reste néanmoins une interrogation, à propos de l’épandage du fumier ou du lisier contaminés. Nous avons posé la question à l’administration, qui ne nous a pas encore apporté de réponse. De plus, nous sommes confrontés aux zones vulnérables aux nitrates, où certains endroits comportent des interdictions d’épandage. » n
Léa Rochon
* Foyers en élevage confirmés et notifiés à l’OMSA (Organisation mondiale de la santé animale), chiffres du ministère de l’Agriculture au 26 janvier 2023.
- Ain : 3 foyers en élevage commercial de canards et de volailles de Bresse.
- Ardèche : 1 foyer sur canards d’ornement à Saint-Montan en Ardèche, à proximité de la Drôme.
- Haute-Loire : 1 foyer détecté chez un particulier à Saint-Pierre-Eynac sur des poules.
- Rhône : 1 foyer dans un élevage commercial de volailles à Savigny.
- Saône-et-Loire : 1 foyer dans un élevage de volailles à Montret.