EXPÉRIMENTATION
Dendrométrie sur pêchers : mieux identifier les besoins en eau de l’arbre

Baptiste Labeyrie, ingénieur de recherche au CTIFL*, livre les observations effectuées sur pêchers en 2022 dans le cadre du projet Denver (dendromètres en verger pour mieux gérer l’irrigation et la ressource en eau face au réchauffement climatique).

Dendrométrie sur pêchers : mieux identifier les besoins en eau de l’arbre
Le dendromètre permet de mesurer précisément le stress des arbres soumis à des restrictions d’irrigation. ©AD26-S.S.

Sur le site de la station d’expérimentation fruits Auvergne-Rhône-Alpes (Sefra) à Étoile-sur-Rhône, Baptiste Labeyrie du CTIFL teste depuis 2021 des dendromètres sur pêchers. L’outil permet de mesurer précisément le stress des arbres soumis à des restrictions d’irrigation. Cette expérimentation, réalisée dans le cadre du projet Denver (lire ci-dessous), doit permettre d’affiner les connaissances en la matière dans un contexte de réchauffement climatique particulièrement marqué en 2022. « Nous avons connu une année exceptionnelle, avec des conditions climatiques proches de celles rencontrées habituellement en Andalousie, décrit Baptiste Labeyrie. Mais ces conditions exceptionnelles seront peut-être d’ici vingt ans celles d’une année normale en Drôme. »

Stress hydrique quasi permanent en 2022

Dans ce contexte, Baptiste Labeyrie a dû adapter les restrictions prévues. « Mon objectif dans le cadre du projet Denver était de réduire de 30 % les apports d’eau par un pilotage précis, prenant en compte l’état hydrique des arbres grâce aux dendromètres. Mais dans des conditions aussi sèches que celles de 2022, le stress hydrique était quasi permanent. Nous n’avions pas réellement de marge de manœuvre puisque les vergers de la Sefra sont déjà irrigués de manière raisonnée avec l’utilisation de tensiomètres, de micro-jets… Soit en moyenne sur pêcher un apport de 300 mm sur l’ensemble de la saison », rappelle l’ingénieur.

Au final, en 2022, l’apport n’a varié que de 5 à 10 % entre les deux modalités (lire ci-desous). Mais Baptiste Labeyrie reconnaît que la réduction d’apports qu’il a tenté avant la récolte n’a pas été sans conséquence pour la production. « En pêcher, il est clairement établi qu’il ne faut pas stresser les arbres durant la période de développement végétatif (mars à mai). Ainsi, les apports d’eau commencent en général dès le mois de mars. En revanche, la phase de durcissement des noyaux marque un creux dans la croissance de l’arbre », rappelle-t-il. Peut-on ou non stresser l’arbre durant cette période de ralentissement de croissance ? « Les approches scientifiques sont assez contradictoires sur cette question, détaille Baptiste Labeyrie. J’ai donc tenté une petite restriction fin mai qui, a posteriori, s’est révélée une erreur. Sur variété précoce comme Pamela cov, la phase de durcissement se joue très vite. J’avais tablé sur une récolte autour du 15-20 juin mais avec la chaleur et la sécheresse, celle-ci a débuté dès le 10 juin soit dix jours après la restriction. Les pertes de calibre sur la modalité avec restriction ont été importantes : seulement 54 % de calibres “A et plus” contre 72 % sur la modalité sans restriction d’eau. » 

Restrictions post-récolte

Sur la phase post-récolte, vu l’état de stress des arbres confirmé par les dendromètres tout au long de la saison, il a choisi la prudence. Un seul apport a été supprimé par rapport à la modalité témoin, à un des rares moments où les dendromètres ont indiqué une légère amélioration de l’état hydrique. « Dans les conditions exceptionnelles de sécheresse et températures élevées de 2022, il paraît quasiment impossible, dans un système d’irrigation raisonné comme celui de la Sefra, de faire des économies d’eau », reconnait l’ingénieur. Il estime cependant que l’expérimentation menée avec les dendromètres permet d’avoir des références plus précises sur le comportement des arbres face au manque d’eau et de mieux identifier les périodes durant lesquelles il peut être envisageable de faire des efforts sur la consommation d’eau et à quel niveau d’intensité. « Le projet Denver permet pour l’instant de confirmer que, sur pêchers, les restrictions doivent plutôt se positionner en post-récolte », insiste Baptiste Labeyrie.

Le projet se poursuivra en 2023. Avec l’espoir que les conditions climatiques ne seront cette fois ni dans l’excès d’eau comme en 2021, ni dans le manque comme en 2022, ceci afin d’obtenir des références cette fois en conditions « intermédiaires ».

Sophie Sabot

* CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.

Deux modalités de suivi sur variété précoce

À la Sefra, le suivi avec les dendromètres est réalisé sur la variété précoce Pamela cov. « En pêcher, nous savons que les restrictions d'eau sont possibles surtout en post-récolte. Cela nous permet donc une période d'expérimentation assez longue pendant la saison » précise Baptiste Labeyrie. L’expérimentation prévoit deux modalités : le nord de la parcelle est conduit avec une irrigation normale et le sud avec une irrigation réduite, grâce à des électrovannes positionnées au milieu des rangs. Les niveaux d’apports d’irrigation sont définis à partir des données sur le stress des arbres recueillies via les dendromètres. 

Le projet Denver

Lancé en 2021, le projet Denver vise à définir si l’utilisation de dendromètres - qui permettent de mesurer en temps réel l’état de stress des arbres - peuvent contribuer à définir de nouvelles stratégies en matière d’irrigation des vergers. L’enjeu de ce projet expérimental, porté dans le cadre du dispositif Pepit*, est de définir jusqu’où il est possible d’aller en matière de réduction des apports d’eau sans conséquences durables pour l’arbre.

Le projet concerne quatre productions et quatre sites : pêches à la station d'expérimentation fruits Auvergne-Rhône-Alpes (Sefra) d'Étoile-sur-Rhône (Drôme), noix à la station d'expérimentation nucicole (Senura) de Chatte (Isère), pommes au verger expérimental de Poisy (Haute-Savoie) et châtaignes avec la chambre d'agriculture de l'Ardèche.

* Pepit : pôles d'expérimentations agricoles partenariales pour l'innovation et le transfert aux agriculteurs d'Auvergne-Rhône-Alpes, piloté par la chambre régionale d’agriculture et la Région, cette dernière soutenant financièrement les projets.