Complémentarité
« Le potentiel de l’agrivoltaïsme en France est énorme »
Christian Dupraz, directeur de recherche à l’Inrae de Montpellier, est aussi l’inventeur de l’agrivoltaïsme, ce concept mêlant production d’électricité et production agricole. Rencontre.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’agrivoltaïsme ?
Christian Dupraz : « La notion d’agrivoltaïsme a été développée à partir des années 2005. J’ai inventé le mot en 2009 et l’ai publié pour la première fois en 2011. C’est une histoire très récente, qui est apparue à plusieurs endroits dans le monde, et notamment au Japon. L’agrivoltaïsme consiste à produire, en même temps et sur une même parcelle, de l’électricité à partir du rayonnement solaire avec des panneaux photovoltaïques, et des végétaux ou des animaux. De ce fait, cette technique revient à superposer les deux productions. En maintenant la production agricole tout en produisant une énergie sûre qui ne fournit pas de déchets, ce système est vertueux. Nous nous sommes inspirés de l’agroforesterie, qui associe des arbres aux cultures, en remplaçant les arbres par des panneaux photovoltaïques. »
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
C. D. : « Les cultures agricoles n’utilisent que 30 % du rayonnement du soleil au cours de l’année. Les deux tiers restants ne sont pas utilisés par les cultures. Ainsi, l’agrivoltaïsme permet de bien utiliser et de mieux répartir le soleil. Les panneaux photovoltaïques sont placés au-dessus des cultures, entre 3 et 5 mètres de hauteur, afin de permettre le passage des tracteurs et autres outils agricoles. Ces panneaux peuvent être fixes ou mobiles de façon à donner de la lumière aux plantes lorsqu’elles en ont besoin. Ils peuvent aussi être orientés verticalement en bordure de parcelles. Toutefois, la synergie agriculture-photovoltaïsme dépend d’un équilibre lié à la densité des panneaux qui ne doivent pas faire trop d’ombre afin de ne pas impacter le rendement agricole. On préconise un taux de couverture maximal de 20 à 25 % par hectare, afin de protéger les cultures contre les excès climatiques et d’assurer un rendement presque normal. »
Comment vous est venue cette idée d’agrivoltaïsme ?
C. D. : « Cette réflexion est venue du fait que nous produisons de l’énergie à partir des terres agricoles sous la forme de biocarburant (du blé pour l’éthanol, du colza pour le diester). Mais ces filières énergétiques s’avèrent extrêmement peu efficaces. Avec un hectare produisant du blé éthanol, on peut faire rouler une voiture environ 22 000 kilomètres. Avec un hectare agrivoltaïque, on peut faire rouler une voiture électrique trois millions de kilomètres. La différence est énorme ! Cela me conduit à penser que la piste du photovoltaïque doit – dans une trajectoire de décarbonation – être privilégiée. Et pour ne pas perdre notre potentiel agricole, le fait de rendre complémentaire les productions agricoles et d’électricité nous a conduits à concevoir l’agrivoltaïsme. »
Quel est le potentiel d’une telle technique en France ?
C. D. : « La France est pionnière en agrivoltaïsme. J’ai construit le premier prototype expérimental agrivoltaïque mondial en 2010 à Montpellier. Depuis, les projets se diversifient sur l’ensemble du territoire national : grandes cultures dans le nord et le centre de la France, arboriculture, maraîchage et vignes dans le sud, élevage dans le sud-ouest, etc. Le potentiel est énorme. Nous en sommes au tout début, avec aujourd’hui près de 200 hectares. Mais les prévisions sont importantes et nous devrions atteindre 100 000 hectares de systèmes agrivoltaïques à l’horizon 2050 (soit une puissance installée de 50 MWc), produisant l’équivalent de dix réacteurs nucléaires. Il s’agit aujourd’hui de l’une des grandes voies de la diversification du mix énergétique et de décarbonation de l’agriculture. »