ENTREPRISE
L’affineur, un maillon essentiel pour la filière Picodon
Le 27 juillet, à Dieulefit, Fabrice Pannekoucke, vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, délégué à l’agriculture, a visité la Maison Cavet, collecteur et affineur de fromages de chèvre au lait cru de la Drôme. L’occasion de découvrir cette entreprise, ancrée dans son territoire depuis 1920.
À Dieulefit, la Maison Cavet est une institution locale. Ancrée dans son territoire depuis trois générations, elle est l’une des deux dernières entreprises en Drôme - avec la société Distral à Valence - à maîtriser l’art de l’affinage du Picodon méthode Dieulefit. Elle est aussi un maillon essentiel qui offre un débouché pour dix-neuf exploitations caprines situées du Diois aux Baronnies, en passant par le pays de Dieulefit et le Nyonsais. La maison Cavet réalise en effet, une à deux fois par semaine, la collecte des tommes à Picodon que les producteurs fermiers ont préalablement fabriquées. Elle en assure ensuite le séchage, l’affinage et la commercialisation. « Nous collectons environ 200 tonnes de produit chez ces dix-neuf producteurs, soit les trois quarts des volumes que nous affinons. Nous complétons avec des achats auprès de laiteries, à savoir la fromagerie des trois Becs ou la fromagerie de la Drôme », explique Jean-Christophe Cavet, dirigeant de l’entreprise. La maison Cavet commercialise chaque année 110 tonnes de fromages au lait de chèvre cru de la Drôme, dont 68 tonnes de Picodon, et plus particulièrement 28 tonnes de Picodon affiné méthode Dieulefit. « Nous comptons 250 clients : crémiers, grossistes, grande distribution. Notre implantation est nationale mais avec une activité prépondérante sur le quart sud-est. Nous embauchons onze salariés et nous contribuons à maintenir des emplois indirects sur les exploitations », décrit Jean-Christophe Cavet à l’occasion de la visite du vice-président de la Région, Fabrice Pannekoucke.
Effritement de la production fermière
Cette rencontre a permis de soulever deux problématiques fortes auxquelles est confrontée l’entreprise. La première est celle des investissements. Comme toute entreprise, notamment dans le domaine agroalimentaire, la Maison Cavet est confrontée à une conjoncture dégradée, avec une hausse généralisée des coûts de production. « Nous essayons tant bien que mal de répercuter cette hausse sur le prix de nos produits mais, en face, il y a bien sûr la question du pouvoir d’achat des consommateurs, avec un risque d’amenuisement des volumes commercialisés. C’est pourquoi nous avons clairement freiné des quatre fers sur les investissements, d’autant que nous sommes entrés dans la période de remboursement des PGE [prêts garantis par l’État que les entreprises ont souscrit pour faire face à la crise Covid, ndlr]. Mais une entreprise qui investit peu ou plus risque d’être amenée à ralentir », alerte le dirigeant.
L’autre inquiétude de Jean-Christophe Cavet porte sur l’effritement de la production fermière et le risque, dans les prochaines années, de voir disparaître des exploitations qui approvisionnent l’entreprise en tommes à Picodon. « Dans les années 1990, la filière affineur en Drôme comptait quatre entreprises et 120 producteurs », rappelle l’affineur. Avec l’obligation de mises aux normes des ateliers de transformation, le syndicat caprin de la Drôme avait obtenu au milieu des années 1990 des financements de la Région, via les programmes intégrés de développement agricoles (Pida affineur), pour accompagner les producteurs livrant aux affineurs face à ces contraintes réglementaires. Mais beaucoup jetteront l’éponge. « C’était souvent des petits producteurs, parfois retraités. La vente de tommes aux affineurs les aidait à compléter leur retraite », se souvient Eliane Bres, productrice à Brette et engagée auprès du syndicat caprin. Une cinquantaine de producteurs seulement sur les 120 choisiront de passer le cap des normes européennes. « Sur ces cinquante producteurs, nous en collections trente-deux, indique Jean-Christophe Cavet. Et sur les quatre affineurs de l’époque, il ne reste plus que nous. »
Ne pas engorger les marchés locaux
Aujourd’hui, ils ne sont plus que dix-neuf producteurs impliqués dans cette filière affineur. Pour au moins quatre d’entre eux se pose la question de la transmission de l’exploitation dans les cinq ans à venir, ce qui inquiète l’affineur. S’il reconnaît qu’il trouvera toujours des volumes à affiner auprès des laiteries, il souhaite avant tout préserver le modèle fermier. « L’entreprise Cavet est très attachée à cette production fermière. Nous souhaitons être associés aux réflexions sur la filière et sur la transmission notamment dans le cadre des comités locaux installations, insiste le chef d’entreprise. Il y a aujourd’hui une politique nationale qui tend à encourager l’installation en circuits courts. J’entends des porteurs de projet dire qu’on leur conseille la vente directe plutôt que la vente à un affineur. Mais si demain les dix-neuf exploitations que nous collectons pour tout ou partie de leur production se mettaient à écouler sur les marchés locaux, tout s’écroulerait. Pour un éleveur, choisir de transformer son lait en fromage, c’est aller chercher de la valorisation. La filière affineur a tout son intérêt dans cette démarche. Elle permet de ne pas engorger les marchés locaux, de faire sortir des produits du cœur de zone. Sans le maillon affineur, il ne restera que cinq ou six producteurs dans l’arrière pays qui vendront leurs fromages sur les marchés », avertit Jean-Christophe Cavet. Nul doute que cette rencontre aura permis d’alimenter la réflexion pour les élus locaux et représentants de la profession agricole présents et pour le vice-président de la Région en charge de l’agriculture.
Sophie Sabot
La Maison Cavet
La Maison Cavet a été fondée en 1920 par le grand-père Paul Cavet, qui était alors “coquetier”, un métier qui consistait à ramasser dans les fermes les produits de la basse-cour et les fromages pour assurer leur commercialisation. Paul Cavet s’est ensuite spécialisé dans l’affinage des fromages et a transmis sa société à ses fils René et Roger. En 1999, la troisième génération a repris le flambeau, déplaçant l’entreprise sur un nouveau site, aux normes CE. « Très tôt, nous nous sommes préoccupés des engagements RSE [responsabilité sociétale des entreprises , ndlr], indique Jean-Christophe Cavet, à la fois par le choix d’un approvisionnement auprès de producteurs de fromages locaux, de fournisseurs d’emballages régionaux… mais aussi par des investissements comme des panneaux solaires thermiques pour chauffer l’eau en 2015, puis des panneaux photovoltaïques pour l’autoconsommation énergétique en 2018. »
S.S.
Le Picodon affiné « méthode Dieulefit »
Cette méthode d’affinage particulière fait partie intégrante du cahier des charges de l’appellation Picodon. Elle comprend une première phase d’affinage en caisse pendant quinze jours minimum dans un local humide, afin de permettre le développement de moisissures de surface (bleuissement). Puis, une phase de lavage à l’eau claire qui permet d’enlever la moisissure de surface, de ré-humidifier le Picodon et de renforcer les arômes. Enfin, une deuxième phase d’affinage dans un local saturé en humidité, pendant huit jours minimum, amène le Picodon « méthode Dieulefit » à maturité (goût et texture). La commercialisation du produit n’intervient qu’au bout d’un mois minimum après l’emprésurage. Cette période peut être prolongée de deux, trois mois ou plus encore. Ce fromage à la texture particulière satisfait les amateurs de goût plus prononcé.