Arboriculture
Irrigation des vergers : ouvrir  le champ des possibles

La maîtrise de l’irrigation en tant que facteur essentiel de réussite dans les vergers a fait l’objet d’un rendez-vous technique organisé par Fruits Plus. Un thème d’actualité alors que la tension sur l’eau, et donc sur l’irrigation, ne cesse de s’accroître.

Irrigation des vergers : ouvrir  le champ des possibles
La dendrométrie est un outil de précision pour mesurer le stress de l’arbre et optimiser le pilotage de l’irrigation. © ArchivesAD

«L’arboriculture regroupe des cultures gourmandes et sensibles au stress hydrique, indique Baptiste Labeyrie, ingénieur de recherche au CTIFL(1) et à la Sefra(2). Selon les cultures fruitières et la pluviométrie, le besoin moyen en eau d’irrigation des vergers va de moins de 1 000 à plus de 6 000 mètres cubes par hectare. » Quant au prix de l’eau, « il a augmenté de 240 % entre 2013 et 2023 », fait remarquer François Dubocs, conseiller irrigation à la chambre d’agriculture de la Drôme. Des chiffres qui ne laissent pas indifférents les arboriculteurs et élèves de la MFR d’Anneyron présents à la journée technique organisée par l’association Fruits Plus, le 22 février à Anneyron. Un rendez-vous destiné à faire un point sur les possibilités de maîtrise de l’irrigation dans les vergers.

« La situation se tend année après année »

Dans la plupart des bassins versants, sous l’effet du changement climatique, « la situation se tend année après année », constate François Dubocs. Les projections climatiques du modèle Aladin RCP 4.5 indiquent qu’à l’horizon 2050, la température augmenterait de 20 % et l’ETP de 10 %. Les chutes de neige - qui soutiennent l’étiage - baisseraient de 28 % et le nombre de jours sans dégel serait en recul de 35 %. « Ce n’est pas le scénario le plus pessimiste, précise François Dubocs. Il faut s’attendre à un allongement des périodes de sécheresse, en particulier dans le couloir rhodanien, et à l’augmentation des déficits hydriques. » L’augmentation des besoins en eau est estimée de + 10 à + 15 %, avec peu ou pas d’évolution sur le cumul annuel des précipitations. Quant aux débits des cours d’eau à l’étiage, ils devraient diminuer de 10 à 20 %.

Outils d’aide à la décision par le sol

Mieux gérer l’eau en ayant recours à des outils d’aide à la décision (OAD) est donc essentiel. Bilans hydriques (calcul du déficit en eau du sol) et sondes (mesure de la tension) sont des outils de mesures par le sol. D’un bon rapport qualité/prix et faciles d’utilisation, ils présentent toutefois des inconvénients. Dans le cas des sondes, par exemple : le volume de sol mesuré est faible (quelques cm autour du capteur), l’installation est difficile en sol caillouteux et la représentativité est limitée au(x) site(s) d’implantation. Il faut aussi tenir compte du vieillissement des sondes.
Quant au bilan hydrique, qui fait le point entre les entrées (sol, pluies, irrigation) et les sorties (consommation des plantes), la pertinence du calcul dépend fortement de la qualité des données (valeurs des réserves utiles (RU) et facilement utilisables (RFU) maximales, doses d’irrigation). De plus, en cas de pluie d’orage avec ruissellement, quelle valeur renseigner ?

Pilotage par la plante

Au pilotage de l’irrigation par le sol, vient s’ajouter la possibilité d’un pilotage par la plante en recourant à la dendrométrie. Des capteurs posés sur les arbres mesurent en temps réel les micro-variations du diamètre des branches. « Plus le mouvement est ample, plus le stress hydrique est fort, explique Baptiste Labeyrie. Cela permet de connaître l’état physiologique de l’arbre en temps réel. » Depuis 2021 et jusqu’à fin 2023 à la Sefra, à Étoile-sur-Rhône, un essai est mené sur pêchers (variété précoce Pamela cov) dans le cadre du projet Denver(3) porté par le CTIFL. Deux modalités sont testées : irrigation classique au nord de la parcelle et irrigation restreinte au sud. « Mon objectif était de réduire de 30 % les apports d’eau par un pilotage précis, lors du stade “durcissement du noyau” en mai, puis en post-récolte », précise l’ingénieur. Les conditions climatiques de 2021 (excès d’eau) et de 2022 (sécheresse) n’ont pas permis d’obtenir des références en conditions « normales ». En 2022, l’apport d’eau n’a varié que de 5 à 10 % entre les deux modalités. « Les pertes de calibre sur la modalité avec restriction ont été importantes : seulement 54 % de calibres “A et plus” contre 72 % sur la modalité sans restriction d’eau », ajoute Baptiste Labeyrie (plus de résultats).
D’autres outils ou techniques, comme l’agrivoltaïsme, l’agroforesterie, la couverture des rangs ou encore l’irrigation déficitaire (lire ci-dessous) ouvrent les « champs des possibles, estime Baptiste Labeyrie. Beaucoup de travaux de recherche restent à mener. » L’espoir est là. 

Christophe Ledoux

(1) CTIFL : centre technique interprofessionnel des fruits et légumes.
(2) Sefra : station d’expérimentation fruits 
d’Auvergne-Rhône-Alpes.
(3) Projet Denver : dendromètres en verger pour mieux gérer l’irrigation et la ressource en eau face au réchauffement climatique.

Arboriculteurs et élèves de bac professionnel et de BTS à la MFR d’Anneyron ont participé à la rencontre technique organisée par Fruits Plus le 22 février à Anneyron. © AD_CL

Optimisation de l’eau : d’autres techniques à explorer

Pour optimiser l’eau dans les vergers, d’autres voies sont possibles comme des porte-greffes et variétés adaptées ou encore par la diversification des cultures. Grenadiers et pistachiers, deux espèces méditerranéennes, font d’ailleurs l’objet d’un suivi à la Sefra.
L’agrivoltaïsme est également testé sur des pêchers en production. Sous les panneaux, les arbres ont subi moins de dégâts du gel et bénéficié de plus de fraîcheur l’été. « En 2022, l’apport d’eau a diminué de 30 % », indique Baptiste Labeyrie, ingénieur de recherche CTIFL/Sefra. Un résultat similaire a été observé à la station d’expérimentation arboricole La Pugère (Bouches-du-Rhône).
Une autre voie consiste à faire de l’ombrage afin de limiter l’évapotranspiration grâce à l’agroforesterie. Dans le cadre du projet Arbriss’eau, et en lien avec la plateforme TAB (techniques alternatives et biologiques), de nouvelles associations fruitières sont testées à Etoile-sur-Rhône : pêchers/amandiers ou encore abricotiers/châtaigniers.
« Sachant que 10 à 40 % de l’eau apportée au verger s’évapore par le sol, couvrir le rang (paillis, bâches) permet de réduire les besoins en eau des jeunes vergers », ajoute Baptiste Labeyrie.
Par ailleurs, l’irrigation déficitaire, qui consiste à irriguer une culture seulement lors des étapes de croissance sensibles à la sécheresse, est déjà mise en œuvre en Espagne, Israël… Quant à l’irrigation anticipée, il s’agit d’irriguer en profondeur pendant l’automne et l’hiver (période où l’eau est abondante). Cette technique est utilisée dans des pays secs sur oliviers, vignes, pêchers, poiriers, abricotiers, entre autres.
Selon une étude du Cefel*, l’irrigation localisée (microjets, goutte à goutte) permet une économie d’eau de 30 % comparée à l’aspersion. Quant au sol, mieux vaut limiter le tassement pour ne pas diminuer la réserve utile en eau. « Il y a plus à perdre avec un tassement qu’à gagner avec l’augmentation de matière organique », indique François Dubocs, conseiller irrigation à la chambre d’agriculture de la Drôme.
Enfin, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), comme c’est le cas en Italie et en Espagne, ainsi que le stockage de l’eau sont d’autres champs des possibles. 

C. L.

* Cefel : centre d’expérimentation en fruits et légumes du bassin Sud-Ouest. 

Sous les panneaux de l’installation agrivoltaïque de la Sefra, à Étoile-sur-Rhône, « en 2022, l’apport d’eau a diminué de 30 % », a-t-il été constaté. 

Faire de l’ombrage afin de limiter l’évapotranspiration grâce à l’agroforesterie, la technique est testée à la Sefra avec des associations pêchers/amandiers ou encore abricotiers/châtaigniers.

Adaptation au changement climatique : des aides pour investir

Depuis le 13 février, FranceAgriMer met en œuvre un programme d’aide aux investissements pour la protection contre les aléas climatiques, réservé aux demandeurs disposant d’une assurance risque climatique. Le dispositif est ouvert jusqu’au 31 décembre dans la limite des crédits disponibles, les demandes seront traitées dans l’ordre d’arrivée. « Le dossier est assez simple à monter mais attention, le principe du premier arrivé-premier servi est de rigueur » a alerté François Dubocs. Le taux de l’aide s’élève de 30 à 40 % du coût HT des investissements éligibles. Infos sur www.franceagrimer.fr
Par ailleurs, dans le cadre du Feader 2023-2027, il est également possible d’obtenir des aides. « Les taux de subventions sont plus importants mais le dossier plus complexe à monter. » 
Infos sur www.fruitsplus.fr